Ce qui devait arriver ne s'est pas trop fait attendre. L'euro a franchi
la barre des 192 dinars et l'envolée semble avoir des vents favorables qui
pourraient lui faire passer le cap des 200 dinars dans les prochaines semaines.
Hier, sur les places réputées du change parallèle de la monnaie forte, l'euro
était très convoité.
A 192 dinars contre un euro, à la vente, et l'on ne peut pas avoir tout
ce qu'on demande. « Ici, à Constantine, l'euro se fait très rare. Vous ne
pouvez pas avoir plus de trois mille euros sur le marché parallèle », nous dira
un cambiste. Soit 30 petits billets de 100 euros qui valent un petit pactole
sur le marché noir, précisément 576.000 dinars ou 576 billets de 1.000 dinars.
Ajoutant dans ce sillage que « pour chercher des sommes importantes, il faut
aller à Aïn M'lila ou à Alger ». Beaucoup d'explications, aussi « informelles »
que l'est le marché parallèle de la devise, ont été données ces derniers jours
au sujet de cette envolée de l'euro, mais cela n'a pas pour autant permis d'éclaircir
les zones d'ombre qui entourent le sujet. Une chose est sûre, la nature du
monde économique est impitoyable : toute « faiblesse » ou « crise » sur ce plan
ouvre automatiquement la voie aux vautours de tout acabit. Et la première
victime expiatoire, c'est la monnaie de tout pays qui par malheur se trouve
confronté à des difficultés d'ordre économique, comme c'est le cas de le dire
pour l'Algérie, ainsi que d'autres pays, particulièrement ceux exportateurs de
pétrole dont les rentrées d'argent ont chuté d'une manière drastique. La crise
économique y est, donc, pour quelque chose dans la chute de la valeur du dinar
(1 euro contre 119,755 dinars au change officiel), mais en Algérie, « ce sont,
surtout, les barons de l'économie informelle qui font flamber l'euro »,
soutiennent des cambistes dont les avis sont largement partagés par les
observateurs de la scène économique locale. Le délai de rigueur accordé aux
détenteurs de grosses sommes d'argent, en circulation hors des circuits
bancaires, « qui ont jusqu'au mois de décembre 2016 pour placer leur argent
dans les banques contre une taxe unique de 7% », ne semblent pas convaincre
beaucoup de monde à suivre cette voie qui vise à les intégrer dans la sphère
économique légale. Les banques ont bien récupéré des sommes importantes qui
étaient en circulation dans la sphère informelle, mais une autre partie de
l'iceberg est restée invisible et qui alimente ou dope le marché noir de la
devise. Les pouvoirs publics ayant mis en garde les concernés, en leur lançant
que d'ici 2017, l'Algérie ne fonctionnera plus avec deux économies (l'une
formelle et une autre informelle), « il ne restait plus à ceux qui refusent de
déposer leur argent dans les banques que le marché parallèle de la devise pour
tout changer en euro et attendre des jours meilleurs ». On appréhende dans ces
milieux des surprises qui peuvent « neutraliser » leur capital, comme le
changement des billets de banque, alors mieux vaut assurer sa sécurité et avoir
sous la main des devises. C'est l'une des raisons qui pousse à l'envolée la
monnaie forte. « Les barons de l'informel ont amassé tout l'euro proposé sur le
marché informel, d'où sa rareté et sa montée en puissance », affirment des
cambistes. Est-ce l'effet boomerang de cette disposition qui tend à blanchir l'argent
noir ? Probablement, dès lors que l'avertissement est clair, soit l'argent est
intégré dans le circuit bancaire, soit il ne servirait plus à grand-chose
au-delà de décembre 2016. Pis, il deviendrait un fardeau pour ceux qui le
garderaient entassés dans les sous-sols. Au lieu, donc, de servir l'économie
nationale en plaçant l'argent « noir » dans les banques, on serait en train de
la détruire en poussant plus encore le dinar à la dégringolade. Les autorités
algériennes ont vraisemblablement compris cet état de fait en resserrant l'étau
sur les cambistes, multipliant les contrôles et les descentes policières dans
les milieux du change parallèle de la devise. On peut la constater de visu
cette crainte des cambistes qui, désormais, ne jouent plus avec des liasses de
billets entre les mains. « Cela devient de plus en plus risqué de faire ce
métier », avoue un cambiste. « Si on est pris par des agents de sécurité avec
des billets en devise, on fera l'objet de perquisition du domicile ou des lieux
d'activités commerciales, s'il en existe», nous a lancé notre interlocuteur sur
un ton plein d'inquiétude. Les cambistes sont très discrets ces derniers temps,
certains pensent même à abandonner le créneau.