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L'Energie : vecteur des intérêts stratégiques de l'Algérie

par Anisse Terai *

Le secteur de l'Energie représente un avantage comparatif certain pour l'Algérie. Les hydrocarbures en particulier.

Néanmoins, il existe un consensus national sur la nécessité de réformer l'action publique et de diversifier l'économie, en vue de limiter les vulnérabilités liées à la rente. Cette vision est, notamment, défendue par le Think Tank citoyen NABNI. Le détachement de la rente est donc une condition nécessaire pour édifier la démocratie, renforcer les institutions et réaliser le développement durable et solidaire.

Pour autant, il ne s'agit pas de délaisser le secteur de l'Energie. Bien au contraire, il est question de capitaliser sur toutes ses externalités positives. Dans le passé, la nationalisation des hydrocarbures a constitué une étape cruciale pour regagner la souveraineté nationale et rompre avec le système de domination colonial. Aujourd'hui, plus que jamais, le secteur de l'Energie reste , toujours, un vecteur des intérêts stratégiques de l'Algérie, qu'ils soient politiques, économiques, diplomatiques ou sécuritaires.

Ce premier article inaugure une série de publications dont l'objectif est d'explorer, d'une manière non-exhaustive, les potentialités, encore sous-exploitées du secteur de l'Energie pour servir les intérêts vitaux de la Nation. Cet exercice sera toujours abordé avec l'impératif de viabilité économique et de rentabilité financière à l'esprit. Les lignes qui vont suivre traiteront du projet de gazoduc transafricain entre l'Algérie et le Nigeria. Un projet qui pourrait insuffler une dynamique vertueuse dans tout le Sahel.

Trans-African gas pipeline (TSGP)

Le NIGAL est un projet, hautement, stratégique. Il vise à la construction et l'exploitation d'un gazoduc qui va du Nigeria jusqu'au réseau de gazoducs algérien. Il permettrait de transporter du gaz naturel nigérian vers l'Algérie, en passant, très probablement, par le Niger. Le TSGP approvisionnera ses zones de passage, voir même les pays limitrophes, le Burkina-Faso et le (nord) Mali. Il augmentera, en plus, le volume de gaz disponible en Algérie pour la consommation intérieure et les exportations à l'étranger.

La disponibilité des réserves de gaz naturel au Nigeria ne fait plus débat. Le torchage massif et les réserves récupérables substantielles démontrent l'abondance de l'or bleu. D'un côté, la réalisation et l'exploitation du TSGP nécessitent de garantir la sécurité du personnel et de l'infrastructure. De l'autre, de par le développement qu'il engendre et la sécurité qui l'entoure, il sera un véritable catalyseur pour la stabilité du Sahel, et la lutte contre les fléaux endémiques de la contrebande, de la drogue et du terrorisme.

Infrastructure aux bénéfices multiples

La réalisation du TSGP implique l'extension du réseau algérien de gazoducs existants, déjà important. Les nouvelles canalisations se concentreront, essentiellement, dans l'extrême sud de l'Algérie et permettront de désenclaver de nombreuses localités. Sonatrach pourra ainsi développer des gisements de gaz naturel, auparavant inexploitables, vu leur éloignement du réseau de pipelines, récupérer le gaz associé torché dans certains champs de pétrole et viabiliser l'exploitation des réserves de gaz de schistes.

Bien entendu l'exploitation du gaz de schiste sera conditionnée par l'éloignement des zones d'habitations et le respect des normes environnementales les plus strictes. Par ailleurs, le TSGP génèrera des recettes supplémentaires avec les droits de passage et/ou les exportations incrémentales de gaz naturel et de GNL. Rehaussant ainsi l'importance stratégique de l'Algérie dans l'approvisionnement énergétique de l'Europe, par gazoducs et méthaniers, mais aussi de l'Amérique Latine et du Sud-Est Asiatique, par méthaniers.

Circonstances favorables

Le secteur des hydrocarbures passe par une période à la fois difficile, mais aussi porteuse d'opportunités substantielles. Le coût de réalisation des grands projets d'infrastructure a considérablement baissé. De plus, les marchés financiers et les banques sont en situation de surliquidité et ont dû baisser le coût du financement. Il en ressort, que c'est le moment opportun pour lancer le projet du TSGP. Avec une première phase de finalisation des études, une deuxième phase de construction et enfin d'exploitation.

La nature régionale et technique du projet renforce son intérêt pour les banques multilatérales de développement, qui pourraient accorder des financements concessionnels. C'est, particulièrement, le cas pour le tronçon du Niger. Ce pays voisin étant un des plus pauvres au monde. Le soutien de l'Union Africaine (UA) est garanti pour sa part, le TSGP figurant parmi les projets du NEPAD. Le gazoduc renforcera l'intégration régionale entre membres de l'UA. C'est une bénédiction pour la construction africaine.

Abuja : partenaire stratégique

Le Président Buhari, élu au Nigeria, depuis quelques mois seulement, a entamé le redressement du pays. Conscient que le secteur de l'Energie est la clé de voûte pour reformer le Nigeria, il n'a pas nommé de ministre de l'Energie et a préféré garder ce portefeuille ministériel sous son autorité directe. Il a aussi lancé la restructuration de la compagnie nationale des hydrocarbures (NNPC) et a désigné à sa tête un nouveau DG compétent et intègre. Dorénavant, le secteur de l'Energie est bien gouverné, à tous les niveaux.

Le TSGP est un projet structurant et créateur de valeur. Il pourrait, à lui seul, relancer l'économie du Nigeria. Le pays bénéficiera de la création de dizaines de milliers d'emplois, de l'électrification avec des centrales à gaz et d'une énergie bon marché pour l'industrie et les ménages. Les régions déshéritées du nord verront un développement économique et social, jamais connu, auparavant. Renforçant de la sorte les arguments du Président Buhari, dans sa lutte pour éradiquer Boko-Haram.

Priorité nationale

L'Algérie a beaucoup à gagner avec le TSGP aussi. La stabilisation de la région sahélienne, le développement de l'extrême sud algérien et l'accroissement des revenus gaziers suffisent, à eux seuls, pour en faire une priorité nationale. D'autant plus que la complexité du projet requiert l'implication d'une diversité de parties prenantes, y compris la population, et l'allocation de moyens adéquats. Par conséquent, la mise en place d'une unité de gestion de projet (UGP) inter-institutionnelle est primordiale.

L'intervention de Sonatrach sera, particulièrement, déterminante pour la réussite du TSGP. L'UGP devrait, aussi, se renforcer avec des experts et l'implication active des ministères de l'Energie, des Finances, des Affaires étrangères, de l'Intérieur et de la Défense nationale, ainsi que les services de renseignement. Il est, aussi, impératif que l'UGP reporte directement à la présidence de la République ou au Premier ministère, afin de libérer son action et de simplifier le processus d'arbitrage et de prise de décisions.

Diversification par l'Energie

Le secteur de l'Energie est un gisement considérable pour le développement, la sécurité et le rayonnement de l'Algérie, sur la scène internationale. Son potentiel a été négligé jusque-là. Dorénavant, le pays a intérêt à bien exploiter l'avantage comparatif du secteur de l'Energie, y compris à l'extérieur de ses frontières. En fait, la diversification devrait, particulièrement, se faire sur la base des gains de compétitivité qu'assurent l'expertise, l'abondance et le coût modeste de l'énergie en Algérie.

* Banquier international, spécialiste du secteur de l'Energie, et ancien cadre supérieur de Sonatrach.