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Le 2ème (contre) choc pétrolier : Quelle sortie de crise ?

par Hamid Abdennour Temmar *

2ère partie

1. La présentation du programme ABDA de Nabni permet ainsi de souligner que la relance des capacités de production et de création d'emploi est liée à deux conditions préalables:

(i) La relance ne pourrait se matérialiser que si le cadre de fonctionnement de l'économie (le système) changeait (ou se transformait, pour reprendre un terme à la mode chez les économistes). Ceci est une conclusion largement démontrée par notre propre histoire économique, les expériences d'autres pays dans le monde et les travaux empiriques qui sont légion. Le problème est de définir ce qu'est concrètement un «cadre de fonctionnement» de l'économie. Dans l'objectif de relance de la croissance et de production de l'emploi, le système inclut : le système bancaire, le marché du foncier, la rationalisation du marché des biens et la mise en place d'un cadre de régulation (institutionnalisé). Il faudrait donc que des mesures soient prises sur ces quatre plans. Mais, étant donné la nécessité de faire redémarrer l'économie productive rapidement, les domaines de relance prioritaires seront le système bancaire et le marché du foncier économique.

(ii) Le cadre institutionnel et la gouvernance publique économique qui s'y applique sont déterminants dans les choix et la réalisation de la transformation économique et la mise en œuvre effective des politiques de relance de l'économie. Le cadre institutionnel et la gouvernance expriment l'état des rapports de force au sein de la société et la volonté du pouvoir politique. Autrement dit, sans une équipe politique acquise à la transformation du système et décidée, les réformes n'existeront pas, car les chapelles et les intérêts constitués imposeront leurs propres objectifs et se battront pour la pérennité de la situation existante. Le Programme de Nabni note que «la réaction des pouvoirs publics n'augure pas d'une prise de conscience de la gravité de la situation». En réalité, les pouvoirs publics sont bien conscients de la menace de crise; ils en étaient conscients bien avant la matérialisation de la situation actuelle, mais ils restent prisonniers d'une idéologie qui leur interdit d'aller aux réformes qui impliqueraient une ouverture et une libéralisation de l'économie. De ce fait, le gouvernement semble comme paralysé. Sans une remise en cause de l'idéologie actuelle donnant préséance à l'intervention de l'Etat, le lancement de tout plan d'urgence ou non urgence ne se réalisera pas ou très partiellement.

2. C'est dans ce système de coordonnées (cadre de fonctionnement de l'économie et mode de gouvernance) que se réaliseront les politiques de relance de l'activité économique. Leur effectivité en dépendra. Sans un cadre transformé et plus efficient et sans une gouvernance à la fois volontariste, transparente et partagée (ou encore inclusive pour employer le mot à la mode), la concrétisation des politiques de relance de la croissance rencontrera des limites objectives. La relance de la croissance tient à la mise en œuvre de 4 politiques majeures : la politique d'investissement, la mise à niveau des entreprises (PME) privées, le redéploiement -dont la privatisation- du Secteur Public Marchand (SPM), l'innovation/la maîtrise technologique. Ce sont des politiques visant le développement de l'offre nationale. Etant donné l'objectif d'urgence, il s'agit de lancer les politiques qui permettent une promotion de l'entreprise. Nous retiendrons les politiques d'investissement et d'attraction de l'IDE, de mise à niveau de l'entreprise et de redéploiement du secteur public.

3. Dans leur ensemble, ces politiques de mise à niveau du cadre de fonctionnement de l'économie et de relance de la croissance sur une base endogène ont été lancées et mises en œuvre à des degrés divers, il suffit seulement de les actualiser et de les appliquer.

Le programme prioritaire

Les politiques prioritaires de mise en œuvre du cadre de fonctionnement de l'économie (le système)

4. Les deux politiques prioritaires et significatives sont parfaitement identifiées par le Programme ABDA : il s'agit de la réforme du système financier et de l'émergence du marché du foncier économique.

4.1. Le système bancaire et financier.

Le programme ABDA retient très justement que le principe d'action sur ce plan est la concurrence à introduire sur le marché bancaire et financier. Le système actuel est un monopole (public) : cinq banques publiques (excluant la CNEP) distribuent 95% des crédits et collectent 90% des ressources; «elles sont les seules à traiter avec le secteur public marchand (SPM) ; elles présentent le même mode de gestion et proposent les mêmes produits. L'objectif opérationnel est de briser ce monopole et d'introduire la concurrence. Comment ? Cinq mesures sont à introduire :

- la privatisation du CPA (12% des ressources et 13% des crédits dont 61% sont accordés aux entreprises privées). Cette banque (avec la BDL) avait été choisie et préparée à la privatisation mais les opérations ont été arrêtées. Il faut reprendre ce dossier (tout le travail qui avait pris plus de deux ans avait été fait) en ajustant les conditions de cession (à une participation extérieure minoritaire en fonction de la nouvelle donne, la crise internationale étant passée par là).

- La libération de la BNA et de la BEA de la tutelle de fait du ministre des Finances qui constitue à lui seul leur assemblée générale et donc décide du conseil d'administration et de la politique des banques. Ce qui est un non-sens, car la politique bancaire est du ressort de la BA. Le capital de ces banques sera ouvert en Bourse à concurrence de 20 % au bénéfice des institutionnels et des épargnants algériens. Cela permettra d'élargir la composition de l'Assemblée générale de la banque. Cela s'accompagnera d'un arrêt des actions de recapitalisation.

- L'accélération de l'acceptation des agréments sollicités par les banques internationales par la Banque d'Algérie. Actuellement les banques étrangères déjà installées bénéficient d'une position de rente. Il faut donc élargir la population des établissements bancaires opérant sur le marché. Cela se heurte à la loi de répartition du capital 51/49%. La BA peut et doit trouver une solution technique.

- L'autorisation d'accord de création de banques privées; cependant sur ce plan, la BA doit prendre toutes les précautions nécessaires sur le plan technique pour ne pas voir se renouveler les situations dangereuses du passé.

- La rationalisation du rôle de régulateur de la BA en renforçant son autonomie par rapport à la décision politique de l'Exécutif et renforcer son «accountability» vis-à-vis de l'instance législative.

4.2. Le foncier économique.

Il faut noter que le dispositif juridique régissant le foncier industriel a connu depuis la fin des années 80 une évolution relativement agitée. On le comprend, les enjeux sont importants. Après une période de distribution de nature administrative, entachée de dépassements malheureux, sans critère de nature économique, un gel de la situation avait été décidé par le gouvernement. Un dispositif a été mis en place en 2006 (Ordonnance 06-11 du 20 août 2006) dont l'objectif était de passer d'un système de distribution administrative à l'émergence d'un marché du foncier régulé, créant ainsi une agence spécifique (l'ANIREF) ayant un double rôle d'agence immobilière fonctionnant selon les règles du marché et de régulateur. Le dispositif a été abrogé par l'ordonnance du 1erseptembre 2008, un nouveau cadre lest mis en place écartant le principe d'un marché régulé pour revenir à la distribution administrative. L'ANIREF a perdu son rôle pour se spécialiser dans la promotion de nouvelles zones industrielles; les CALPIREF présidés par les wali sont restés seuls sur le terrain. De ce fait, les propositions du Programme ABDA sont pertinentes bien que certaines mesures doivent être corrigées. Il suffit de revenir au dispositif de 2006 et mettre à niveau ce dernier sur le plan opératoire. Il faut décharger les wilayas de leurs prérogatives actuelles. Les CALPIREF ne sont pas des agences mais des comités d'étude de dossiers et de propositions de décision; ils ne sont pas à supprimer mais leur portefeuille doit répondre à des demandes locales (actifs des ZAC); l'ANIREF reprenant ses responsabilités de planification et de régulation, assurera, au niveau des CALPIREF, l'ordre du jour et l'introduction des dossiers.

LES POLITIQUES PRIORITAIRES DE RELANCE DE L'APPAREIL DE PRODUCTION

5. La politique d'investissement.

On confond souvent politique d'investissement et dispositif de promotion de l'investissement (le Code d'investissement). Il doit être entendu que la seule politique d'investissement efficiente tient à la mutation de l'environnement économique et à l'efficacité du cadre institutionnel; les codes d'investissement ne sont que des dispositifs d'attractivité et d'encouragement.

Or, dans notre pays, la politique d'investissement a toujours consisté depuis 1962 en une série de «Codes des Investissements» traduisant l'évolution des modes institutionnels et de gouvernance que l'Algérie a connus. Reprenant les termes de M. Daïboune, «partant d'un champ restreint où la politique d'investissement n'était qu'une série de mesures qui définissait le champ où l'intervention du secteur privé était tolérée à côté et en complément des programmes d'investissement de l'Etat», la politique est allée progressivement, notamment à partir des années 90 et surtout à partir de 2001, à une politique globale de mobilisation active de l'investissement national et étranger.

Nous en tenant à cette assimilation entre politique d'investissement et dispositif de promotion de l'investissement, il suffit de revenir à l'ordonnance de 2001 reprise et améliorée par la loi de 2006 qui institue définitivement le principe de la liberté d'investissement, met de côté la pratique de la Décision d'autorisation d'investissement pour aller au système déclaratif : tout investisseur peut lancer librement un investissement sans aucune autorisation préalable sauf à se signaler à l'ANDI pour des raisons statistiques -à moins qu'il ne sollicite des avantages spécifiques qu'il négociera avec l'ANDI. Il faut donc rapidement éliminer les mesures qui ont eu tendance à altérer les termes de la loi. L'existence d'un CNI est utile mais son rôle doit être revu dans sa composition comme ses responsabilités.

6. En ce qui concerne l'IDE

Il doit être bien compris qu'il n'y a pas d'industrialisation possible sans l'IDE. Nous n'avons localement aucun levier pour un développement et une généralisation du phénomène d'industrialisation. Le dispositif de la Convention prévu par la loi permet de fixer, en contrepartie d'avantages, les apports économiques de l'IDE dont l'Algérie manque cruellement : la maîtrise de la technologie, le management d'entreprise, le développement des sous-traitants, la promotion de l'expertise, les marchés extérieurs.

Le programme ABDA propose que le principe de 51/49% soit levé et appliqué aux seuls investissements dans des secteurs stratégiques. Mais il n'y a pas de secteur ou de branche d'activités stratégiques (en dehors des hydrocarbures), il y a des activités dont la promotion entraîne plus de croissance endogène que d'autres. La contrainte des 49/51 doit être retirée -parce que totalement inutile étant donné le processus d'approbation des grands investissements prévu par la loi-. Dans ce cas, le traitement de l'IDE demanderait des formules diversifiées étant donné les avantages naturels importants que l'Algérie accorde et qui demandent une attention précise. Une approche complète existe et a été exposée au gouvernement.

7. La promotion de la PME

Le programme ABDA n'en fait pas mention. C'est une politique prioritaire entre toutes et qui est déjà institutionnalisée mais sans résultat significatif. Or, toute l'idée de croissance endogène repose sur l'existence d'une population de PME solides, productives et compétitives.

La promotion de la PME demande une politique autre que celle qui est pratiquée actuellement. Le Gouvernement a été extrêmement généreux avec le secteur privé en accordant des avantages de nature financière considérables et, pourtant, rien ne se passe; l'entreprise privée n'apporte que très peu à la croissance; elle représente 6% de l'investissement national ! Cela signifie que l'entreprise privée n'est pas en mesure d'absorber la manne publique mise à sa disposition. On peut expliquer cette incapacité de l'entreprise à utiliser les avantages qui lui sont offerts par un comportement rentier et de fait, la responsabilité du secteur privé sur ce plan doit être soulignée. Mais structurellement le secteur privé ne changera pas, il n'en a pas les moyens et le système économique tel qu'il fonctionne ne l'y incite pas. Pourtant, il possède des potentialités de développement immédiat. De ce fait, l'entreprise doit être mise à niveau pour pouvoir ainsi absorber l'aide publique qui lui est apportée. C'est pourquoi un dispositif (organisant le redressement de l'entreprise) était nécessaire et a été mis en place; malheureusement, le mécanisme de mise en œuvre s'est avéré insuffisamment effectif. Il faut donc accélérer la mise en œuvre du programme en réajustant les modalités d'exécution dans le sens d'une plus grande flexibilité. Cela peut être fait immédiatement.

8. Le redéploiement du SPM

Il est bien établi que le SPM (hors énergie) consomme plutôt qu'il ne crée de la valeur ajoutée et a tendance à perdre de l'emploi -même si ces trois dernières années, la situation s'est redressée du fait du lancement des programmes publics. Le programme ABDA propose, à juste titre, la privatisation d'EPE pour «leur donner les moyens humains et matériels de survivre et de croître». En privatisant on perd une entreprise publique déficitaire et on gagne une entreprise qui crée de la valeur. Cependant il faut comprendre que, contrairement à l'imaginaire commun, mettre une entreprise sur le marché ne rencontre pas forcément un acheteur -j'ajouterai loin de là !- ; la privatisation est une entreprise qui s'avère longue. Par ailleurs, le SPM ne représente que 5% du PIB. En conséquence, la privatisation n'est plus une option nécessaire ou prioritaire sauf pour certaines entreprises industrielles.

Les activités industrielles de type intermédiaire se situent en grande majorité dans le secteur public, mais les candidats à l'achat de ces entreprises n'existent pas -à moins de les céder au prix de leur valeur d'immobilisations. En conséquence, il faut poursuivre la politique préconisée par la stratégie industrielle et lancée effectivement en 2008, à savoir la création de groupes industriels publics indépendants. Mais, contrairement à la politique actuelle, il faut limiter cette approche à quelques branches précises: mécanique, métallique (sidérurgie, constructions métalliques), pharmacie, pétrochimie, électromécanique. Le reste des entreprises, tout au moins les entreprises qui peuvent trouver repreneurs, seront ainsi privatisées ; les entreprises de petite taille ou produisant des biens de consommation finale peuvent être cédées aux collectifs des travailleurs et/ou à leur management («Employees ou Management buy outs») ; le reste sera laissé à la décision du marché.

EN GUISE DE CONCLUSION LA CONTRAINTE DES CAPACITES DE GESTION PUBLIQUE

Etant donné le rôle de maître de cérémonie de l'Etat dans la mise en œuvre des politiques de relance, les capacités de gestion de l'appareil administratif d'exécution constituent un facteur critique du changement et de la réussite de la relance. Mais c'est aussi, paradoxalement, le domaine le plus difficile à réformer. C'est un domaine difficile à faire évoluer, car il s'agit de structures mentales, de comportements autant que de modalités techniques. Une proposition faite par le Programme ABDA demande attention, la création d'une Ecole de gouvernance publique. Ce type d'organisations existe dans les pays qui appartiennent au monde anglo-saxon. Dans notre pays, il existe une Ecole nationale d'administration et des Facultés de droit ; une école de management public n'apportera pas un «plus» significatif. Mais on peut mettre des programmes de master ou doctoraux de nature professionnelle qui peuvent être logés à l'ISGP ou l'ENSSEA. A moins de créer une université spécifique qui recevrait des étudiants titulaires de masters et qui fonctionnerait comme une Haute Ecole de formation professionnelle avec des options spécifiques. Dans l'immédiat, il faut signaler que l'ISGP a mis en place des formations doctorales professionnelles qui marchent. Une de ces formations concernent la gestion des politiques publiques (Public Policy Management). Ce sont des formations payantes, les différents organismes publics concernés pourraient financer ces formations ou alors il pourrait être mis en place un dispositif de prêts de long terme par les banques aux doctorants en formation.

Suite et fin

* Professeur, ancien ministre