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L'avertissement de 2014

par K. Selim

Faut-il parler de l'année 2014 qui s'en va ? Difficile d'y échapper ! L'Algérie a connu durant cette année quelque chose qui dépasse le «spécifique» habituel de l'autoritarisme arabe. L'élection présidentielle algérienne est allée au-delà du spécifique pour être devenue un fait unique dans les annales politiques. Une élection organisée autour d'un candidat absent et un outsider qui a, dans la meilleure des hypothèses pour sa lucidité, fait le pari risqué que le président en place n'ira pas jusqu'au bout.

Il ne sert à rien de s'attarder sur le 17 avril qui, et ce n'est pas une image, a débouché sur le 18 rue de l'impasse. Le blocage politique est bien là. On peut recenser beaucoup de facteurs d'immobilisme inquiétants sur fond de fragilité pour ne pas dire d'évanescence institutionnelle. Non pour se lamenter, car cela ne sert à rien, mais par devoir de lucidité. Il faut donc regarder cette année 2014, pour paraphraser Kafka dans un autre contexte, non pour la rattraper - c'est une illusion -, ni pour la garder en mémoire, mais juste pour ne pas oublier l'avertissement qu'elle a représenté. Et ils n'ont pas manqué, les avertissements. On peut parler du plus symptomatique.

A Ghardaïa, pendant une longue année, des Algériens que rien n'oppose, que rien ne devrait opposer, se sont affrontés sous le regard impuissant des différentes autorités, du local au national. Aucune preuve d'un complot ourdi n'ayant été apportée, il faut donc, par souci de respect des faits, évacuer l'explication par la conspiration ou la lutte des clans. Même si celle-ci existe, il ne faut pas s'y focaliser. A trop mettre en avant, sans preuves, les thèses du complot, on finit par voiler la gravité du problème. A lui fournir une «explication» qui fonctionne comme une circonstance atténuante. Quand on reste dans le factuel, dans ce qui est vérifiable, on constate que les affrontements entre des jeunes sont allés pendant de longs mois dans une logique d'escalade sans que l'Etat, la police, les services, les relais politiques et les notables parviennent à les circonscrire.

C'est tout le système de contrôle et de «représentation» qui est pris à défaut d'incapacité à résoudre des problèmes des citoyens avec l'Etat ou des citoyens entre eux. Ghardaïa n'est pas, jusqu'à preuve du contraire, un complot ourdi. Elle est quelque chose de beaucoup plus grave. L'avertissement supplémentaire et normalement définitif que la fiction institutionnelle a atteint ses limites et que les ersatz de représentations que le pouvoir a mis en place ne sont d'aucune utilité en temps de crise. Ghardaïa n'est pas une spécificité, mais une alerte grandeur nature de ce qui peut arriver un peu partout dans le pays si les modalités de représentation et de contrôle social ne changent pas. Des risques encourus si la gouvernance du pays ne change pas, si l'Etat ne cesse pas d'être une entité extérieure pour devenir, enfin, celui des citoyens.

Ghardaïa a été pendant de longs mois, en modèle réduit, l'expression d'une évolution alarmante possible qui guette le pays. Une situation d'anomie générale où le seul «dialogue» est la confrontation violente entre jeunes ou entre jeunes et policiers. Un symbole terrible ! La boucle a été bouclée par le déclenchement à Ghardaïa, cela n'a rien d'un hasard, d'un mouvement sans précédent de mutinerie dans les rangs de la police qui a fini par camper aux abords de la présidence. Ghardaïa a été une synthèse colossale. Un grand signe pour celui qui veut voir et qui ne s'aveugle pas.