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La preuve que statuquo ne rime pas avec stabilité : De Ghardaïa à Berriane, une guérilla fratricide qui s'installe

par Salem Ferdi

Deux morts de plus à Ghardaïa dans la reprise des violences dans la nuit de vendredi à samedi. Cette persistance de la crise dans la vallée du Mzab où la violence intercommunautaire s'incruste et s'étend est inquiétante.

Les quartiers de Ghardaïa ont renoué avec la violence avec une extension des affrontements à la localité de Berriane. Deux morts de plus. Bennacer Nacer, âgé de 22 ans, tué vendredi soir à Berriane, au cours d'affrontements qui ont fait huit blessés. Hacène Hadj Chaabane (30 ans), blessé dans des affrontements à Ghardaïa, a succombé hier à ses blessures. Le même rituel de mort avec ses destructions, ses actes de vandalisme et les très actifs pyromanes s'est répété dans plusieurs quartiers de Ghardaïa et à Berriane. Ces violences ont touché les communes de Bounoura et Daya Ben Dahoua ainsi que Berriane même. Des sources médicales évoquent plus d'une centaine de blessés. Un lourd bilan humain auquel s'ajoutent d'importants dégâts matériels. Une cinquantaine de locaux commerciaux et des habitations, des parcs de matériels roulants, la station de l'Institut national de protection des végétaux (INPV), une vingtaine de véhicules et une trentaine de palmeraies ont subi pillages, saccages avant d'être incendiés.

CE N'EST PAS UNE SIMPLE POUSSEE DE FIEVRE

Qui commet ces actes ? Des jeunes Algériens pris dans une logique de foule et d'émeutes où les plus virulents et les plus délinquants paraissent avoir le plus de voix et le plus d'audience. Pourquoi ces violences persistent-elles et à quelle fin ? Car il ne faut pas se voiler la face, Ghardaïa ne connaît pas un simple accès de fièvre, la ville et sa région s'installent dans une forme de guérilla intercommunautaire d'une insigne gravité. Le bilan officiel comptabilise depuis fin 2013 huit morts, des centaines de blessés et 700 locaux vandalisés, pillés et incendiés. Le Front des forces socialistes (FFS) qui a une présence dans la vallée du Mzab pose implicitement la question sur la nature et les objectifs de jeux opaques derrière les violences qui se déroulent à Ghardaïa.

Dans un communiqué appelant les citoyens de Ghardaïa au «discernement» et à la «vigilance», il constate qu'on «n'arrive pas à comprendre les tenants et aboutissants» de ces affrontements «larvés» qui perdurent. Mais le parti d'opposition met en garde contre une «radicalisation» qui ne profite «qu'aux partisans du chaos». Qui met en action ces groupes de jeunes «cagoulés» qui jouent à la guerre pour de vrai à coups de pierres, de barres de fer et de cocktails Molotov et rendent la vie impossible dans la région alors qu'une campagne électorale surréaliste continue à se dérouler ?

UN SINISTRE ECHEC

Le FFS se garde, bien sûr, de désigner une partie mais il note que la persistance d'une violence latente depuis fin 2013 et que ces violences «marquées par des périodes de répit connaissent actuellement une forte intensité». Pour le FFS, l'urgence est donc de «déployer tous les moyens nécessaires pour rétablir et normaliser la situation». Mais il est difficile de ne pas constater également que l'Etat, réduit à ses forces de sécurité, perd pied dans la vallée du Mzab. Ce conflit et sa persistance illustrent, malheureusement, l'immense régression des esprits très largement induite par une gestion clientéliste. Il est manifeste aujourd'hui que les jeunes qui s'affrontent n'écoutent pas les relais traditionnels visibles du régime. Le mal n'ayant pas été traité - et pouvait-il l'être avec les instruments érodés qui ont prévalu jusque-là ? -, il s'aggrave et métastase. Les «représentations» agréées par le régime ne sont d'aucune utilité car n'ayant aucun embrayage social. Mieux, elles ont tendance d'ailleurs à se placer totalement sur une logique communautariste et à être sensibles aux plus radicaux. Ghardaïa est très clairement une illustration sinistre d'un échec. La preuve terrible et sans appel que le statuquo n'est pas la stabilité.