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Zone de tempête pour François Hollande

par Pierre Morville

Le président de la République française est, après deux ans de mandat, fortement contesté. Mais l'homme, intelligent, est encore pour trois ans à la tête de l'Etat?

Dans un climat extrêmement morose pour lui, François Hollande avait reçu la semaine dernière enfin une bonne nouvelle. Les quatre otages français enlevés il y a plus de trois ans sur le site minier d'Arlit dans le nord du Niger par Al-Qaeda au Maghreb islamique avaient été libérés. Mais quelques jours plus tard, l'Aqmi faisait exécuter au nord-Mali, deux journalistes français seulement coupables de faire leur métier?

Cet assassinat vient-il troubler le bilan positif de l'intervention militaire française au Mali ? Celle-ci était à hauts risques et dans le futur, le désengagement annoncé des troupes françaises est aujourd'hui très problématique. Pourtant l'intervention au Nord-Mali restera au crédit de François Hollande.

Mais en matière de politique étrangère, sur d'autres dossiers, l'orientation du président français est bien moins lisible. Sur la question syrienne notamment, François Hollande a prononcé il y a quelques mois, des discours « va-t-en guerre », menaçant Damas d'un appui armé très accentué des occidentaux aux opposants à Bachar El-Assad, n'excluant pas une intervention militaire directe. Il fut sèchement pris à contre-pied par Barack Obama, plus réaliste, qui préféra faire alliance avec Vladimir Poutine. Le chef de l'état russe avait en effet proposé de jouer la carte de la négociation avec Damas pour régler notamment le dossier de l'armement chimique. Le second revers pour François Hollande est que sur des dossiers comme le Mali, la Syrie ou d'autres, la France ne reçoit aucun appui du reste de l'Union européenne. Il est vrai qu'en matière de politique diplomatique commune, hors le rappel incantatoire aux « Droits de l'Homme », l'UE n'a strictement aucune position structurée?

Des Français très énervés

26%, 23%, 21% : selon les semaines, les sondages confirment de façon un peu sadique, la chute de popularité du président français : ses concitoyens et notamment ses anciens électeurs sont actuellement très remontés. Quel que soient les milieux socioprofessionnels, qu'il s'agisse d'ouvriers ou de très hauts cadres, l'âge, du jeune lycéen au retraité, la couleur politique, du « militant » de gauche au gars qui s'assume « franchement de droite », l'heure est en France au mieux au ronchonnement, au grommellement perpétuel, ponctué de plus en plus de souvent par de vraies clameur de colère. Les critiques les plus fréquentes portent sur le manque d'autorité de François Hollande notamment vis-à-vis d'un gouvernement où les ministres multiplient les déclarations ou les décisions contradictoires. Et il est vrai que c'est la pagaille, quel que soient les sujets traités ! Le gouvernement prend des mesures parfois ineptes ou à tout le moins peu compréhensibles. Il annonce solennellement ses décisions. Mais, quelques jours plus tard, devant la montée des contestations, il doit requérir à une nouvelle technique qui se généralise : le « rétropédalage ». En clair : « ce que je vous ai annoncé hier a été mal compris, ou peut-être insuffisamment préparée? Bref, on retire la mesure ou le décret. Ou peut-être on les suspend. Ou peut-être, on va les oublier? ». La dernière marche arrière, précédée d'une valse hésitation sur « l'eco-taxe » est particulièrement significative. Au départ, une idée plutôt de bons sens : c'est une taxe souhaitant limiter la pollution automobile sur le transport des marchandises. Elle a été proposée par le gouvernement précédent de droite et votée à la quasi unanimité des députés et sénateurs. Quel est l'objectif ? Pour réduire la pollution automobile, taxer les gros camions pour inciter les entreprises à utiliser les chemins de fer ou le transport fluvial, moins polluants et financer la modernisation de ces modes de transport. Les agriculteurs ont violemment manifesté en Bretagne dans les dernières semaines. L'éco-taxe est oubliée.

Plus généralement, le gouvernement socialiste a fortement alourdi la pression fiscale en appliquant les décisions prises par l'ancienne majorité et en prenant de nouvelles. Avec quelques « fausses bonnes idées simples » :

A gauche surtout, l'impôt est juste puisque redistributif : c'est vrai jusqu'à un certain point, notamment quand les revenus du capital, notamment sous la forme de dividendes sont protégés, au nom des possibilités laissées à l'investisseur potentiel alors que l'on veut taxer de modestes retraités.

Quelle que soit la couleur politique du gouvernement, les décisions concrètes en matière économique sont en réalité moulinées à leur sauce par les technocrates de « Bercy », le « Ministère de l'économie » français, pour qui la réduction des dépenses de l'état et l'équilibre budgétaire sont devenues des notions quasi divines. Avec deux compléments : élargir l'assiette de l'impôt à des couches de plus en plus populaires (au nom de la solidarité), épargner les entreprises (au nom de l'investissement créatif !).

Ce système de pensée s'est puissamment renforcé grâce au poids croissant depuis quatre décennies des « énarques », l'élite française issue de l'ENA, « l'Ecole nationale de l'Administration ». Celle-ci forme l'immense masse des très hauts responsables de l'état français et depuis une vingtaine d'année des directions des grandes entreprises. A ce niveau, la monoculture de la gentry est de règle. De gauche ou de droite, formé aux mêmes fausses évidences du libéralisme et de la nécessaire mondialisation, on pense tous un peu la même chose, surtout qu'on est plutôt proche du vrai pouvoir, du vrai pognon et très loin de l'Agence pour l'emploi ?

Cette présentation volontairement caricaturale des réalités n'est en tous cas pas tout à fait éloigné des discours qu'on entend quotidiennement dans les couches populaires et dans les classes moyennes françaises. De plus en plus agacées.

Un boulevard pour Marine Le Pen

Cet énervement fiscal et sociétal explique en partie la nouvelle progression du Front national dans les intentions de vote. Le parti de Marine Le Pen, habile tacticienne et bonne oratrice, flirte dans les sondages à 25% de voix, autant sinon plus que les scores recueillis par les deux grands partis traditionnels, le Parti socialiste et l'UMP, où Nicolas Sarkozy est peut-être tenté de faire un come-back pour les élections présidentielles de 2017.

« Trop de fiscalité, trop d'immigrés, pas assez de police, pas assez d'Etat » pourrait résumer le discours incessant du Front national. La formation d'extrême-droite dirigée par Marine Le Pen peut-elle bouleverser l'équilibre actuel de la société française ? Les échéances électorales de 2014 seront un signal. Toutefois, si il est certain qu'à l'occasion des élections européennes, les Français seront très tenté de sanctionner les partis traditionnels, en revanche, pour les élections municipales, l'élection la plus proche des Français après la présidentielle, un rééquilibrage devrait exister. En tous cas, il faut le souhaiter.

Car on assiste, il ne faut pas le contester, à une droitisation inquiétante de la société française. La peur de l'avenir, la conviction qu'aucun changement positif ne puisse intervenir, le refus de l'étranger, la hantise de l'agression (alors que toutes les statistiques montrent une baisse continue de la criminalité physique depuis un demi-siècle) peuvent s'expliquer par le maintien d'une grande insécurité sociale lié au chômage, aux baisses de revenus, aux menaces sur le système de protection sociale, et aussi par un vieillissement de la population française même si le phénomène est beaucoup moins important en France que dans le reste de l'Europe de l'Ouest.

De ce point de vue, François Hollande a pris le pouvoir dans un mauvais contexte. Il a été élu alors que les effets de la crise économique de la crise économique de 2008 se sont fait réellement sentir lors des deux premières années de son mandat présidentiel : ainsi, jamais les fermetures d'entreprises n'ont été aussi nombreuses. Par caractère, François Hollande, longtemps à la tête du parti socialiste, a toujours privilégié la « synthèse » à l'affrontement frontal. Mais les Français, par tradition très contestataires, n'adorent rien moins, notamment en situation de crise, que les chefs d'autorité. Il reste trois ans à l'actuel président de la république pour prouver sa détermination.

Les choix européens de François Hollande

Le second problème qu'il rencontre repose sur ses premiers choix de politique économique. Fortement impulsée par l'Allemagne, l'orientation choisie par les pays européens, -strict contrôle budgétaire et austérité sans précédent- ont aboutit à une quasi faillite des pays de l'Europe du Sud sans relancer ailleurs la compétitivité et le retour de la croissance. Même le FMI ( !) constate que les politiques de rigueur extrême sont aujourd'hui contre-productives.

L'assèchement des dépenses publiques combiné avec une baisse des revenus disponibles des ménages, au nom d'un financement des investissements des entreprises, ne fonctionne pas : les entreprises n'investissent pas et la consommation stagne !

La troisième question stratégique que François Hollande devra affronter, avec lucidité voire avec cynisme, est le dilemme européen. Disciple de Jacques Delors, l'actuel président de la République française est un européen convaincu. Il n'empêche. Car la situation de l'Union européenne est très problématique par ses non-choix.

L'UE n'a pratiquement aucun consensus en matière de politique étrangère. Qu'il s'agisse des relations aux autres grandes puissances (USA, Chine, Russie?), des relations bilatérales avec des continents proches (Afrique, Moyen-Orient), du rôle des grands organismes internationaux, grand sorcier est celui qui peut expliquer la cohérence des prises de positions entre, par exemple, les trois pays les plus importants de l'UE, l'Angleterre, l'Allemagne et la France.

En matière de politique économique, l'incohérence semble encore plus grande, masquée par des discours d'une certitude absolue et des compromis secrets de chancelleries. La valeur de l'Euro et sa surévaluation actuelle est certainement une question nodale. Mais les mécanismes mêmes des prises de décision sont parfaitement ubuesque. Dernier exemple pris dans l'actualité récente, l'accord de libre échange signé entre l'UE et le Canada (qui prépare un accord identique avec les USA). Le texte est signé mais il n'est pas public ! Les gouvernements, les parlements, les citoyens des 27 pays de l'UE n'y ont pas accès ! Karel De Gucht, commissaire européen au Commerce, qui a mené les négociations, avec l'appui de José Manuel Durão Barroso, le président de la Commission européenne justifie cette affaire en précisant que « ce n'est pas un accord classique de libre-échange ». En d'autres termes : « vous êtes un peu trop stupides pour comprendre les enjeux stratégiques de la Môôôndialisation ».

Bref, François Hollande est dans une zone de tempête. Il bénéficie néanmoins de trois atouts : il est fermement convaincu de la justesse à terme de son orientation générale, il est très habile, il a encore trois ans devant lui pour retourner la situation.

NSA : « nous, on n'y est pour rien »

Dans le domaine « plus c'est gros, plus cela a une chance de passer » il faudra garder en mémoire la déclaration du Chef de la NSA, mis en cause sur ses activités d'espionnage intrusif de la planète.

Les Etats-Unis ont catégoriquement rejeté la semaine dernière les récentes accusations sur l'interception de communications en Europe par leurs services d'espionnage, affirmant que ces données leur avaient été fournies par des agences de renseignement européennes. Faux coup de théâtre dans cette affaire qui empoisonne les relations entre Washington et plusieurs de ses alliés européens, ces affirmations ont été formulées sous serment, devant le Congrès, par le patron de l'agence de sécurité nationale (NSA), le général Keith Alexander.

Néanmoins, la veille, le président Obama a souligné qu'il avait lancé un réexamen des opérations de collecte de renseignement, notamment par la NSA, «pour être certain que ce qu'ils sont capables de faire ne devienne pas ce qu'ils doivent faire».