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Assassinat de Haroun et Brahim: «Une ville sans enfants»

par A. Zerzouri

Ni le débat - qui revient en force - sur l'application dans toute sa rigueur de la peine de mort, car aujourd'hui non seulement on réclame la peine capitale contre les deux criminels, mais on revendique leur exécution sur la place publique à travers un large affichage, hier, sur tous les murs de la nouvelle ville Ali Mendjeli, les affiches en question dont l'origine demeure non identifiée appellent, aussi, à un arrêt de toute activité commerciale et professionnelle le dimanche 17 mars, ni les rassemblements et autres marches de protestation ne peuvent traduire le profond traumatisme creusé dans les sillons de la conscience collective, comme le laisse voir le profond repli sur soi de la cellule familiale algérienne.

 Hantée, voire foudroyée par le dernier kidnapping suivi d'une mort atroce de deux innocentes victimes, la population vit dans un cauchemar, dans l'effroi de subir cette terrible épreuve. Les enfants qui emplissaient les rues de la nouvelle ville Ali Mendjeli, et de toutes les villes du pays, ont brusquement disparu du décor presque dans un acte concerté. « La ville sans enfants », répètent avec stupeur les habitants et les visiteurs de passage à la nouvelle ville Ali Mendjeli. « C'est le cas de le dire pour toutes les régions du territoire, partout les enfants se terrent chez eux », le soulignait, hier, un Skikdi de passage dans cette localité ébranlée par le double assassinat commis contre les enfants Boudaïra Haroun et Hachichi Brahim. Dans les rares cas où l'on aperçoit un enfant, il est automatiquement retenu à la main par une personne adulte. La peur se traduit dans ce geste « protecteur », pas question de perdre de vue les enfants pour un instant, même lorsque la mère ou le père est occupé à payer le marchand de légumes, c'est l'enfant qui s'agrippe à la veste de son accompagnateur, a-t-on pu constater de visu. Le degré de méfiance a atteint son summum, on nage en plein dans la psychose de l'enlèvement des enfants.

 Le lendemain de la découverte macabre mardi dernier, peu d'écoliers ont rejoint les classes de cours, une dizaine d'élèves en moyenne par classe ont répondu « présents » à l'appel des enseignants, selon plusieurs témoignages de directeurs et d'enseignants de la nouvelle ville Ali Mendjeli. « Des parents attroupés devant les écoles à la sortie des élèves, cela faisait partie du décor ambiant depuis des mois, mais un tel regroupement massif des parents en attente de leurs chérubins, c'est du jamais vu », commentait la situation une mère de famille habituée à la corvée du va-et-vient avec son fils depuis la rentrée scolaire. Des pères de famille pestaient contre ce climat d'insécurité qui envenime leur existence et perturbe leur travail. « Je ne sais plus où donner de la tête, je pense sérieusement à prendre un congé pour pouvoir accompagner mes deux enfants à l'école, car leur mère qui a l'habitude de le faire se trouve malade ces jours-ci », se lamente un père de famille. Même si les enlèvements sont signalés loin des établissements scolaires, on ne peut plus prendre le risque de laisser sa progéniture rejoindre l'école sans accompagnateur.

 Acte isolé ou crime organisé, toute la société est secouée par les drames qui se répètent un peu partout depuis le mois de décembre dernier d'une façon franchement inquiétante. Il n'y a qu'à voir cet élan de solidarité et de soutien manifesté à l'égard des familles des victimes, durement éprouvées par cette pénible circonstance, pour croire à un réveil des consciences. « Si le mal touche à ton voisin, il frappe à ta porte », le vieux dicton répété trouve avec ces drames qui secouent la société tout son sens. Toute la sympathie des pères, des mères et de tous les enfants du pays est exprimée aux familles des deux victimes innocentes. Ils sont venus de loin, des wilayas limitrophes et d'Alger pour présenter leurs condoléances et apporter leur soutien aux deux familles endeuillées. « Mais, nous dira l'un des oncles de Boudaïra Haroun, nous craignons sérieusement des complications sur le plan psychologique des parents lorsque toute cette animation faite de chaude solidarité cessera, il faut penser à gérer la période qui va suivre ». Les parents et proches des deux victimes se trouvent sous le choc insondable de la perte si brutale de leurs fils, mais ils refusent de s'inscrire dans une logique de vengeance tout aussi brutale ou de suivre les appels à la manifestation publique. « Nous voulons savoir la vérité, toute la vérité, sur ce crime abominable et nous exigeons un châtiment exemplaire, voilà en tout, et pour tout, notre revendication », nous dira l'un des oncles du défunt Haroun.