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Abderrahmane Benkhalfa : «Une autorité de régulation monétique pour protéger les utilisateurs»

par Abdelkader Zahar

Le paiement en ligne ce ne sera pas possible avant 2015, par contre le paiement électronique par carte devrait être généralisé dans deux ans, nous explique Abderrahmane Benkhalfa, conseiller économique indépendant. Dans cet entretien, l'ex-Délégué général de l'ABEF évoque les "réglages nécessaires" et ceux en cours avant de passer à ces modes de paiement dématérialisés.

C'est pour quand le paiement électronique en Algérie ?

Abderrahmane Benkhalfa : Le retrait électronique est derrière nous. Le paiement électronique qui permet de régler des achats avec une carte, c'est le cœur du métier. Ça a démarré dans les grandes enseignes, dans les grands hôtels, mais ça reste timide. Il ne s'agit pas seulement d'un travail de banque ou de la SATIM (Société d'Automatisation des Transactions Interbancaires et de Monétique), mais d'un travail d'acclimatation du public. Il faut que les usagers et les commerçants aient confiance dans cette forme de paiement dématérialisée. Souvent, le commerçant pense que la traçabilité peut lui être défavorable.

Depuis le temps qu'on en parle, ça prend beaucoup de temps à s'installer.

Beaucoup de choses prennent beaucoup de temps chez nous. C'est notre comportement.

Y a-t-il un deadline ?

Je n'ose pas parler au nom des banques. Elles ont leurs représentants. Mais je pense que nous devrions sceller le destin d'un paiement généralisé dans les deux années à venir. C'est d'abord un travail des banques. D'ailleurs ce sont les banques qui en tireront profit parce qu'elles vont bancariser les usagers. Parce que quelqu'un qui n'a pas de compte bancaire ne pourra pas utiliser une carte de paiement. C'est aussi le travail du switch national qui est la SATIM. On n'a pas besoin d'être tous dans une même banque. Il y a 28 banques d'un côté et des millions de clients d'un autre. Mais c'est aussi les commerçants qui doivent considérer cela comme une caisse. Le commerçant ne doit pas faire une différence entre le terminal de paiement et une caisse qu'il ferme le soir.

Combien de commerçants ont accepté ce mode de paiement ?

Je pense qu'environ 5000 TPE (terminaux de paiements électroniques) ont été distribués, en particulier à Alger et dans les grandes villes. C'est très peu. Mais il faut savoir qu'en matière de monétique, il faut arriver à une massification de l'usage des TPE. Les 5000 sont utiles pour se «faire la main». Les banques les ont utilisés pour vérifier tous les couacs et les opérations qui posent problèmes. Je pense que l'infrastructure technologique est en place. Et si demain toutes les entreprises qui ont un volume de clientèle important, comme Sonelgaz, Naftal, Seaal, compagnies aériennes, Algérie Télécom et autres opérateurs téléphoniques, venaient à mettre au niveau de leurs caisses des TPE, cela permettrait de lancer réellement le paiement électronique.

Si on peut comprendre le petit commerçant qui ne veut pas que son chiffre d'affaires soit connu, ce n'est pas le cas des grandes entreprises que vous citez.

Exactement. Ces entreprises doivent mettre le paiement électronique dans leurs priorités stratégiques, parce que ça fait partie de l'augmentation du chiffre d'affaire.

C'est à l'Etat de fixer une date limite.

L'obligation légale revient à l'Etat. Mais dans tous les pays, le paiement électronique vient après que tous les circuits fonctionnent. Je pense que la forte proximité entre les banques et ces sociétés, est au cœur de l'expansion de demain. Plus les banques arrivent à convaincre ces opérateurs qu'ils gagnent économiquement, mais également sur le plan sécurité, et donc d'élargir le nombre de TPE, plus on avancera. D'un autre côté, ces grandes entreprises doivent intervenir pour convaincre davantage de clients à l'usage des TPE. Il faut aussi qu'au sein de ces entreprises, une remise en ordre de leur système de paiement. Pour que les flux électroniques, qui ne sont plus des entités physiques localisées, puissent fonctionner en garantissant à tout moment, non seulement les soldes, les paiements, et les lieux de paiements, et en veillant à ce qu'une opération qui ne débouche pas quelque part soit repérée. Car il faut aussi rassurer le client que son opération est bouclée le jour même, débitée le jour même, et que s'il y a quelque chose qui ne permette pas de le débiter, il doit en être informé.

Qu'en est-il du paiement sur Internet ?

Ce sera la 3e phase. Il faudra commencer par de petites opérations de test, comme le paiement des billets d'avions pour Air Algérie. Autant il faut préparer sérieusement cette phase maintenant, autant il faut donner la priorité d'abord au paiement avec contact physique, par carte bancaire, avant d'aller au paiement électronique à distance.

Nos voisins sont pourtant bien avancés dans le domaine.

Dans tous les pays ouverts au tourisme international, ce sont les transactions sur des cartes internationales qui ont boosté l'usage des cartes nationales. Cela étant dit, nous avons un retard évident. Et c'est pour cela que les banques, les grands facturiers et commerces, ainsi que la clientèle, chacun doit pousser vers l'instauration de ce produit.

Il faudra encore combien de temps pour aller vers le paiement en ligne ?

Nous avons refais le système autoroutier en six ans, il ne faudra pas que cela prenne plus de temps pour le paiement sur Internet. Je pense, honnêtement, que 2015 peut être une échéance raisonnable pour le paiement en ligne.

Légalement est-ce que ça pose encore problème ?

Il faut encore quelques réglages, pas seulement du côté bancaire, mais vers un verrouillage du champ des sites marchands pour qu'ils remplissent le minimum de conditions. Il ne faut pas que ces sites baissent le rideau après avoir débité les cartes des clients. On a besoin de protéger le consommateur. Ce n'est pas un préalable, il faut y aller, ne serait-ce que par des opérations test avec des acteurs importants. Lorsque les gens sauront qu'ils pourront acheter sur Internet avec Air Algérie, ils seront en confiance pour le faire avec d'autres sites.

On a l'impression que chaque acteur (banques, ministères, SATIM, opérateurs) rejette la balle sur les autres. Ne faudrait-il pas aller vers des états généraux du commerce électronique, regrouper tout le monde pour faire tous les réglages possibles ?

Il y a nécessité d'un réglage des mécanismes institutionnels qui sont à la base d'une politique monétique. Nous avons besoin de procéder à une architecture d'un système monétique national. Ce travail est entrain de se faire. Une fois ces réglages apportés, il faudra peut être réfléchir à créer une autorité de régulation monétique pour protéger les utilisateurs. Parce que l'opérateur n'est pas l'autorité. Il faudra aussi ne pas négliger le travail de communication envers le public pour lui vendre la confiance en ce genre de paiements, mais aussi la rigueur dans ces opérations. Lui expliquer qu'une fois qu'il décide d'acheter un produit, et que l'opération est engagée, il n'y a plus possibilité de revenir sur la transaction.

Beaucoup s'étonnent du discours officiel prônant la lutte contre le blanchiment et le commerce parallèle, alors que rien n'est fait pour assurer cette traçabilité.

Techniquement, les choses se mettent en place. Légalement, c'est aux autorités d'aller de l'avant dans le sens d'une normalisation des procédures. Il faut aussi régler certaines questions liées aux tarifs, aux remboursements lorsqu'une opération n'a pas abouti. Et pour le paiement à distance (sur Internet), il faut veiller que l'acteur soit connu, respecte la déontologie, et qu'il puisse répondre à tout moment de ses actions.