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L'effervescence sociale en Tunisie continue : Quand Sidi Bouzid bouge, Tunis tremble

par Salem Ferdi



Quand Sidi Bouzid bouge, Tunis aurait tort de ne pas s'inquiéter. Les islamistes d'Ennahdha, en charge du gouvernement tunisien, ne l'ignorent pas : à Sidi Bouzid, la rebelle, ils ont enregistré un mauvais score lors des dernières élections.

C'est que, dans ce bastion de la révolution, les furieux débats politico-idéologiques qui agitent Tunis ne font pas oublier le fait que la question sociale est au centre de tout.

Des dizaines de personnes se sont rassemblées, hier, devant le tribunal de première instance de Sidi Bouzid, au centre-ouest de la Tunisie, pour réclamer la libération des manifestants interpellés lors des violences qui ont eu lieu jeudi dans cette ville. Huit personnes se trouvaient samedi en détention préventive après avoir cherché à entrer de force au siège du gouvernorat (préfecture) de Sidi Bouzid, lors d'une manifestation de l'opposition jeudi. Car à Sidi Bouzid, on a, de nouveau, manifesté jeudi dernier, devant le siège du gouvernorat où le jeune Bouaziz s'était immolé par le feu, allumant du même coup une révolte qui allait renvoyer le président Ben Ali en Arabie Saoudite et faire des émules dans d'autres pays arabes. Les manifestants, choqués par une répression où il a été fait usage de balles en caoutchouc, réclamaient le départ de tous ceux qui incarnent l'autorité : le gouverneur, le chef de la police et le procureur. C'est surtout un «rappel», qui vaut aussi bien pour les islamistes d'Ennahdha que pour le reste de classe politique ; la question sociale est au cœur de la révolution.

LE RAPPEL DU PAYS «OUBLIE»

Un rappel aussi que le vent de liberté qui souffle sur la Tunisie a été apporté par le pays «oublié» par Ben Ali. Cet arrière-pays, par opposition à la région côtière un peu mieux nantie, a le sentiment que les choses ne bougent pas et que l'état de marginalisation qu'il subissait perdure. A Sidi Bouzid, la tension est vivace depuis des semaines et un bureau du mouvement Ennhadha avait été attaqué par des manifestants qui réclamaient leur paie. C'était une première manifestation sociale qui a reçu une réponse très répressive, avec usage de gaz lacrymogènes et tirs de sommation. La tension est montée de plusieurs crans jeudi. Une manifestation, à l'appel de plusieurs partis d'opposition, réprimée par les forces de l'ordre, a fait 5 blessés, dont un touché par une balle en caoutchouc et les 4 autres intoxiqués par des gaz lacrymogènes. D'autres manifestations ont suivi où des habitants de la localité de Thyna (Sfax) qui protestaient contre le manque d'eau, ont coupé la route Sfax-Gabès. A Kasserine, des manifestants qui réclamaient des indemnités pour les victimes de la révolution de 2011 ont pénétré dans la cour du gouvernorat (préfecture) en criant des slogans contre le gouvernement. La question de l'indemnisation des victimes a pris un tour très polémique quand le gouvernement a annoncé qu'il indemniserait également les prisonniers politiques de l'ancien régime, en majorité des islamistes. A Sidi Bouzid, l'union régionale de l'UGTT, a lancé un appel à la grève pour le 14 août prochain. «Nous dénonçons une campagne d'arrestations dans la région» de Sidi Bouzid, a déclaré Ali Zarii, responsable de l'UGTT, la centrale syndicale locale.

«DISCOURS GUERRIERS»

Le gouvernement est ouvertement contesté par ces manifestations de colère sociale qui pèsent, en tout cas, plus lourdement que les débats idéologiques qui agitent la capitale tunisienne. La pression sur le gouvernement était suffisamment forte pour pousser le leader du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi à dénoncer les discours «guerriers» des médias qui attisent, selon lui, les tensions et dressent les partis politiques, les uns contre les autres. Il a également critiqué la multiplication des appels à la grève et notamment de la part de l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT). Cette effervescence sociale, peut-elle avoir des incidences politiques ?

Certains évoquent une possible jonction entre ces mouvements sociaux et les inquiétudes exprimées au sein de certains courants «laïcs», au sujet des intentions liberticides. Cela reste à démontrer. Car sur le fond, la piqûre de rappel que le pays profond envoie à Tunis, ne concerne pas que le mouvement Ennahda. Certes, celui-ci ayant la charge du gouvernement est directement concerné ; mais toute la classe politique tunisienne est concernée : les débats idéologiques qui se déroulent à Tunis sont très loin des attentes économiques et sociales de l'arrière-pays. Sidi Bouzid est un avertissement pour tous.