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UN MARIAGE NON CONSOMME ET DES CALCULS

par M. Saadoune

« L'encre des signatures sur le contrat n'avait pas encore séché que le parrain de la mariée l'a rappelée à la raison. Reprends tes esprits! Car ma colère jupitérienne va frapper cet arrogant paltoquet». C'est dans un style fort imagé qu'un observateur attentif de la situation au Sahel décrit le dernier rebondissement dans l'Azawad, avec la dénonciation par le MNLA de l'accord conclu avec son allié et rival Ançar Eddine.

Le MNLA (Mouvement national de libération de l'Azawad) a en effet annoncé officiellement la fin du projet de mariage conclu le 26 mai dernier avec le groupe rebelle islamiste. Officiellement, selon le communiqué de son bureau politique, c'est à cause de «l'intransigeance d'Ançar Eddine sur l'application de la charia dans l'Azawad» et pour rester «fidèle à sa ligne de conduite résolument laïque» que le MNLA dénonce l'accord avec le groupe islamiste et «en déclare nulles et non avenues toutes dispositions y afférentes».

L'argument laisse franchement sceptique. Le MNLA n'ignorait pas, dès le départ, qu'Ançar Eddine avait pour objectif l'instauration de la charia et il était exclu que l'organisation de Iyad Ag Ghali renonce à l'un de ses principaux objectifs. Les documents signés entre les deux parties sont sans équivoque. C'est bien le MNLA qui change de position après être allé dans une direction qui a suscité des interrogations. Et, sans nul doute, de vives remontrances à l'extérieur.

Il faut bien décrypter ce mouvement en deux temps. Le MNLA, qui a proclamé «l'Etat de l'Azawad», s'est retrouvé largement dépassé sur le terrain par Ançar Eddine. Le groupe islamiste, qui reçoit l'appui de la nébuleuse Aqmi, du Mujao et de Boko Haram, s'est avéré plus «riche», mieux armé et plus «jeune» que le MNLA, composé de vieux routiers et d'ex-soldats de Kadhafi en reconversion au nord du Mali. D'après certains observateurs, si le MNLA a songé à un mariage en bonne et due forme, c'est pour accompagner une tendance des jeunes du mouvement à rallier les rangs d'Ançar Eddine. L'accord était, de facto, une reconnaissance de la suprématie d'Ançar Eddine dans la région de l'Azawad.

Le MNLA, sans doute tancé de l'extérieur, a décidé dans un deuxième temps de prendre ses distances et de refuser la dilution dans un groupement où les islamistes n'auraient pas de difficulté à s'imposer. Il est plus que probable que ce revirement à 180 degrés soit le fruit d'une recommandation pressante de sponsors extrarégionaux. Le MNLA, en position de faiblesse militaire, escompte sans doute que sa prise de distance à l'égard d'Ançar Eddine lui apportera un soutien externe plus consistant. Entre la crainte, exprimée à haute voix, de voir une partie de ses éléments rejoindre Ançar Eddine et l'isolement extérieur, le MNLA a choisi. Il entre en quelque sorte dans la «global war» contre le terrorisme et espère devenir un recours contre Ançar Eddine, dont les accointances avec la nébuleuse terroriste suscitent des inquiétudes en Occident et dans la région.

Ançar Eddine, dont les alliés du Mujao menacent d'assassiner les otages algériens, pourrait en définitive faire l'objet d'un traitement militaire prioritaire. En prenant ses distances, le MNLA, en mauvaise posture, semble s'attendre à ce type de «traitement», évoqué la semaine dernière à Paris par Yayi Boni, président en exercice de l'Union africaine et chef de l'Etat du Bénin. Cela permettrait de changer le rapport de force sur le terrain. Mais pour l'ensemble de la région, ce sont des perspectives agitées et dangereuses qui s'annoncent et s'énoncent.