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Dix milliards de dollars pour cinq raffineries en Algérie: un choix contesté

par Hamid Belarbi

Cinq nouvelles raffineries sont projetées en Algérie pour répondre à une demande croissante notamment en gasoil. L'opportunité d'un tel investissement est contestée par des experts qui estiment qu'une prise de participation dans des raffineries en Europe serait plus judicieuse. Pour d'autres, il ne faut pas renoncer à l'idée de contrer l'explosion de la demande de gasoil en Algérie.

Cinq nouvelles raffineries seront construites en Algérie, elles coûteront environ dix milliards de dollars, selon une déclaration du ministre de l'Energie et des Mines, Youcef Yousfi, il y a quelques jours. Ces raffineries seront réparties sur tout le territoire national comme suit : trois sur les Hauts-Plateaux, une au sud du pays et une autre au nord, sur la bande côtière. Dans son plan d'investissement, Sonatrach a prévu 4,2 milliards de dollars pour réhabiliter les raffineries d'Arzew, de Skikda et d'Alger et les moderniser. L'opération qui a été mise en route, devrait faire passer les capacités de raffinage de vingt-sept millions de tonnes par an actuellement à trente-trois millions de tonnes. Mais la question est posée chez les spécialistes : mettre dix milliards de dollars dans le raffinage est-il un choix judicieux et réfléchi ? C'est une «mauvaise idée», nous explique un expert en énergie. Il argue que du fait de la crise internationale, le secteur du raffinage, à l'échelle internationale, connaît une mauvaise passe et beaucoup de raffineries sont en surcapacités aujourd'hui. Dans une conjoncture pareille, recommande cet expert, Sonatrach devrait plutôt s'intéresser à des prises de participations dans des raffineries en difficultés, dans des pays affectés par la crise.

Des avantages à prendre des raffineries en Europe

Un point de vue assez partagé par Mustapha Benkhemou, ancien cadre au ministère de l'Energie et des Mines, chargé des études prospectives et stratégiques. «Pourquoi ne pas acquérir des capacités de raffinage à l'étranger ?», s'interroge Benkhemou en soulignant que le raffinage européen (quelque cent quinze raffineries) souffre de surcapacités structurelles. Il y a aujourd'hui vingt à vingt-cinq raffineries qui sont soit à l'arrêt, soit en vente. Pour Mustapha Benkhemou, cette option mérite d'être étudiée attentivement. Elle présente deux avantages : ce serait une manière concrète de renforcer la stratégie d'internationalisation des activités de Sonatrach. Et cela éviterait à l'entreprise nationale de surinvestir on-shore dans des installations de raffinage uniquement à faire face à l'explosion, qui n'était pas, inévitable de la demande en gasoil. La diésélisation accélérée du parc roulant national aurait pu, en effet, être jugulée par une taxation différentielle profitable aux essences légères et au GPLc. Le gouvernement a bien essayé, en 2003, de faire voter une taxe parafiscale qui devait augmenter le prix du gasoil et faire baisser celui de l'essence, du GPL et du GNL. La disposition a été cependant rejetée par le parlement dans un de ces rares, pour ne pas dire unique, niet à un projet gouvernemental. Conséquence, le nombre de véhicules roulant au gasoil a augmenté dans des proportions alarmantes.

«Il faut contenir la demande !»

Cette demande en gasoil au rythme ascendant, il faut la contenir, estime Mourad Preure, président du cabinet Emergy. Selon lui, il n'est pas normal que la consommation de carburant augmente de sept pour cent, par an, en Algérie. Mourad Preure rappelle une évidence et met en relief les prix des produits pétroliers dans les pays développés : quand les cours du brut augment (c'est le cas aujourd'hui), les prix des produits raffinés, dont le carburant, augmentent, sachant que les taxes parafiscales comptent pour 70% dans la structures des prix du carburant dans beaucoup de pays. Pour le président de Emergy, une raffinerie ne peut être rentable (les prix optimums) que si elle dispose d'une capacité de raffinage de trente millions de tonnes par an. Une raffinerie de taille moyenne nécessite environ quatre milliards de dollars d'investissements. Aussi, Mourad Preure estime plus judicieux de mettre les dix milliards de dollars sus-évoqués dans le développement des réserves pétrolières. Beaucoup de compagnies pétrolières ont disparu, parce qu'elles se sont engagées dans du raffinage, rappelle-t-il. Mustapha Benkhemou note, lui, que l'investissement dans une raffinerie dépend d'une série de facteurs, dont la situation géographique (sur la côte, à l'intérieur des terres, l'altitude,? la nature des bruts à traiter -une ou plusieurs qualités, lourd(s) ou léger(s), soufrés ou pas,?). Pour lui, implanter une bonne partie de ces nouvelles capacités de raffinage dans les Hauts Plateaux est «plus contestable». Explication : le pétrole algérien, c'est du «champagne» et il faudra importer du brut lourd pour faire du gasoil. Ainsi l'économie que va générer la distribution de proximité des produits raffinés ne compensera pas les coûts de mise à disposition de bruts lourds importés, indispensables à la production des fractions lourdes demandées par le marché (gasoil notamment). Elle ne compensera pas la pollution de terres à vocation agricole et la désertification des campagnes. Dans ce cadre, il estime que l'implantation d'une grande raffinerie à Tiaret, sur laquelle la décision définitive n'a pas été prise, serait une aberration. Le bilan-eau de ce projet est catastrophique ; pour faire tourner ce futur «pôle industriel», il est prévu de pomper de l'eau dessalée depuis la côte jusqu'à Tiaret. Résultat : l'Algérie risque d'avoir une raffinerie qui tournera à 20% de ses capacités et détournera la population locale de sa vraie vocation, l'agriculture et les industries agro-alimentaires. L'arbitrage, qui n'a pas été encore fait, sera lourd de conséquences?