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Algérie-France : Hollande sur un terrain inutilement compliqué

par Abed Charef

L'élection de François Hollande a été accueillie avec soulagement par nombre d'Algériens, pour qui Nicolas Sarkozy était devenu insupportable. Mais ceci ne garantit pas pour autant des relations apaisées entre les deux pays.

Au départ, l'Algérie officielle n'appréciait que modérément François Hollande. Vu d'Alger, le nouveau président français ressemblait trop à cette IVème république qu'il a fallu abattre pour ouvrir une voie vers la négociation puis l'indépendance de l'Algérie. L'homme apparaissait aussi comme un apparatchik indécis, toujours à la recherche d'improbables consensus, pendant que le monde avançait à un rythme effréné. On lui préférait un Nicolas Sarkozy, à la pensée rustre, primaire, mais simple et compréhensible. Sarkozy était vu comme un homme d'action, et pour un pays qui a toujours privilégié l'action sur la réflexion, on pensait qu'il était possible de s'entendre. Jusqu'au jour où Sarkozy a décidé de passer à l'action en Libye. C'est alors que les dirigeants algériens se rendirent compte qu'ils avaient affaire, non à un homme d'action, mais à un dangereux aventurier.

Il a fallu se résigner et se rabattre sur François Hollande. Sans enthousiasme, avec un réalisme très mesuré. Puis on se mit à souligner les mérites du personnage: l'homme était prévisible, il avait une cohérence, on peut parler avec lui de projets et de politique. Ensuite, les choses ont évolué, François Hollande a commencé à se révéler, et les Algériens ont, peu à peu, découvert un dirigeant qui avait une véritable épaisseur politique, pas seulement un homme d'appareils tapi dans les sphères dirigeantes d'un parti de gauche. On commença même à lui trouver des qualités. Avec lui, les Algériens résidant en France, les Français d'origine algérienne et les Maghrébins de manière générale, ne seraient plus maintenus sous pression, comme ils l'avaient été sous Sarkozy. On ne leur parlerait plus d'identité nationale. Et puis, le bilan était si décevant avec Sarkozy et, avant lui, avec Chirac, qu'avec la gauche, ça ne pouvait être pire, se disait-on à Alger. Ce qui explique peut-être l'empressement du président Abdelaziz Bouteflika à féliciter François Hollande, et à lui affirmer sa «disponibilité à œuvrer en faveur d'une coopération algéro-française qui soit à la hauteur des potentialités des deux pays, et en adéquation avec la dimension humaine de nos relations». Le chef de l'Etat a même renouvelé une offre pour bâtir un «partenariat d'exception».

Sur un autre plan, la gauche française, traditionnellement pro-israélienne, a été doublée par la nouvelle droite, encore plus alignée sur Israël. Sur le Sahara Occidental aussi, la préférence va à la gauche. Quant à la situation au Sahel, elle est partiellement imputable à Nicolas Sarkozy. François Hollande a affirmé des dispositions nettement meilleures. Mais les relations politiques entre deux pays comme l'Algérie et la France ne sont pas faites que de bonnes intentions. François Hollande devra, très vite, faire face à une réalité autrement plus difficile. A commencer par ce constat : le nouveau chef de l'Etat français est un président qui s'installe, le pouvoir algérien est finissant. Hollande veut gérer l'avenir, les dirigeants algériens restent braqués sur le passé. Symboliquement, une des premières actions publiques algériennes a été, dès l'élection de François Hollande, d'exiger de la France de reconnaître les massacres du 8-Mai 1945. Revendication légitime qui met François Hollande sous pression, mais qui ne le met pas forcément dans les meilleures dispositions envers l'Algérie.

Sur la guerre d'Algérie, François Hollande n'a pas de blocages particuliers. Ses premiers engagements politiques ont été marqués par une opposition à un père qui était partisan de l'Algérie française. C'est dire si l'homme avait du caractère et des convictions. Mais cela n'offre pas de garanties que ça se passera bien avec l'Algérie, pour de multiples raisons. François Hollande avait pour thème de campagne «le changement, c'est maintenant». Il n'est pas nécessaire de faire de grandes analyses pour comprendre que les dirigeants algériens ne sont pas très chauds pour de telles idées. L'avènement de François Hollande va également imposer de nouvelles équipes et de nouvelles générations au pouvoir en France. Celles-ci n'ont pas leur équivalent en Algérie, ce qui risque de multiplier les incompréhensions. Que pourra dire un Emmanuel Valls, né en Espagne, naturalisé Français, quand il sera ministre et s'adressera à Daho Ould Kablia, héritier du MALG et organisateur des élections législatives en Algérie?

Autre élément de divergence, la France a des priorités dans lesquelles ne figure pas l'Algérie. L'Europe, l'euro, la crise sont des urgences pour la France. L'Algérie, la Méditerranée, l'Afrique, ce sera pour plus tard, du point de vue François Hollande. Ce qui devrait le pousser à faire adopter, envers l'Algérie et la Méditerranée en général, une politique sans relief dans un premier temps, en attendant l'avènement d'un nouveau pouvoir en Algérie, éventuellement en 2014. Viendra peut-être, à ce moment-là, le temps des bâtisseurs de grands projets communs.

Dans l'intervalle, il faudra gérer les affaires courantes. Sur ce terrain, l'économiste Mourad Goumiri estime que François Hollande «s'adressera au pouvoir algérien actuel comme à un partenaire faible, à durée limitée, et sans vision stratégique à moyen et long termes». Ce qui donnera une «nouvelle phase tumultueuse» dans les relations bilatérales, avec «la mise en œuvre d'une politique à court terme, de marchés juteux pour des petites minorités des deux côtés de la Méditerranée, en lieu et place d'une politique de co-développement à moyen et long termes». On est loin, très loin, de l'émotion suscitée par l'élection de François Hollande, et du symbole de ces drapeaux algériens brandis place de la Bastille pour fêter la victoire du nouveau chef de l'Etat français.