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Peur bleue

par M. Saadoune

Il n'est pas aisé pour l'Algérie, comme pour d'autres pays de la région, de se prononcer dans le détail sur une crise malienne qui a été grandement compliquée par un coup d'Etat intempestif mené par des officiers subalternes dont le niveau politique est affligeant. La rébellion targuie, dont la faction islamiste est mise en relief par les médias, a pleinement profité d'un coup d'Etat dont le seul effet a été d'accélérer la débandade générale des garnisons de l'armée au Nord. Elle contrôle bien l'ensemble du territoire de l'Azawad mais cette victoire militaire, obtenue sans combat réel de l'armée malienne, reste en suspens...

Il est improbable qu'un Etat de l'Azawad puisse être reconnu au niveau international même si le chef du MNLA tente judicieusement de faire valoir qu'il aura un effet stabilisateur pour la région saharo-sahélienne. En réalité, en l'état actuel des choses, pour les Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) et même pratiquement l'ensemble des Etats du continent, la création de l'Etat de l'Azawad suscite une peur bleue. Et ce n'est pas un simple jeu de mots en rapport avec les «hommes bleus». Le MNLA tente de faire valoir que les Targuis connaissent mieux le terrain que les militaires de la «lointaine» Bamako et qu'ils sont en mesure de gérer plus efficacement la menace créée par l'incrustation des groupes djihadistes d'Aqmi et d'autres dans la région.

L'argument est déjà battu en brèche, médiatiquement au moins, par la mise en évidence d'Ançar Eddine et des affirmations sans cesse répétées d'une participation des djihadistes d'Aqmi à la guerre contre l'armée malienne. Mais cela n'est qu'un aspect. Même si, comme certains le pronostiquent, le MNLA pourrait ne pas tarder, une fois bien installé, à essayer de montrer patte blanche en se lançant dans une guerre contre Aqmi, cela ne rendra pas pour autant l'idée d'un Etat Azawad attrayante pour les pays de la région. C'est qu'au fond, dans l'ensemble de ces pays, l'effort plus que médiocre d'intégration des populations et les faiblesses des Etats sont un terrain fertile pour le développement de courants séparatistes ou centrifuges. L'érection d'un Etat de l'Azawad est, nécessairement, une remise en cause de plus du principe de l'intangibilité des frontières. Un principe qui, la plupart des spécialistes l'admettent, a largement permis une stabilisation de la situation d'une Afrique où les pays ont été tracés à la règle par le partage colonial.

Pour les pays africains, la concession à l'apparition d'un nouvel Etat qui ébrèche le principe (l'Erythrée et plus près le Sud-Soudan) a toujours été appréhendée avec gravité. Et avec l'insistance sur le fait qu'on est face à des situations très particulières qui ne remettent pas en cause le principe. Mais celui-ci s'effondre quand les exceptions se multiplient. C'est bien ce risque d'effondrement qui se joue actuellement dans la crise malienne. Le MNLA découvrira de plus en plus que cette «peur bleue» est difficile à vaincre. La Cedeao l'a fait savoir en agitant la possibilité d'une intervention militaire au Nord même si cela n'est pas faisable avant une remise en ordre à Bamako. La France veut mettre le Conseil de sécurité dans le bain afin de conforter la Cedeao dans le cas où elle déciderait d'intervenir militairement. La victoire militaire de la rébellion ne débouche pas sur une victoire politique mais sur une grande incertitude.