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Béni-saf: La sardine à 300 dinars le kg !

par Mohamed Bensafi

La sardine considérée comme étant le poisson du pauvre est aujourd'hui inaccessible à Béni-Saf.

Dans cette ville pourtant côtière et réputée pour sa pêche, le prix de la sardine, qui variait il y a quelques semaines entre 100 et 150 dinars le kg, s'est envolé pour atteindre les 300 dinars. C'est du moins le prix du kilogramme qui est affiché, depuis samedi, au marché de poissons de la ville. «C'est du jamais vu !», s'étonne un octogénaire avant d'ajouter : «Jadis on nourrissait de sardines les chats et aujourd'hui on ne peut même pas rêver de les voir dans nos assiettes». Celui-ci est aussitôt relayé par son compagnon, ammi Boucif, retraité de son état : «C'est incroyable, je n'aurais jamais imaginé, un instant, que la sardine pouvait atteindre ce prix à Béni-Saf et le rester durant 03 jours consécutifs». Ce dernier avoue qu'il était resté bouche bée quand un marchand de poisson, stationné sur la rue Bentalha Driss, l'a figé, lundi matin, avec un 300 DA le kilo. Notre malheureux retraité, à la bourse bien modeste, a dû tout simplement rebrousser chemin et revoir à la baisse ses prétentions pour les courses de ce dimanche. Mais, dans sa tête, comme dans celles de beaucoup d'autres citoyens, une seule question revient sans cesse comme un refrain : comment expliquer cette hausse vertigineuse du prix de la sardine ? Au niveau de la pêcherie de Béni-Saf, la réponse est vite trouvée par des gens de la profession : c'est le mauvais temps. «Il a fortement venté ces deux dernières semaines. La mer était très agitée et les conditions climatiques rendaient difficiles, pour ne pas dire impossibles, toutes les sorties en mer», expliquent-ils, tout en nous assurant que les prix reviendront à la normale dès que le beau temps s'installera. «Ce n'est pas évident», répond un mareyeur, «la sardine est chère parce qu'elle est devenue introuvable. Car, même en temps clément, et cela depuis plusieurs semaines, rares sont ces sardiniers qui débarquent avec plus de 100 casiers. Le plus souvent, nous n'avons eu à nous mettre sous la dent que 20 à 30 casiers de sardines par embarcation», relève pour sa part Mohamed, un autre mareyeur des plus anciens de la pêcherie de Béni-Saf. C'est toutefois ce qui nous a laissé constater que la sardine était cédée entre 3 500 et 4 200 dinars la caisse pour des débarquements qui n'ont pas atteint la douzaine de caisses par sardinier. Selon nos interlocuteurs, c'est surtout une question d'offre et de demande. Quand la première est inférieure à la seconde, les prix s'en ressentent irrémédiablement, surtout, expliquent-ils, que toute la région s'approvisionne en poissons à partir du port de Béni-Saf. Au même moment, deux jeunes, qui, semble-t-il, avaient une oreille tendue, se joignent au débat. Ceux-là voient autrement la rareté de ce poisson. Et d'emblée, l'un d'eux pointe du doigt, et sans tabou, les agressions répétées contre les zones de reproduction, notamment près des côtes. Il affirme que la pêche à la dynamite est devenue presque ordinaire. Avant d'indiquer que cette pratique illicite est en train de faire d'importants dommages au niveau des fonds marins (allusion à la flore et la faune). Il accuse ouvertement certains marins pêcheurs de recourir aux explosifs pourtant interdits par la loi. «Des patrons de sardiniers balancent des quantités de dynamite au fond de la mer. Les poissons touchés par la déflagration remontent à la surface où ils sont récupérés dans les filets», déplore-t-il, affirmant, à qui veut l'entendre, que la sardine dans la région et partout ailleurs est menacée de disparition. Avant d'être relayé par le second: «Les poissons «dynamités» sont facilement reconnaissables à leurs vertèbres éclatées et à la couleur violacée de leurs ouïes. Et d'ajouter: «La sardine est un poisson migrateur. Et les bancs de sardines n'empruntent plus ou rarement les couloirs marins de nos côtes. Car ils ont repéré les zones où la dynamite est utilisée. Et la sardine en a énormément ?'peur»». Là, l'on s'est rappelé des propos de ce poissonnier de la place: «Nos zones de pêche ont tendance à devenir des territoires dépeuplés de sardine».

Ce dernier avait même avoué qu'il est obligé de faire du ?'acheter cher pour revendre cher», c'est la loi du marché». Alors, faut-il suspendre carrément la pêche durant la période de ponte de la sardine pour la laisser se reproduire en paix ? Manifestement, oui. Faute de quoi, et à ce rythme, dans quelques mois, on risque de ne plus manger la sardine sinon de la manger, de temps en temps, et au prix du rouget ou du merlan. Dans cette condition, il faudrait penser d'abord à mettre en place une formule sociale ou une mutualité de compensation au profit des gens de la mer.