
Les images qui nous viennent de
l'Egypte sont douloureu ses, enthousiastes, triomphales, émouvantes,
colériques. C'est un peu nous, mais dans un monde qui n'est pas assis. C'est ce
que nous vivons et subissons, mais avec Israël en moins et le pétrole en plus. De
toutes les questions de la décennie, il n'en reste qu'une seule : Cela va-t-il
se passer chez nous, dans nos places publiques, nos cœurs isolés et avec notre
peau ? On le veut mais on en a peur. On veut le changement mais à pieds, pas
avec les mains. Dans chaque pays « arabe », la mode intellectuelle ou de
propagande est de dire aujourd'hui : « Non, chez nous, c'est différent. » Crier
à la spécificité nationale. Analyser jusqu'à retrouver de l'eau dans un grain
de sable. Oui c'est vrai, mais juste un peu. Pour le reste, c'est le même pays
avec un drapeau différent, c'est-à-dire un pays de millions de km² réduit à la
surface d'une semelle pour chacun. Sauf que les Algériens ont peur d'eux-mêmes
car ils se disent peuple extrême, habitué à déclencher les guerres et ne pas
savoir les finir. Donc ? Donc tout le monde regarde El Jazeera où tout le monde
a le premier rôle avec une pierre, une idée et un drapeau. L'autre évidence que
les Algériens redoutent et cachent, c'est que l'histoire est cannibale : si
vous ne la mangez pas, elle vous mange. Elle se fait avec vous ou à vos dépens.
D'où la seconde question en mode aujourd'hui : le Pouvoir a-t-il
compris l'urgence de devenir un Etat ? Va-t-il rendre le pays aux siens ? Là
aussi, les Algériens sont coincés entre la déclaration de Novembre et le risque
d'Octobre. Le Pouvoir peut, veut, peut-être va?, mais n'ira pas très loin. Il
n'a pas les moyens. Ni ceux des idées, ni ceux des hommes. Les siens ont la
nationalité de la mâchoire. Il a beaucoup d'argent mais pas de sens. Il
n'habite pas l'Algérie, mais deux ou trois quartiers d'Alger. Il n'y a pas de
solutions pour l'une des deux parties : le Pouvoir et l'avenir. Peut-on changer
sans casser ? La dernière question est mal posée. A l'évidence, on ne peut
accuser du même délit de « casse » quelqu'un qui casse le pays depuis que le pays
existe et celui qui casse une vitrine. Ce que veut l'histoire nationale : un
départ honorable du système vers les archives nationales. Une sorte d'homme qui
a le courage de dire : « Oui, vous avez raison, le pays est à vous » et qui
traduira sa nouvelle conviction par le geste, l'acte et la décision. En
Algérie, beaucoup le disent : nous avons une chance unique de faire la
révolution sans casser un seul pare-brise. On peut la saisir, saisir une pierre
ou une matraque à la place.