Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Les mains de l'Achoura

par El-Guellil

La ville était vraiment tranquille hier, jour de Achoura : une circulation automobile très réduite, peu de gosses jouant à l'extérieur, pas de mendiants devant les mosquées et même peu de fidèles à l'intérieur... On pouvait même entendre les oiseaux chanter et le vent souffler, ce qui est une performance remarquable dans une grande ville.

 «Que se passe-t-il ?», s'interrogeait, ou plutôt s'inquiétait Ammi Salah, car il n'avait jamais connu la ville aussi calme auparavant, même les jours de vote. Il aimait bien rouler en voiture les week-ends et les jours fériés, car se sont les seuls jours ou la circulation est plus ou moins fluide et où l'on peut faire des balades sans rencontrer de fous du volant et autres chauffards. Hier, les principales artères de la ville étaient quasiment vides de monde et de véhicules, les rideaux des commerces étaient presque tous baissés, hormis les taxiphones et quelques bureaux de tabac.

 Ammi, bien que perplexe, s'en donna à coeur joie, se permettant même des pics de vitesse de 90 km à l'heure avec sa vieille guimbarde, un record pour lui et son tacot. Mais au détour d'un grand boulevard, près d'un quartier commerçant de la ville, il vit de loin une foule immense et entendit un chahut de tous les diables. On aurait dit que toute la population de la ville s'était réunie en cet endroit et tous les bruits de la ville aussi. Ah, il allait connaître le fin mot de cette histoire. Il gara son tas de ferraille et s'approcha de la foule.

 «C'est quoi, une manifestation, des émeutes, de quel parti politique s'agissait-il ?», autant de questions qui taraudaient son esprit. Jouant du coude, il s'approcha et ce qu'il vit le remplit de stupeur : plusieurs magasins, les rideaux à moitié baissés, des mains sortant de l'intérieur et les «manifestants» faisant la chaîne prenaient les billets et s'en allaient. Certains d'entre eux faisaient le tour et revenaient refaire la chaîne pour reprendre des billets offerts par des mains sortant des magasins aux rideaux à moitié baissés, des mains qui donnaient l'Achoura.