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Quelques réflexions sur le Ramadan en France

par Akram Belkaïd

Les temps changent. Il fut une époque, c'était à la fin du siècle passé, où le début du Ramadan en France passait presque inaperçu. Quelques lignes dans Le Parisien, une notule dans les autres quotidiens, une mention lapidaire en fin de journal télévisé et c'était tout. Puis, petit à petit, le jeûne rituel des musulmans a commencé à avoir droit de cité. En quelques années, on est passé des simples brèves à l'article long de trois feuillets et, ce mois-ci, on pourrait presque parler de déferlante.

Toute la palette médiatique est au rendez-vous : reportages, analyses, commentaires, interview de spécialistes sans oublier les sondages (70 % des musulmans de France jeûneraient contre 60% en 1989).

 Certes, cette large couverture s'explique aussi par le fait que nous sommes en août et que l'actualité est bien pauvre. Lassées de traiter en boucle les faits divers, les feux de forêts et autres catastrophes naturelles sans oublier la sempiternelle grippe A, les rédactions ont trouvé avec le Ramadan de quoi renouveller leur menu. En somme, la nécessité de combler le vide a fait loi et cela sera certainement le cas l'année prochaine avec un Ramadan qui débutera aux alentours du 10 août (ayayaye...).

 Pour autant, la maigreur de l'actualité n'est pas la seule raison qui a poussé les médias français à placer le début du Ramadan sous les projecteurs. Le fait est qu'il s'agit d'une pratique de plus en plus visible ou, du moins, de plus en plus affichée avec ce que cela sous-entend comme comportements ostentatoires. On ne peut occulter le monde qui vous entoure et la couverture du Ramadan est une nouvelle expression de la prégnance de l'Islam dans les médias français. C'est aussi la preuve qu'il s'agit bien d'un phénomène de société qui témoigne lui-même de changements plus amples à savoir que la religion musulmane est, aujourd'hui, qu'on le veuille ou qu'on le déplore, l'une des composantes de l'identité française. A l'écoute de la société, la très populaire série « Plus belle la vie », que l'on regarde aussi du côté de La Marsa, a bien compris le phénomène. Il y a quelques jours, elle a mis en scène un personnage musulman tout heureux de « casser le Ramadan », comprendre rompre le jeûne, avec ses employeurs marseillais...

 Nous savons tous que l'Islam en France est source de nombreuses polémiques, attaques et prises de positions diverses. C'est tout sauf un sujet serein. Et c'est d'autant plus le cas que les lignes politiques et sociales habituelles sont brouillées quand on aborde la place de cette religion dans un pays lui-même traversé par un immense doute existentiel. Un pays qui n'accepte pas sa relégation dans le peloton des puissances moyennes et qui refuse l'idée que son identité est en train de changer, même s'il s'agit d'un changement infime, en raison de la présence de populations d'origine étrangère sur son sol, lesquelles populations, contrairement à celles qui les ont précédées, sont de religion ou de culture musulmanes.

 Prenons la sphère économique. La diffusion de publicités sur des chaînes télévisées privées pour un produit halal était impensable il y a encore trois ans. C'est aujourd'hui une réalité. De leur côté, les supermarchés n'hésitent plus à mettre dans leurs étals des produits halal qui, jusque-là, n'étaient disponibles que dans les boucheries et épiceries éponymes avec ce que cela constituait comme doutes sur leur caractère comestible.    Mieux, ces grandes enseignes nationales ont profité du début du Ramadan pour mettre en place des rayonnages spéciaux dédiés au halal.

 Certes, le mot Ramadan n'est pas toujours visible et les pancartes avec arabesques lui préfèrent souvent le mot Orient (et tant pis si le fait de parler d'Orient quand il s'agit de patisseries algériennes ou marocaines est totalement ridicule...), mais c'est tout de même un changement notable.

 De toutes les pratiques liées à l'Islam, le Ramadan a longtemps constitué une exception en étant plus ou moins à l'abri des critiques. Rien à voir avec le voile, la construction de mosquée avec ou sans minaret ou les prières dans la rue.        Dans certains cas, le fait de se priver de boisson et de nourriture de l'aube jusqu'au coucher du soleil force même le respect. Mais les choses vont changer.       Reconnu par les médias en tant que fait de société, le Ramadan fera certainement l'objet de débats et de mises en cause plus ou moins pertinentes. Cela a d'ailleurs déjà commencé.

 Quand l'entraîneur du Paris Saint-Germain décide que les joueurs qui jeûnent resteront sur le banc, il ne fait que défendre les intérêts de son club (même si cela se passe autrement notamment au Real de Madrid). L'accuser d'islamophobie et se déchaîner sur les forums internet est une erreur. De même, il est normal que des éducateurs et des enseignants s'inquiètent à propos de la santé des plus jeunes d'autant que l'été est loin d'être une période propice au jeûne. Contrairement à ce qui se passe en terre musulmane où l'affaire est entendue, des employeurs vont finir par décider, au nom de la sécurité ou de la simple productivité, d'interdire à leurs employés de jeûner. Tout cela ne se fera pas dans la joie et la bonne humeur et il va sans dire que les concernés seront obligés de faire des concessions de part et d'autre.

 Enfin, il va falloir accepter de voir cette pratique auscultée par les spécialistes, dont certains affirment qu'elle n'a désormais plus rien à voir avec l'acte religieux mais qu'elle est avant tout culturelle pour ne pas dire sociale (il est vrai que ceux qui prient, jeûnent mais que tous ceux qui jeûnent ne vont pas tous à la mosquée...).

 Au final, on peut se contenter d'affirmer que le Ramadan change un peu la France mais qu'il sera intéressant au cours des prochaines années de voir comment ce pays, sa culture et ses traditions, vont eux aussi influer sur la manière dont se conçoit et se pratique le jeûne.