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Le phénomène prend de l'ampleur à Oran: 12 morts par suicide en trois mois

par J. Boukraâ

En finir avec la vie pour fuir une réalité trop dure à supporter, telle est la situation qui a emporté depuis le début de l'année une douzaine d'âmes à Oran, selon des sources hospitalières. Pas plus loin qu'avant-hier, un facteur âgé de 39 ans s'est tué par une arme blanche. Parmi ces suicidaires, quatre se sont donné la mort par pendaison, trois en se jetant des immeubles, trois autres par ingurgitation de produits acides. Le suicide tenu secret aussi bien par les familles des suicidés que par les praticiens qui reçoivent dans les hôpitaux des patients qui se sont donné la mort ou qui ont tenté de le faire, est un phénomène qui touche de plein fouet notre société. Selon notre source, une soixantaine de tentatives de suicide ont été enregistrées depuis le début de l'année. La majorité des victimes sont âgées entre 18 et 55 ans. En 2008, une vingtaine de personnes se sont donné la mort et quelque 400 autres ont tenté de le faire.

Des organismes algériens estiment, par ailleurs, que 10.000 personnes tentent de se suicider chaque année en Algérie, dont un millier environ réussissent leurs actes. En dépit de son importance, le chiffre des suicides reste tout de même en deçà de la réalité, en ce sens que les suicides ne sont pas toujours déclarés comme tels. Idem pour les tentatives de suicide (dix fois plus nombreuses que l'acte lui-même) qui, hormis les cas d'absorption de barbituriques et donc d'admission à l'hôpital, le reste n'est jamais déclaré.

A Oran, à l'instar des autres villes, le suicide est un véritable problème de société. En effet, une enquête menée au niveau des services des urgences du CHUO a montré qu'entre 2001 et 2003, le nombre de tentatives de suicide a considérablement augmenté, passant de 295 cas en 2001, à 400 cas en 2002, 508 cas en 2003 pour atteindre 629 tentatives et une soixantaine de cas de suicide «réussis» en 2005. En 2006, une soixantaine de personnes se sont suicidées sur quelque 300 tentatives. Si les suicidés sont dirigés vers le service de la médecine légale, ceux qui ont raté leur entreprise sont pris en charge dans les services des UMC, presque dans l'indifférence la plus totale de leurs familles. Le constat est amer. «Certains malades sont contraints de quitter l'hôpital par leurs propres moyens, alors que c'est à ce moment-là qu'ils ont le plus besoin des leurs», nous dit un psychologue, qui ajoute que «la seule prise en charge d'un médecin ne suffit pas car, à leur sortie, beaucoup de victimes gardent des séquelles irréversibles. Les autres, faute d'un suivi psychologique et d'un soutien familial, récidivent».

Par ailleurs et selon les sociologues, «Oran vit les mêmes problèmes que les grands centres urbains du territoire national: exode rural, chômage, paupérisation de larges franges de la société, cherté de la vie. A ces facteurs socio-économiques s'ajoutent les drames individuels dus à l'éclatement de la cellule familiale, à l'échec scolaire, aux déceptions sentimentales, mariages forcés, à l'absence de communication parents-enfants, à la transgression de certains tabous, relations illégitimes, grossesses involontaires, et à bien d'autres causes qui mènent «incontestablement» à un acte de suicide. L'acte lui-même, au-delà de son côté tragique et dramatique, est surtout une alerte, un signe de mal-vie, de malaise et un cri de détresse, parfois fatal, lancé à une société en perte de repères et qui s'adapte tant bien que mal aux mutations profondes qu'elle connaît».