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Télévision et campagne électorale : L'arme à double tranchant

par Mohamed Bensalah

Chaque élection place le média TV au centre de l'actualité politique. Entre ceux qui le sacralisent et ceux qui le vouent aux gémonies, peu de place est réservée à ceux qui se proposent d'en analyser la fonctionnalité politique, idéologique, culturelle, pédagogique ou historique.

Nous vivons dans une société d'images, la cause est entendue. Mais nous sommes loin de maîtriser tous les paramètres de cette ionosphère. Fixes ou animées, chimiques ou numériques, réelles ou virtuelles, les multiples images qui émergent de toutes parts s'imposent à nous, nous interpellent, nous provoquent parfois. Support de messages implicites ou explicites, la télévision ne laisse guère indifférent. Sa toute puissance et son impact indéniable sur l'opinion publique et sur les comportements individuels ou collectifs témoignent de son influence néfaste ou salutaire. Ses détracteurs l'accusent du délit d'avilissement de la pensée, de complaisance à l'égard du pouvoir en place, et mettent en exergue la rétention d'informations, la manipulation de l'opinion publique par la désinformation et les couvertures médiatiques disproportionnées, surtout en période d'élection. Ses défenseurs soulignent, au contraire, son efficacité dans de multiples domaines et plus particulièrement les possibilités qu'elle offre dans l'accès à l'information, à la formation, à la distraction et à l'éveil d'une conscience critique. Qu'en est-il exactement ?

La télévision remplit-elle convenablement sa mission civique ? Question centrale dans la construction inachevée de notre démocratie ! On devrait pouvoir répondre favorablement à cette première interrogation. Malheureusement la mise en spectacle exacerbée de l'actualité, la réverbération iconique et sonore des actes de violence, la désinformation et les effets pervers de la médiation, ont fini par banaliser les événements de la vie. Les messages distillés, qui chaque jour se bousculent et s'enchevêtrent dans nos têtes, nous incitent à la plus grande circonspection. Quand on analyse, de manière pertinente, l'actualité filmée, on peut aisément constater les dérapages nombreux et les dysfonctionnements multiples. En dehors des composantes difficilement maîtrisables par tout un chacun, le média sous allégeance ne peut en aucune façon traiter avec intelligente de l'actualité. Il ne lui est pas possible non plus de véhiculer efficacement les informations politiques, économiques, sociales et culturelles. La tétanie des citoyens est la conséquence logique de la mise sous chape de plomb de cet extraordinaire outil de communication et d'expression.



La télévision dans le tourbillon des présidentielles



Si l'affiche murale garde tous ses attraits, le débat télévisuel est de plus en plus considéré comme le point d'orgue des campagnes électorales. Il en constitue le moment fort, même si parfois il devient le coup de poker qui peut faire tout perdre en une seule apparition à l'écran. La communication politique a ses propres exigences. Cela ne veut point dire que le sort d'une campagne est scellé au terme de quelques minutes passées sur un plateau de TV, mais comme source complémentaire pour l'analyse, les images de la gent politique s'avèrent être d'inépuisables sources d'informations. Encore faut-il être à même de mettre en évidence leur richesse et donc être en mesure de les décrypter, de décoder leur mise en scène et la dimension idéologique de leurs dispositifs d'énonciation, presque toujours occultés. Il importe donc d'interroger et de s'interroger sur toutes les images dont nous nous sevrons, d'analyser leur rapport à la réalité, à la fiction, à la fabulation.

En campagne électorale, l'image enregistrée de l'homme politique renvoie aux circonstances de son enregistrement (studio ou extérieur), l'impact étant plus puissant au milieu d'une foule compacte. «L'effet Obama» a fait des émules. Le show médiatique du président candidat, annonçant officiellement sa candidature à la Coupole d'Alger, n'est pas accidentel. L'image diffusée, c'est à dire celle à laquelle le téléspectateur est convié, n'est en fait qu'un effet de style, une simple représentation, restituant plus ou moins fidèlement la réalité. Elle est la résultante d'un travail sur les codes spécifiques et non spécifiques du langage audiovisuel. Au montage numérique en direct des séquences sélectionnées, la préférence est donnée aux images qui possèdent une charge émotionnelle intense. En studio, l'instantané télévisuel du candidat à la présidentielle en dit parfois plus long que tout son discours de campagne. Les candidats pensent naïvement qu'en passant à l'écran, il remporte une première victoire. Or, parfois c'est l'inverse qui se produit, l'image pouvant exprimer une chose et son contraire. Un gros plan mal cadré, un rictus mal placé, un regard mal ajusté, un texte ânonné, peuvent contribuer à l'échec de la prestation du candidat au regard du spectateur. Il en est de même pour le «prime time» que privilégient les candidats qui s'avère être un exercice à haut risque. En fait, le candidat ignore souvent l'impact de son image. L'essentiel pour lui est de passer sur le petit écran et donc de sortir de l'anonymat. Mais, compte tenu de la polysémie de l'image, de ses multiples possibilités de lecture et de la part d'inattendus révélés, l'image de l'homme politique s'avère être difficilement contrôlable. En effet, quels que soient son professionnalisme et son degré de vigilance, le cameraman qui cadre dans son viseur l'homme politique, qui parle et qui gesticule, inscrit parfois involontairement des éléments extérieurs qui peuvent nuire à son sujet. D'où l'extrême prudence des hommes politique étrangers face aux médias générateurs de significations implicites et explicites.



Le marketing politique ne s'improvise pas



Nous le constatons chaque jour, à travers les émissions concoctées par notre unique chaîne nationale, consacrée exclusivement aux candidats en campagne pour la présidentielle. Pour le moins que l'on puisse dire, la plupart des invités qui acceptent de subir l'exercice délicat de s'adresser directement aux citoyens, témoignent d'un certain malaise face aux objectifs des caméras. En décryptant ces images avec un recul critique, on se rend très vite compte de la difficulté des hommes et des femmes politiques à paraître sereins, décontractés, aimables ou sympathiques. Contrairement aux affiches murales, la télégénie via le petit écran n'est guère chose aisée. Mêmes les meilleurs conseillers en communication peuvent accuser des échecs patents. Le cadrage, le choix des plans, la mise en forme, laissent souvent apparaître, ici ou là, une mimique de désapprobation, un rictus d'énervement ou une attitude de colère, difficilement maîtrisables. La conception des posters cette année a manqué d'originalité. Dans l'ensemble, les portraits étaient peu captivants et les textes et légendes de peu d'intérêt. Certains, tels Dhahid Younsi et Mohamed Saïd affichaient carrément des visages austères, distant et peu aimables. Le portrait de Moussa Touati, emprunt d'une grande tristesse était noyé dans de longues tirades de textes illisibles. Ali Fawzi Rebaïne et Louisa Hanoune affichaient certes, un visage souriant mais peu attractif. La prestation télévisuelle de cette dernière par contre retenait l'attention du téléspectateur. Tout comme Abdelaziz Bouteflika, Louisa Hanoune est bien rodée aux joutes oratoires et aux feux de la rampe. Indépendamment de la teneur de leurs propos, les deux candidats donnent la preuve d'une parfaite maîtrise de l'outil médiatique. Ce qui est loin d'être le cas pour les autres postulants à la magistrature suprême qui laissent apparaître leurs difficultés à s'adapter aux contraintes et au rythme de l'outil télévisuel, appréhendé comme simple adjuvant au service de leur communication. D'où leurs médiocres prestations.

L'efficacité de l'apparition à la TV dépend autant de la communication dite «verbale» que du discours prononcé. Obligés de «simplifier» et de «neutraliser» leurs propos pour convaincre les électeurs faiblement politisés, les leaders politiques, à défaut de développer les questions de fond sur lesquelles ils axent leurs campagnes de communication, se laissent parfois emporter par leurs envolées lyriques. Le recours à la TV comme élément de marketing politique n'est sans doute pas assez régulier et pas assez compris pour le rendre à la fois efficace vis à vis des électeurs et utile au bien commun. L'absence de débats contradictoires entre les différents candidats, chose entrée dans les mœurs sous d'autres cieux, est également regrettable. Chaque élection, en fait, nous amène à réfléchir sur le rôle et la fonction de la télévision en situation d'urgence. Cette dernière ne doit en aucune façon être considérée comme une simple panacée de dernière heure à la veille des échéances électorales. Elle devrait manifester «sa présence» tout au long de l'année par des débats libres avec les citoyens comme interlocuteurs privilégiés. Ce genre d'initiative présenterait l'avantage d'éviter l'overdose de discours politique en «conscientisant» de manière pédagogique et raisonnée les électeurs potentiels tout en montrant concrètement que la gente politique ne se réveille pas seulement à la veille d'échéances électorales.

Redoutablement efficace pour induire des effets, le système médiatique a fini par créer une nouvelle forme d'interpellation du politique. Cela, les téléspectateurs, tout autant que l'homme ou la femme politique, semblent l'avoir parfaitement intégré. Mais il faut se rendre à l'évidence. La télévision ne peut à elle seule compenser les aléas de la classe politique. Le média, médium d'échange par excellence, n'est qu'un simple adjuvant à l'efficacité d'ailleurs tout à fait aléatoire. Il montre bien qu'il ne peut maîtriser les conditions de réception des messages diffusés. Une chaîne de service public, c'est à dire une chaîne financée par les deniers publics et donc par les contribuables qui verse, bien malgré eux une dîme même s'il ne la regarde jamais, devrait se soucier un peu plus de ces derniers, de leurs remarques, de leurs critiques, de leurs exigences. Les enquêtes d'opinions menées à ce jour, toujours favorables à la lucarne nationale, souffrent d'un discrédit conséquent à leur manque de fiabilité.