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![]() ![]() ![]() De UKUSA à AUKUS : Etats-Unis, Australie et Royaume-Uni scellent un nouveau pacte de sécurité en Asie-Pacifique : La France, dindon de la farce (1/2)
par Abdelhak Benelhadj ![]() Mercredi 15
septembre 2021. Peu avant minuit, la nouvelle tombe : Le « contrat du siècle »
qu'ils avaient signé en 2019 sur la fourniture par la France de 12 sous-marins
à propulsion conventionnelle est rompu par l'Australie en alliance nouvelle
avec la Grande Bretagne et Washington qui récupèrent le marché ainsi perdu par
Paris.
Les autorités des trois pays annoncent la signature d'un traité stratégique permettant aux Etats-Unis de fournir à l'Australie des sous-marins à propulsion nucléaire dont, seule, la Grande Bretagne avait jusque-là bénéficié. Dans son allocution, pour motiver et expliquer cette initiative, Joe Biden a mis l'accent sur les combats livrés ensemble par les États-Unis, l'Australie et le Royaume-Uni depuis un siècle. Les français reçoivent un violent coup sur la tête de la part de leurs « alliés » anglo-saxons. Coup d'autant plus rude qu'il est subreptice et imprévu. Peut-être pas pour les autorités, mais avec certitude pour les Français ordinaires et les observateurs de la vie politique internationale. Avec un temps de retard, qui n'est pas dû au seul décalage horaire entre les deux rives de l'Atlantique, la nouvelle va très vite enflammer le monde médiatique et politique dans les pays concernés, avec un silence prudent du reste du monde. Les autres pays européens en particulier suivent attentivement et prudemment les événements, les arguments échangées par les uns et les autres, les accusations proférées, mesurant le degré de gravité des faits et estimant leurs conséquences sur une Europe déjà fortement perturbée par une pandémie qui était loin d'avoir été correctement gérée. Américains, Britanniques et Australiens semblent surpris par la réaction française. Le « coup de poignard dans le dos » qui justifie l'indignation des Français, se déclinent en trois préjudices combinés : 1.- Un préjudice commercial : la perte d'un contrat de plusieurs dizaines de milliards d'euros. 2.- Un préjudice géostratégique : ils ont été exclus de d'un système intégré de défense ourdi dans le secret, alors que la France prétend contrôler dans le pacifique un espace océanique qui mérite considération de la part de ses « alliés ». 3.- Un préjudice politique : considérée comme quantité négligeable, le gouvernement français a été humiliée aussi bien devant les Français que devant les autres pays européens et devant la communauté internationale. Allemands et Japonais, évincés de ce marché en 2016, doivent peut-être, très discrètement cela tombe sous le sens, rire sous cape et s'amuser du mauvais sort fait aux Français. Si cet outrage est constitué, qui ne comprendrait alors la colère devant l'affront ? La Chine, qui occupe le rôle de la variable cachée dans l'exposé des motifs sous-entendus du nouveau pacte entre les trois pays de l'AUKUS, n'a été mentionnée ni dans les déclarations orales, ni dans le communiqué. Celui-ci évoque la « paix et la stabilité dans la région indo-pacifique », mais les « personnes autorisées » indiquent en tout anonymat que ce sont bel et bien les « ambitions régionales de Pékin » qui sont visées par la nouvelle alliance. Toutefois, sans nier l'importance du défi que la Chine a lancé aux Etats-Unis, ces derniers avaient-ils vraiment besoin de ce nouveau pacte pour faire face à leur adversaire en Asie et dans le pacifique ou ne s'agit-il que d'une opération de communication commode pour masquer une opération industrielle et commerciale juteuse au détriment de l'« allié » français ? Deux volets de cette affaire doivent être distingués : 1.- La question économique, concernant les contrats dont la France a fait les frais. 2.- La question stratégique associant les trois pays, dans le cadre de la confrontation sino-américaine. Le propos qui suit, à défaut d'informations disponibles et vérifiables sera surtout un espace de questionnements et d'interrogations basé sur les données rendues publiques et les éléments historiques avérés qui permettent de cadrer les événements, de conjecturer l'état du monde et les perspectives que l'on peut raisonnablement en dériver. Les faits. « Sur la base de notre histoire commune de démocraties maritimes, nous nous engageons dans une ambition commune pour soutenir l'Australie dans l'acquisition de sous-marins à propulsion nucléaire », déclarent conjointement Américains, Australiens et Britanniques qui précisent dans leur communiqué qu'il s'agit bien de propulsion, et non d'armement. Cette précaution vise peut-être à contourner l'accusation de viol du traité de non-prolifération. « Le seul pays avec lequel les Etats-Unis ont jamais partagé ce type de technologie de propulsion nucléaire est la Grande-Bretagne » à partir de 1958, avait indiqué plus tôt un haut responsable de la Maison Blanche. « C'est une décision fondamentale. Cela va lier l'Australie, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne pour des générations. » D'où la signature d'un pacte nouveau dénommé AUKUS qui succède et se combine avec d'autres systèmes sur lesquels nous reviendrons. La France semble découvrir, dépitée, qu'elle ne fait pas (et n'a jamais fait) partie du cercle restreint que l'Amérique organise autour d'elle. Déjà sous UKUSA, elle ne figurait pas dans le premier cercle. Elle apparaissait, comme d'autres (l'Algérie par exemple, dans un document diffusé en 2013 par Edward Snowden), dans la liste des « third parties », c'est-à-dire des partenaires de second rang. Pour tenter de saisir tous les ressorts de cette affaire et mieux en apprécier la portée, il conviendrait de se donner le recul nécessaire. Récapitulons cette affaire depuis son début. Histoire contrariée d'un « contrat du siècle ». Avril 2016. Le groupe français spécialiste du naval de défense DCNS décroche le marché face à, l'allemand ThyssenKrupp Marine Systems (TKMS) ainsi qu'à un consortium emmené par Mitsubishi Heavy Industries soutenu par le gouvernement japonais. DCNS proposait une version de son Barracuda, alors que ThyssenKrupp défendait le Type 216 et le Japon le Soryu. Il est important de noter qu'en 2016 les Américains, n'exportant aucune technologie concurrente, n'avaient soumis aucun projet. Le Shortfin Barracuda est un sous-marin océanique à propulsion conventionnelle conçu spécifiquement pour la marine australienne. Caractéristiques : une longueur de 97 mètres, poids de 4.000 tonnes pour un équipage de 60 sous-mariniers, le Shortfin Barracuda Block 1A est, selon la DCNS, « le sous-marin à propulsion conventionnelle (diesel-électrique) le plus avancé du monde », capable de parcourir de longues distances en plongée de longue durée (toutefois plus courte que celle que permet une propulsion nucléaire). Février 2019. - Le groupe français Naval Group signe un accord de partenariat stratégique avec le gouvernement australien pour la fourniture de douze sous-marins d'attaque de ce modèle dans le cadre d'un contrat global de 31,3 milliards d'euros[1]. L'accord, scellé au terme de 18 mois de négociations, a été signé en présence de la ministre française des Armées, Florence Parly, de son homologue australien Christopher Pyne ainsi que du Premier ministre Scott . (Reuters, L. 11/02/2019). Les Américains n'étaient pas dans la course en 2019, comme nous le notions plus haut, car ils n'exportaient pas le type de technologies que proposaient les Français. Mais ils exerçaient un contrôle strict sur les échanges entre alliés dans le domaine militaire notamment sur quelques points essentiels et précisément sur ce marché. 1.- Les systèmes d'armes embarqués sur les sous-marins français devaient être américains, nécessaires à l'interopérabilité prévue avec les marines américaine et britannique. Les Américains devaient s'occuper en outre de la maintenance et de la formation des équipages. Les analystes estimaient que les systèmes de combat représentaient près de 30% du total (soit environ 10 milliards d'euros), ce qui réduisait d'autant la part de marché dévolu au partenaire français estimée en janvier 2017 entre 10 et 15 milliards d'euros (Michel Cabirol, La Tribune.fr, V. 20 janvier 2017) 2.- La commission chargée d'arbitrer ce marché était présidée par un ancien sous-secrétaire d'Etat à la Marine américain. Allié proche de Canberra, Washington a suivi de près la procédure d'appel d'offres. Deux retraités de la marine américaine, le vice-amiral Paul Sullivan et le contre-amiral Tom Eccles ont passé au crible les offres techniques. « L'aspect sensible du système de combat c'est les logiciels et les Français n'ont pas besoin de les voir ». « Ils fournissent des boîtes d'équipement et des câbles mais les logiciels seront intégrés par les Etats-Unis », indiquait Stephan Fruehling, directeur adjoint des études militaires à l'Ecole Coral Bell des affaires Asie-Pacifique. (AFP le D. 01/05/2016). On peut partager les objectifs stratégiques entre alliés, mais pas naïfs : les intérêts et les secrets industriels, technologiques et militaires ne se partagent pas. Fin septembre 2016, l'américain Lockheed Martin a été préféré à Raytheon pour équiper les systèmes de combat de la future flotte de sous-marins. (Reuters le J. 29/09/2016). Tandis que Thales devait fournir pour plus d'un milliard d'euros des sonars et des équipements de communication. L'entrée en service des nouveaux sous-marins était alors annoncée pour 2027. La livraison du premier sous-marin était prévue pour 2023, selon Le Drian ce jeudi 16 septembre. Des personnels australiens travaillaient à Cherbourg et des Français à Adélaïde. Entreprises et produits Le projet de sous-marins concernent deux entreprises françaises, discrètement épargnées par les médias : la DCNS et Thalès. Si la DCNS a exprimé des regrets formels et laissé le soin aux autorités publiques de prendre en charge l'indignation générale, Thales est resté silencieux. Les origines du groupe remontent à 1998 lorsque les branches spécialisées dans les activités militaires d'Alcatel, de Dassault Électronique et de Thomson-CSF sont réunies pour former une nouvelle société. Fin 2000, Thalès prend son nom actuel.[2] - Décembre 2000, Thales annonce la création d'une coentreprise avec l'américain Raytheon, (Thales Raytheon Systems), qui regroupe alors les activités des deux entreprises dans les interfaces de commandement militaire et les radars, activités qui sont appelées C4I. - 2005. Thales se rapproche de DCNS (ex-Direction de la Construction Navale) en prenant 25% de son capital, pour s'imposer dans le secteur naval militaire en Europe et créer le noyau d'un « Airbus naval ». - 2006. Thales reçoit le feu vert du gouvernement australien pour acheter ADI (Australian Defence Industries), un important fabricant de matériel militaire tels que la poudre sans fumée et Bushmaster IMV, spécialisé dans la fabrication de véhicules blindés. - Outre ses activités militaires, Thalès est leader mondial des cartes à puces et expérimente actuellement une carte bancaire biométrique. Le cours de son action ne semble pas avoir souffert de la perte du marché par la France. En tout cas pas directement. Au matin du 16 septembre Thales rassure le marché. Il a annoncé qu'il confirmait ses objectifs financiers en dépit de la rupture par l'Australie du contrat dans lequel l'électronicien de défense était impliqué (AFP, 16/09/2021). Financièrement, Thales est concerné par ce programme à 2 niveaux : en tant que fournisseur de certains sous-systèmes à Lockheed Martin, et en tant qu'actionnaire à 35% de Naval Group. Au 30 juin 2021, les contrats en carnet avec Lockheed Martin ne sont pas matériels à l'échelle de Thales, puisqu'ils représentent un montant de moins de 30 millions d'euros, soit moins de 0,1% du carnet de commande total à la même date (34,6 milliards d'euros). De plus, Thales n'anticipe pas d'impact significatif de cette annonce sur l'Ebit du groupe en 2021 par le biais de la contribution de Naval Group (2019 : 65 millions d'euros, soit 3% de l'Ebit de Thales, 2020 : 22 millions d'euros, soit 2% de l'Ebit de Thales). En conséquence, Thales a confirmé l'ensemble de ses objectifs financiers pour 2021. Le groupe vise un chiffre d'affaires compris entre 15,8 et 16,3 milliards d'euros et une marge d'Ebit comprise entre 9,8% et 10,3%, en hausse de 180 à 230 points de base par rapport à 2020. [3] Ceci expliquerait cela. DCNS. Un peu d'histoire. Le constructeur militaire français DCNS (pour direction des constructions navales, systèmes et services) est détenu à plus de 62% par l'Etat français et à 35% par Thales depuis 2011. Héritier des premiers arsenaux créés par Richelieu, la DCNS demeure une pièce maîtresse de la puissance militaire française, même si l'Etat a cédé ces dernières années plus d'un tiers du capital du groupe(dont l'Etat détient à ce jour 26,36%). Une histoire au long cours de DCNS, bientôt quatre fois centenaire. Le groupe trouve ses racines dans la construction des arsenaux du royaume de France, décidée en 1631 par le cardinal de Richelieu et mise en oeuvre par Colbert. La création et l'extension des cinq chantiers navals (Brest, Toulon, Rochefort, Lorient, Cherbourg) et des deux fonderies de canons (Ruelle, près d'Angoulême, et Indre, près de Nantes) s'étendent sur près de deux siècles. Ils sont regroupés après la Seconde Guerre mondiale au sein de la direction des constructions et armes navales (DCAN) et deviennent un instrument de la force de dissuasion nucléaire française. Le premier sous-marin nucléaire lanceur d'engins, le Redoutable, est mis en service en 1971. En 1991, ils sont rebaptisés DCN (Direction des constructions navales). Bien que les Etats-Unis aient eu des préférences pour l'offre japonaise, ce sont les Français qui l'ont emporté. Des observateurs l'ont mis sur le compte du retour de la France dans l'OTAN. « Il y a un climat général (assez bon, de confiance) avec les Américains grosso modo depuis que nous sommes revenus dans le commandement militaire intégré de l'Otan, que nous avons collaboré dans la lutte contre le terrorisme dans le Sahel, avec une bonne coordination sur le sujet », observait alors M. Jean-Paul Maulny, directeur-adjoint de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). (AFP, le mardi 26/04/2016) On voit bien rétrospectivement aujourd'hui que c'était une illusion et que cela n'a pas suffi. Voilà succinctement exposé l'ensemble des enjeux de cette affaire. C'est tout ce projet qui est remis en cause le 15 septembre 2021, avec la manière plutôt cavalière dont on usé les alliés de la France pour l'en écarter. D'où l'indignation du gouvernement français. Pourtant, les Français ont été très accommodants et ont beaucoup concédé. En 2021, le patron de Naval Group, Pierre-Eric Pommellet, a cédé aux exigences de Canberra et s'est engagé à ce que 60% de la valeur du programme revienne à l'Australie, avec une autre concession : la création de 2800 emplois dans ce pays pour la fabrication des sous-marins avec l'implication de 137 entreprises australiennes. Ni avertis ni consultés. Une députée LaRem pressentait la rupture. Selon Anne Genetet, députée LREM des Français établis hors de France, certains signes étaient présents. L'élue raconte : « Un député du camp de Scott Morrison, le Premier ministre, m'a fait un discours incendiaire sur cet accord en me disant : ?Qu'est-ce que c'est que ce contrat, je ferai n'importe quoi pour le déchirer' » (Franceinfo, S. le 18/09/2021). La France a démenti fermement avoir été avertie en amont, et encore moins consultée. La ministre de la défense Florence Parly déclare avoir été informée de la décision australienne à la dernière minute, sans avertissement. Certes, des discussions avaient lieu entre les partenaires sur les dépassements de budget, traditionnels dans ce type de contrats. Mais il n'avait jamais été question, pour autant que les intéressés le fassent savoir, de sa remise en cause. Vendredi 17. « Nous n'avons pas été informés de ce projet avant la publication des premières informations dans la presse américaine et australienne », mercredi, a répondu auprès de l'AFP le porte-parole de l'ambassade de France à Washington, Pascal Confavreux. (AFP, V. 17 septembre 2021) Argument : Il y a moins d'un mois, le lundi 30 août 2021, en conclusion d'une rencontre « 2+2 » entre les ministres de la Défense et des Affaires étrangères des deux pays, France et Australie confirmaient dans un communiqué commun (point 21) leur volonté « d'approfondir la coopération dans le domaine de l'industrie de la défense » et avaient « souligné l'importance du programme des sous-marins du futur » liant les deux pays. Le porte-parole du ministère des armées français, Hervé Grandjean, affirme mardi 21 septembre sur Twitter que, quelques heures avant l'annonce de la rupture du contrat, les Australiens ont envoyé un courrier à Paris disant qu'ils étaient « satisfaits des performances atteignables par le sous-marin et par le déroulement du programme ». Et d'ajouter : « En clair : en avant pour lancer la prochaine phase du contrat. » (Le Monde, le mardi 21 septembre 2021) Selon des sources diplomatiques, Paris n'aurait été instruit de l'accord tripartite que quelques heures avant son annonce, par des fuites dans la presse australienne et américaine. Jake Sullivan, le conseiller à la sécurité nationale de Joe Biden, l'aurait finalement confirmé aux Français un peu avant que la création de l'AUKUS ne soit rendue publique. (Le Figaro, V. 17/09/2021) Derrière la décision de Canberra, les Français dénoncent l'unilatéralisme américain habituel et constant dans toute sa vérité et soulignent l'impitoyable sort réservé aux « alliés », quelle que soit l'époque et quel que soit le locataire de la Maison Blanche. Il y a à peine quelques semaines, fin août, ils avaient unilatéralement décidé de quitter l'Afghanistan sans avertir personne, ce qui obligé les « alliés » à précipitamment organiser leur retrait, dans conditions difficiles puisque toute la logistique et le renseignement, ainsi que la sécurité de l'aéroport de Kaboul dépendaient de Washington. Ni parole donnée, ni contrat signé ne tiennent. Qu'est-ce ça aurait été si Français et Australiens avaient été ennemis... ? « Cette décision unilatérale brutale, imprévisible, ça ressemble beaucoup à ce que faisait M. Trump », déclare amer Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires Etrangères, principal et inamovible VRP de l'industrie militaire française depuis une dizaine d'années. Cela apporte une réponse claire, si cela était nécessaire, à ceux qui s'interrogeaient sur la nature des changements apportés par J. Biden à la politique internationale des Etats-Unis conduite par son prédécesseur : à l'évidence aucune, pas même dans la forme. Le plus singulier est que le ministre français en avait douté. Surpris ? Vraiment ? Blinken ce 16 septembre tente d'apaiser : « ...nous coopérons de manière incroyablement étroite avec la France sur de nombreux dossiers communs dans la région indopacifique, mais aussi au-delà, dans le monde entier. Nous allons continuer à le faire. Nous accordons une valeur fondamentale à cette relation» (Le Figaro). La France déclare ne demander qu'à y collaborer en effet. Mais à quel titre ? Le trio se défend et réplique. Reprenons le mot du Secrétaire d'Etat américain, Antony Blinken (que les médias et politiques français (naïvement ?) ne cessent de choyer depuis sa nomination parce qu'il parle parfaitement français et qu'il aime leur pays) : « Nous avons été en contact avec nos homologues français au cours des dernières 24 à 48 heures pour discuter de AUKUS, y compris avant l'annonce » (AFP, V. 17/09/2021) « 24 à 48heures pour discuter » d'un projet d'une telle dimension ? Soit. Mais de quoi au juste ? Était-ce pour informer ses partenaires français de ce qui a été entrepris sans eux ou pour tenter de les associer y rétrospectivement, au moment même où les Australiens (en accord avec ses alliés) les excluaient ? Une ironie, un affront de plus ? Dès vendredi 17 septembre, si le Premier ministre australien reconnaît les dommages infligés aux relations entre l'Australie et la France, en revanche il persiste et signe d'avoir informé fin en juin, lors de sa visite à Paris, Emmanuel Macron que l'Australie avait revu sa position sur l'accord et qu'elle pourrait être amenée à prendre une autre décision. « J'ai été très clair, nous avons eu un long dîner à Paris, sur nos préoccupations concernant les capacités des sous-marins conventionnels à faire face au nouvel environnement stratégique auquel nous sommes confrontés », a déclaré Scott à la radio 5aa. « J'ai dit très clairement que c'était une question sur laquelle l'Australie devait prendre une décision dans son intérêt national », a-t-il ajouté. (Reuters, 17/09/2021) AUKUS est un système qui ne s'improvise pas en quelques jours ou semaines. Le triumvirat devait préparer son coup depuis longtemps. Peut-être même dès le début, quand on se souvient des réticences de l'actuel Premier ministre australien (qui n'était pas encore en poste en 2016 et ne l'est que depuis 2018). Scott Morrison était proche de D. Trump qui lui décerna en décembre 2020 la Légion du mérite, une prestigieuse distinction militaire américaine. D'ailleurs, le jour même S. reconnaît volontiers que cette nouvelle alliance permanente est le fruit de plus de 18 mois de discussions avec Washington et la Grande-Bretagne. (AFP, V. 17/09/2021) En vérité ? À l'insu des Français ? 18 mois ? Pendant un an et demi, dans le dos des Français le trio négociait une alternative sans en aviser leurs alliés européens. Pourquoi cela ? 18 mois, cela veut dire que le renoncement au « projet du siècle » avait commencé sous le mandat D. Trump. Donc bien avant l'élection de J. Biden qui l'a repris à son compte sans aucun état d'âme. La confusion sciemment entretenue entre le projet de sous-marins et la création d'un nouveau système intégré de défense permet d'argumenter et de jouer sur plusieurs tableaux, avec des intervenants des trois pays, anonymement ou non, qui se contredisent et argumentent dans tous les sens. L'industrie française avait un indéniable un avantage comparatif, annulé dès lors que les Etats-Unis consentent à offrir aux Australiens une technologie de propulsion nucléaire. L'Australie se défend de toute duplicité : « La décision que nous avons prise de ne pas continuer avec les sous-marins de classe Attack et de prendre un autre chemin n'est pas un changement d'avis, c'est un changement de besoin », a affirmé le Premier ministre australien. (AFP, V. 17 septembre 2021). Le problème est que les règles du jeu ont changé à l'insu des Français. C'est en cela qu'ils se croient fondés à penser avoir été victimes d'un coup bas. Des contacts depuis 2016 et deux ans de négociations. En vain. Pendant ce temps-là Washington, Canberra et Londres conspiraient dans leur dos. Autre question encore plus redoutable parce que c'est un problème franco-français : Comment se fait-il que les services de renseignement français n'aient pas eu vent de ces tractations secrètes ? Imagine-t-on la conception improvisée d'un nouveau système intégré de défense dans le Pacifique, entre Américains, Australiens et Britanniques, (des « alliés »), sans que les Français n'en aient eu connaissance ? Incompétence ? Complicité ? Qui d'autre était au courant ? Les Chinois ? Les Russes ? Rien n'interdit de poser de semblables questions. Mais il n'est pas dans les usages de cet univers secret hermétique d'y trouver réponses. Savoir confère un avantage. Faire savoir que l'on sait (en l'occurrence, que l'on savait), en revanche, confère un avantage à l'adversaire. Quoi qu'il en soit l'offense est constituée. De la bataille sous-marine à la bataille médiatique : le grand spectacle commence. La France a perdu la bataille sous-marine. Elle ne devait pas perdre la bataille médiatique et c'est sur ce terrain que ses autorités vont organiser leur contre-offensive dans le rôle traditionnel de la victime éplorée. Le statut de victime recueille la sympathie. Il confère aussi la légitimité de la riposte. Cette technique a été perfectionnée depuis la fin de la dernière guerre mondiale. Les experts en culpabilité combative ont atteint des sommets de raffinement en la matière. La France ne décolère pas. Très vite, sa position se condense en quelques mots clé que le ministre des Affaires Etrangères va ordonner et répéter, inlassablement amplifiés par une machine médiatique rouée avec les chefs d'orchestre expérimentés, dans le cadre d'une cellule de crise pilotée par le chef de l'Etat qui restera - contrairement à ses habitudes - silencieux, tapi dans l'ombre des ministres (surtout Le Drian) envoyés au front. Les mots sont très durs, la plupart proférés et assénés heure par heure par le ministre Le Drian, à tous les micros qui se présentent en une litanie incessante, ininterrompue : déloyauté, duplicité, trahison, brutalité, torpillage, mensonge, comportement inacceptable, crise grave, rupture majeure de confiance... Assigner aux pays et aux hommes politiques des affections personnelles dans l'exercice de leurs missions, permet de vendre des romans, de la pellicule et du papier, mais c'est une erreur. L'émotion est un atout instable, éphémère et, quelque fois, ingrat. Il est probable qu'une part de la réaction du ministre français des Affaires Etrangères s'explique par les efforts qu'il a déployé en tant que ministre de la défense pour l'aboutissement du contrat aujourd'hui résilié. Il a en effet beaucoup donné de sa personne. « Nous avions établi avec l'Australie une relation de confiance. La confiance est trahie et je suis en colère. Ça ne se fait pas entre alliés ». (...) « Ce qui me préoccupe, c'est aussi le comportement américain. Parce que cette décision unilatérale, brutale, imprévisible, ça ressemble beaucoup à ce que faisait M. Trump. » Jean-Yves Le Drian[4]. «Cette décision exceptionnelle est justifiée par la gravité exceptionnelle des annonces effectuées le 15 septembre par l'Australie et les États-Unis», a dit dans un communiqué le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. «L'abandon du projet de sous-marins de classe océanique qui liait l'Australie à la France depuis 2016, et l'annonce d'un nouveau partenariat avec les États-Unis visant à lancer des études sur une possible future coopération sur des sous-marins à propulsion nucléaire, constituent des comportements inacceptables entre alliés et partenaires, dont les conséquences touchent à la conception même que nous nous faisons de nos alliances, de nos partenariats et de l'importance de l'indopacifique pour l'Europe», a aussi dit le ministre. (Adrien Jaulmes à Washington, Le Figaro, V. 17/09/2021) « Le choix américain qui conduit à écarter un allié comme la France d'un partenariat structurant avec l'Australie, au moment où nous faisons face à des défis sans précédent dans la région Indo-Pacifique, marque une absence de cohérence que la France ne peut que constater et regretter », déclarent à l'unisson Jean-Yves Le Drian et Florence Parly. (Reuters, J. 16 septembre 2021) Il est vrai que le partenariat ne concerne pas seulement la livraison de sous-marins. La France est aussi impliquée dans la géostratégie régionale occidentale, sous commandement américain, face à la Chine et à la Russie. La signature du contrat franco-australien s'intégrait dans la logique du contexte régional. Cependant, le ministre français se trompe : au contraire des prérogatives incomparables que confère la Constitution française à un président français, Le Drian accorde un pouvoir à D. Trump et à J. Biden qu'ils ne possèdent pas dans le système politique américain. C'est toute l'Amérique qui est trumpienne, du Congrès aux représentants, de la Maison Blanche au Capitol, pas Biden qui fait avec, selon son style, son tempérament et sa longue expérience des institutions labyrinthiques de son pays. Il y a une multitude d'intérêts contradictoires qui reflètent les contradictions de la société américaine qui dépasse les seuls exécutifs et les administrations aux affaires. Cela, n'a pu échapper aux Français. « Que faire ? » Il est intéressant d'observer -et cela paraît conforme à leurs missions- que la réaction française est exclusivement portée par les ministres de la défense et des Affaires Etrangères montés aux créneaux pour s'indigner de la décision australienne. Les autres ministres ont été invités à la discrétion. Le ministre de santé, depuis près d'une année sur le grill a pu souffler, la pandémie a été immergée par le naufrage des sous-marins. Certes, il est conforme à la logique de la Constitution de la Vème République que l'Elysée récolte les lauriers et les lampistes, ordinairement le Premier ministre, les affronts. Cependant, depuis le mandat de N. Sarkozy et la réduction du mandat présidentiel qui a effacé Matignon au profit de l'Elysée, le Président est partout et sur tous les dossiers. E. Macron communicateur en chef, notamment en préparation (sans le dire) de la campagne présidentielle, est le chef d'un orchestre dont il est le seul soliste. Pourtant, la décision australienne constitue un événement géostratégique de première grandeur qui invite le chef d'Etat à prendre la parole, lui qui n'hésite pas à commenter et à interférer, sur les sujets les plus anodins de la vie du pays, à la place des ministres en charge et même du premier ministre. Ainsi, le matin-même, pour faire diversion et prendre distance avec le camouflet australien, l'Elysée se prévaut de l'élimination d'un « redoutable terroriste » au Sahel où l'armée française est embourbée depuis 2013.[5] Le président participe à de nombreux événements, continue par exemple visite les hôpitaux, ou honore les harki d'une habile demande de pardon historique qui lui procurera des voix lors du prochain scrutin... au grand dam des partis qui s'en portaient protecteurs. Là, silence total sur l'affaire des sous-marins. Mais silence assourdissant ! Cela ne veut évidemment pas dire que le président n'était aux premières loges, aux manettes. Il a parfaitement conscience de l'importance de l'enjeu de ce qui prend l'allure d'une crise majeure et de son impact potentiel sur sa prochaine réélection qu'il peaufine depuis des mois. Sa position est fragilisée et, de tous côtés, les coups pleuvent. C'est pourquoi, contrairement à ses habitudes, il reste dans les coulisse, silencieux, mais sûrement pas inactif. Le patron de l'Elysée est passé maître dans l'art de la communication, un des rares où il connaît le moins de contraintes. Et c'est sur ce terrain, via ses ministres, qu'il agit sans s'exposer. Il importe de noter que cette absence médiatique peut aussi signifier que l'issue de la crise est incertaine et que le président ne possède les principaux atouts. Cette partie contre la première puissance mondiale avait-elle été engagée imprudemment ? Il ne suffit pas d'être une victime d'importance, de jouer habillement sur les claviers de la communication pour se garantir une sortie honorable dans un jeu de billard à plusieurs bandes. Rétorsions graduées. Après les gémissements et les complaintes martyrologiques, les rétorsions, les répliques et les contre-mesures s'ordonnent, parfois dans le désordre et la confusion. - Le 17 septembre. Les autorités françaises annulent une soirée de gala prévue à la résidence de l'ambassadeur de France dans la capitale américaine. Cette réception devait célébrer l'anniversaire d'une bataille navale dans la baie de Chesapeake Bay (Virginie) décisive de la guerre d'indépendance des Etats-Unis. Une bataille remportée par la flotte française sur la flotte britannique, le 05 septembre 1781. Il ne s'agit pas de n'importe quelle bataille. L'unique bataille navale remportée par la marine française contre son homologue britannique qui n'efface pas le souvenir de Aboukir, Trafalgar, Mers el Kebir... et toutes les autres... - Le jour même, la France franchit une nouvelle étape : le ministre des Affaires Etrangères de rappelle les ambassadeurs français en poste aux Etats-Unis et en Australie. « A la demande du Président de la République, j'ai décidé du rappel immédiat à Paris pour consultations de nos deux ambassadeurs aux Etats-Unis et en Australie », a annoncé le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian dans un communiqué. « Cette décision exceptionnelle est justifiée par la gravité exceptionnelle des annonces effectuées le 15 septembre par l'Australie et les Etats-Unis », a-t-il ajouté. (AFP, S. 18 septembre 2021). Un mépris spécial a été réservé à la Perfide Albion, à la mode en usage sous l'Ancien Régime. Londres n'est pas digne d'être défié. Le rappel de l'ambassadeur français à Londres a été jugé inutile : «on connaît leur opportunisme permanent», a ironisé Le Drian. «La Grande-Bretagne dans cette affaire, c'est quand même un peu la cinquième roue du carrosse». (AFP, 18 septembre) - Lundi 20 septembre. Préparant de futures rétorsions, Paris s'est demandé comment faire confiance désormais à Canberra et songe à menacer les pourparlers commerciaux prévus entre l'UE et l'Australie. « On a des négociations commerciales avec l'Australie, je ne vois pas comment on peut faire confiance au partenaire australien », a lancé le secrétaire d'Etat aux Affaires européennes Clément Beaune. - Mardi 22 septembre. La France fait pression sur ses partenaires européens en faveur du report d'une rencontre programmée le 29 septembre prochain à Pittsburgh du nouveau conseil américano-européen chargé de coordonner leur politique dans le domaine des technologies et du commerce. Une galéjade ? Ces remises en cause ou ces reports suscitent toutefois l'hostilité de plusieurs pays membres, dont les pays baltes, traditionnellement alignés sur Washington et, plus préoccupant, de l'Allemagne... La France dispose-t-elle des leviers suffisants, si tel était vraiment son objectif, pour compromettre ces projets ? Avant d'aborder l'espace des possibles, on peut faire une incursion dans le passé et examiner les cas similaires qui s'étaient déjà présentés et qui peuvent inspirer les hypothèses pour l'avenir. Car, à bien en analyser toutes les facettes, cette crise vient de loin et, comme souvent, l'histoire bégaye. Les précédents. Le projet « Arrow » Fin des années 1950. Le Canada et son industrie aéronautique militaire naissante se lancent dans la construction d'un avion de supériorité aérienne. Ils parviennent à mettre au point un avion le Avro CF-105 Arrow qui dépassait tout ce qui se faisait à l'époque, en particulier chez le voisin états-unien. Sous pression américain, à la suite de manoeuvres tortueuses, avec un gouvernement canadien hors d'état de défendre les intérêts de son pays, c'est Washington qui récupéra l'essentiel du projet au seul bénéfice de son industrie, le projet canadien fut donc totalement abandonné, alors que 37 appareils étaient déjà sur les chaînes de montage sur le point d'être finalisés et que 82% des pièces avaient déjà été manufacturées pour les 87 appareils suivants. Pire, le gouvernement ordonna de détruire tous les prototypes, tous les plans et données. Du jour au lendemain, 60 000 employés furent licenciés, dont 13 000 chez Avro, le reste étant ceux des 660 compagnies sous-traitantes. Cet abandon reste un traumatisme profond pour l'industrie aéronautique du Canada, au point que le 20 février 1959 est parfois désigné « le vendredi noir ».[6] Depuis, Ottawa assume avec panache la fonction prestigieuse de vassal de luxe dont Washington use selon les circonstances, troquée par exemple contre l'Italie entre Accords du Plaza (à Washington en 1985) et Accords du Louvres en 1987, pour enfanter un G7. De Gaulle, l'Amérique et la perfide Albion. De Gaulle s'est fermement opposé à l'entrée de la Grande Bretagne dans le Marché Commun. Et ceci pour de multiples raisons. - Tout d'abord parce que très tôt, au cours de son séjour à Londres, pendant la seconde guerre mondiale, sa conviction fut faite que l'alliance anglo-américaine rendait inconcevable l'appartenance du Royaume Uni à l'Europe qu'il appelait de ses vœux. Churchill ne s'en était jamais caché. Un jour de mai 1944, dans un moment de colère fréquent entre les deux hommes, Churchill avait apostrophé de Gaulle en ces termes : «Rappelez-vous ceci, Général : entre l'Europe et le grand large, nous choisirons toujours le grand large ! » Les Britanniques n'avaient jamais dévié de cette ligne. Le Général ne l'avait jamais oublié. W. Churchill, jamais à court d'une combine, songeait peut-être, dans ses relations avec les Etats-Unis, tirer parti d'une sorte d'illusion d'ascendance entre un empire colonial vermoulu et un nouveau monde encore peu expérimenté et cependant virtuellement et dangereusement puissant mais auquel manquent les mythes fondateurs qui créditent un avenir radieux d'un passé prestigieux. Ce n'est pas sur les restes d'une improbable civilisation amérindienne que les pères fondateurs tombés du Mayflower ont bâti cette nation. Une des premières décisions de Bush Jr., dès son entrée dans la Maison Blanche, avait été de placer sur son bureau le buste de Churchill dont il clamait haut et fort partager la parenté.[7] 13 février 1960. Explosion de la première bombe atomique française dans le sud algérien. Armement que Américains et Britannique avaient -jusqu'à l'arrivée de R. Nixon à la Maison Blanche- avaient, et par tous les moyens, résolument contrarié. 15 décembre 1962 : de Gaulle rencontre Macmillan, Premier ministre britannique à Rambouillet. Il lui proposa une collaboration pour la mise au point de vecteur pour leurs ogives.[8] C'était le projet Ariane, avant la lettre, qui était en germe dans cette discussion. Force « multilatéralement unilatérale » Du 17 au 21 décembre 1962 : Rencontre de Harold Macmillan et John Kennedy aux Bahamas à Nassau. La déclaration commune sur la défense nucléaire confirme l'abandon de la fusée Skybolt et, en contrepartie, la fourniture par les Etats-Unis de fusées Polaris à la Grande-Bretagne pour ses têtes nucléaires. Les deux chefs d'Etat proposent au général de Gaulle la création d'une force nucléaire « multilatérale » qui signifiait à la fois la fin du projet franco-britannique et la dépendance unilatérale des deux pays à l'égard des Etats-Unis. En effet, l'acceptation des fusées Polaris américaines impliquait la subordination de leur usage à l'arbitrage préalable de Washington. La propulsion nucléaire des sous-marins porteurs des missiles incluait la même restriction. Ce à quoi (fut-ce une surprise ?), de Gaulle ne pouvait en aucune façon consentir. C'est pour une large part cette divergence, jusqu'à l'arrivée de Pompidou à l'Elysée, qui explique le refus systématique de la France à l'entrée de la Grande Bretagne dans le Marché Commun.[9] 14 janvier 1963. C'est lors d'une Conférence de presse que le général de Gaulle déclare formellement son opposition. Le Royaume-Uni ne put y être admis (en compagnie de l'Irlande et du Danemark) qu'en 1973. Tout le reste en découle. Chirac, la Pologne, les F16 et les « mirages ». Un autre contrat de dupes. Le désappointement français à propos du contrat des sous-marins rompu avec l'Australie, mais aussi de la solidarité européenne espérée par la France face au trio anglo-saxon, qui a fait défaut, a une histoire. Voilà encore un chapitre à y ajouter. En février 2003, Jacques Chirac a fustigé les pays candidats à l'élargissement qui s'étaient montrés « mal élevés » et avaient « perdu une occasion de se taire » en s'alignant publiquement sur la position américaine dans la crise irakienne. Contre la France. Chirac n'avait pas encore pris alors toute la mesure de l'ampleur de sa déception. Lors des négociations d'entrée de la Pologne dans l'UE, il avait été question d'achat par la Pologne d'avions français Mirages. Mais après son admission, la Pologne a non seulement apporté son soutient aux Etats-Unis, dans sa guerre en Irak, mais s'est aussi précipitée en avril 2003 pour acheter des F16 au détriment des Mirage. Que « peut » faire la France ? Troquant les fonctions de diplomate contre le métier de négociant (qu'il a toujours assumé et assuré au service des industriels de l'armement), Jean-Yves Le Drian s'interroge : « Il va falloir des clarifications. Nous avons des contrats. Il faut que les Australiens nous disent comment ils s'en sortent ». (AFP du 16 septembre) Sur la question purement commerciale, la presse australienne évalue les indemnités à 250 millions de dollars (selon France Inter du 16). L'ardoise sera présentée aux Australiens en son temps. Mais n'est-ce peut-être pas (seulement) à des indemnités que songeait le ministre français... Par-delà les questions juridiques et leurs inextricables labyrinthes qui débouchent sur des solutions bien des années plus tard, il y a les questions politiques au sens fort du mot qui se posent tout de suite, hic et nunc. Que faire de plus en dehors de se mettre sur la place publique et se lamenter ? Que faire de plus que le spectacle victimaire offert par Le Drian ? Avant de se demander « que faire ? », il serait plus judicieux que les Français (et aussi les Européens et tous ceux qui ont tissés des liens de dépendance à l'égard de Washington) se demandent : « Que peuvent-ils faire ? » C'est là où on se rend compte du format des difficultés rencontrées. Que pèse la force française en Indo-Pacifique ? Cette force a servi d'argument pour contester l'accord stratégique signé entre les Etats-Unis et ses alliés. L'importance de la présence française dans le Pacifique est un argument qui doit être relativisé. Pour contrôler un espace de plus de 2,5 millions de km² d'océan, à partir de sa base de Nouméa, la France dispose d'une frégate de surveillance (FS), d'un bâtiment multi-missions (B2M), armé par ses deux équipages, et deux patrouilleur (P400). Soit une force bien limitée face aux empires. L'Australie n'a rien de comparable certes, mais n'a jamais prétendu négocier d'égal à égal avec les Etats-Unis... La France a perdu en 1980 le condominium des Nouvelles Hébrides (actuels Vanuatu) et une influence en Polynésie (auquel la loi du 27 février 2004 lui reconnaît de larges compétences internationales. Son statut d'autonomie renforcée lui donne le droit de participer à la négociation des accords internationaux). Demain, sa souveraineté sur la Nouvelle Calédonie, où un référendum d'autodétermination décisif se tiendra très bientôt avec un vote indépendantiste en progression régulière, sera peut-être remise en cause. Pauvres, géographiquement marginalisés et politiquement agités par des questions coutumières, Wallis et Futuna ne jouent aucun rôle stratégique. Limites internes : « Le parti de l'étranger »[10] Le paysage politique français semble donner raison aux Américains qui possèdent une bonne expérience de la France. Il est à craindre pour les Français que l'Amérique n'en ait rien à redouter. |
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