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Pourquoi un audit en profondeur est vital pour la pérennité de Sonatrach

par Reghis Rabah*

La réussite d'une mission d'audit interne ou externe d'ailleurs nécessite la maîtrise de la démarche méthodologique. En général, cet audit est exercé dans la majorité des entreprises et des organisations par des experts qui devront avant tout bien préparer leur mission au préalable.

Dans ce cadre justement, il est recommandé habituellement de vérifier l'objectif qui vise une amélioration bénéfique pour tout le monde. Il faut montrer aussi que le personnel de l'entreprise soit ouvert et motivé pour les changements projetés. La participation active du personnel est plus que nécessaire. Il ne faut surtout pas recourir à un audit en période de forts conflits. Si les perspectives d'un audit indépendant du groupe public sur instructions fermes du président de la république «ont fait trembler» comme le laisse entendre les medias les «barons» et les «uniformes», c'est stresser sur l'importance du mastodonte dans le circuit économique et social. Cependant, il n'appartient pas à tout le monde pour encrer ses ventouses afin de sucer la rente mais peut être disposé de relais solides dans les hautes sphères du pouvoir car les compagnies de catering, de surveillance, de gardiennage pour ne citer que ceux là pullulent autour de Sonatrach. Ce qui a fait dire au ministre qui en a la charge du secteur que «Sonatrach fait de tout et de rien pour s'occuper de ce qui ne la regarde pas.» (1)

1- Position du vrai problème du groupe Sonatrach

En général les grands groupes pétroliers pompent leurs poitrines par leurs réserves qui constituent leurs vitrines boursières. La saoudienne Aramco, c'est son portefeuille de réserves qui lui a permis de rentrer en bourse avec une valeur de 2000 milliards de dollars, en 2004 Shell a payé pour tripoter ses réserves (02), la Brésilienne Braspetro a redressé sa valeur en bourse par une annonce en 2008 d'avoir découvert un gisement au large de Sao Polo de 33 milliards de baril(03), enfin la Douma russe sanctionne lourdement tout responsables qui livre la valeur de ses réserves des hydrocarbures. Ces majors pétroliers, partant du principe que les énergies fossiles sont tarissables et fortement polluantes, préparent l'après pétrole par projeter à long terme d'abord leur redéploiement en parapétroliers par la capitalisation, la consolidation et la fertilisation du savoir et du savoir faire pétrolier et gazier en donnant une importance particulière à la formation et la recherche. Ces dernières années, tenant compte du réchauffement climatique sur le très long terme, la transition écologique est devenue une priorité pour les années à venir. Pointés du doigt, les groupes pétroliers ont été les premiers à abordé ce virage vers une production plus verte. Il se trouve que le géant pétrolier Algérien pour des raisons particulières qu'ils lui sont propres dont l'instabilité de ses managers n'en a pris aucun de ces axes et notamment le plus facile le premier (04). En plus depuis ces quatre dernières années, il néglige ses réserves, son seul patrimoine qui reste. Ainsi, le plus important gisement pétrolier, avait été réorienté en 2017 par l'équipe en poste à la commercialisation des gaz associés, destiné pourtant, en totalité à la réinjection, modifiant ainsi le mode d'exploitation et ont touché aux réserves sans autorisation au préalable, ces volumes de gaz détournés depuis 2017, sont de plus comptabilisés dans les volumes produits et exportés masquant au propriétaire ainsi la production réelle. Toutes les études de Sonatrach, tous les rapports des cabinets d'études internationaux (dont une copie est remise aux autorités), insistent sur le strict respect de cette réinjection totale des gaz associés. Approuvé par ALNAFT et respecté depuis plus de 50 ans, Le plan de développement et sa mise en œuvre avaient permis jusqu'en 2017 la maitrise de la production, de maintenir le potentiel de réserves des champs et d'assurer une production et des réserves suffisantes pour le pays, prévues alimenter les raffineries à long terme. Toute défaillance ou violation, causera irréversiblement une perte des réserves importantes d'hydrocarbures, mobilisées à prix fort par le trésor public. A 40 dollars le baril et après 4 années de détournement de ces volumes de gaz de réinjection, le préjudice très probable selon les experts, implique l'extinction prématurée à très court terme du gisement, la perte de 20% de réserves, soit, plus de100 milliards de dollars, sans compter les pertes sur Rhourde El Baguel, Rhourde Nouss etc. Ces réserves ont été mobilisées à prix très fort depuis des décennies. De nombreux cadres espèrent des autorités, l'envoi d'Audits spécialisés espérant préserver leur outil de production, et pouvoir dénoncer ces violations des réserves Algériennes, ainsi que les différents responsables impliqués de par leurs fonctions, et qui n'ont jusqu'à présent pas informé le propriétaire. Le président de la république, a bien insisté, sur le patrimoine de Sonatrach, le plus important et le plus vital n'est autre que ses réserves d'hydrocarbure et leur conservation.

2- Le Président de la république vise le long terme et non un audit formel

Lors du conseil des ministres qui s'est tenu le 12 juillet 2020, durant lequel le plan de relance économique a été examiné par le gouvernement, le Président de la République a relevé la stagnation dans laquelle se trouve le secteur de l'Energie depuis des décennies, empêtré dans les schémas de production classiques et perdant de vue les énormes potentialités que recèle le pays, d'où les orientations pertinentes et opportunes du Président de la république « Le Chef de l'Etat a, ensuite, donné des instructions précises en faveur de la relance des activités de prospection des réserves non exploitées à travers des études précises et documentées.» Le président de la république a instruit le ministre de l'énergie de suivre scrupuleusement une feuille de route détaillée qu'il a annoncée lors de ce conseil de ministre et il a ordonné un audit approfondi afin de réaliser un Etat des lieux du groupe Sonatrach Le président dans son allocution évoque une « stagnation » qui empêche le mastodonte d'atteindre ses objectifs alors qu'il sert d'instrument pour le développement de l'économie nationale. Il était clair dans l'esprit de l'opinion publique que le président qui a passé point par point les axes à réexaminer, ne visait nullement l'envoi d'une équipe d'inspecteurs de l'organisme de l'inspection général des finances pour s'empêtrer dans les documents formels comme les factures et les rapports des différentes directions de Sonatrach pour espérer découvrir les failles qui permettrons de remédier à la situation. Ce n'est certainement pas dans les bilans et les rapports qu'on retrouve les défaillances mais un examen d'experts, pluridisciplinaire, minutieux et en profondeur.

3-Mettre tout sur le dot de la pandémie, c'est s'éloigner des objectifs de cet audit

Bien avant la crise sanitaire, durant le premier trimestre 2020, selon les rapports de l'OPEP, Sonatrach n'arrivait pas à produire selon son quota 1.056 Mb/j de production de pétrole, la moyenne du trimestre étant de 1,018 M b/j donnée fournie par Sonatrach, soit 40 000 b/j de moins que son quota. Durant le premier trimestre 2020, L'Organisme National des Statistiques(ONS) avait alerté sur la plus forte baisse du taux de croissance de -13,4% , le plus dramatique de l'histoire du mastodonte et un record de mauvaise performance et de non maitrise des prévisions. Avant le dernier et grave incident d'El Merk, Sonatrach avait connu un nombre sans précédent d'autres incidents, pour défaut de gestion de maintenance préventive, selon le ministre de l'énergie. Sonatrach a connu en 2020, des arrêts importants, tel que le complexe de liquéfaction du gaz naturel situé à Skikda (GL1K), après un arrêt général de 7 mois pour des travaux de maintenance, ayant largement excédé la durée des 2 mois initialement prévus. Elle n'a toujours pas mis en fonctionnement le Boosting phase 3, lancé en 2016, prévu fonctionner fin 2019 afin de permettre au pays de prolonger le plateau de production de Hassi R'mel pour une décennie, sachant que tout retard causerait un déficit estimé à des pertes de plus de 7 milliards de m3 de gaz par année de retard, sans compter les pertes importantes de condensat. La production du projet d'In Salah est descendue du premier trimestre 2020 de 22 millions de m3/jour à moins 9 millions de m3/jour pour des problèmes aussi de maintenance.

Le bilan de la firme italienne ENI révèle une baisse de 50,9%. Les exportations gazières de Sonatrach vers l'Espagne baissé de 46%, en conséquence: pertes des marchés au profit des concurrents de l'Algérie comme le Qatar (05) l'Egypte; la Russie et surtout le gaz de schiste américain en Espagne. Au constat de baise de la production, Sonatrach a montré un défaut d'anticipation et de stratégie commerciale, qui ont porté préjudice au pays.

2-Les hypothèses de travail de cet examen approfondi

Historiquement et de point de vue stratégique, une organisation ou une réorganisation n'est en aucun cas un objectif, ce n'est qu'un moyen ou un outil d'une feuille de route globale. On peut citer des périodes ou des années où Sonatrach avait réalisé des bonnes performances, des périodes avec de moins bon résultats, il n'est pas vraiment scientifique ni objectif de dire que c'est l'organisation qui est derrière la performance ni même une quelconque loi mais plutôt des paramètres mesurables incluant l'environnement interne et externe. Toutes les sociétés au monde, aussi bien les majors, les PME les PMI, considèrent en premier lieu la ressource humaine comme étant le facteur principal dans les performances et les bilans. Actuellement le problème de Sonatrach, n'est ni de nature organisationnel, ni conjoncturel, il s'agit d'une baisse de la production et des exportations qui s'aggrave de trimestre en trimestre selon l'ONS, sans que, les managements successifs, qui d'ailleurs ont fait partie de la même équipe de 2017, n'aient apporté ni réponse ni perspective. Cette situation est survenue donc brutalement depuis le second trimestre 2017. De plus, les responsables successif ne sont pas arrivés à contrôler, ni même à maitriser les prévisions, même à très court terme. En 2020 la situation est devenue très inquiétante pour l'avenir et la pérennité même la société. C'est à cette question à laquelle les organes sociaux de Sonatrach n'ont pas encore apporté l'éclairage au propriétaire, Par contre et tous les organes statutaires du secteur de l'énergie le reconnaissent qu'en 2016, cette forte croissance était le résultat des efforts propres du mastodonte sans investissements ni apport de partenaires. Pour rappel , en 2016 le prix moyen du baril était de 40 dollars/baril, aussi, Sonatrach avait assuré des recettes de l'ordre de 28 milliards de dollars comparé à des recettes de moins de 20 milliards de dollars avec exactement le même prix moyen, Sonatrach disposait d'une capacité additionnelle de production excédent 100 000 barils par jour, réduite à 1,08 millions de barils par jour du fait de la limitation et du respect du quota de l'OPEP, ceci avait démontré que Sonatrach avait bien les ressources humaines et naturelles pour assurer une croissance au pays sans aucun besoin d'amendement de la loi, avec son hypothétique éventuel apport (06), (07). Ces mêmes organes sociaux, l'assemblée générale, le conseil d'administration, n'ont pas réagi à la première sonnette d'alarme de l'Organisme National des Statistiques (ONS) au premier trimestre 2020, et du recul drastique des capacités de production et d'exportations de Sonatrach, alors que le pays n'avait pas encore connu la crise sanitaire, à laquelle on voudrait imputer intégralement le bilan dramatique actuel. Le nombre d'incidents sans précédent n'a toujours pas été expliqué. Paradoxalement, pendant cette période de descente aux enfers, Sonatrach s'investi dans une communication à outrance, avec une médiatisation sur les actions sociales usant de moyens de l'état, au lieu de se focaliser sur ses métiers et de ne communiquer que sur son bilan et ses résultats, à l'instar de toutes les sociétés pétrolières et gazière du monde. La solution donc découle d'elle-même, l'état propriétaire à tous les éléments pour constater cette situation qui porte préjudice à l'économie nationale, et, en fonction des critères objectifs, de confier ces ressources à un management qui a fait ses preuves, et surtout ne prendre aucun risque qui couterait encore une fois très cher au pays. Les meilleures solutions techniques, organisationnelles ne pouvant découler que d'une équipe qui soit la meilleure dont dispose la le pays. C'est la démarche salutaire que toute société adopterait et pas seulement qu'en période de crise..

* Consultant, économiste pétrolier

A suivre les impacts techniques sur les gisements touchés par cette démarche irrationnelle

Renvois :

(01)-https://www.financialafrik.com/2020/08/06/algerie-laudit-de-la-sonatrach-fait-trembler-des-uniformes-et-des-costumes/

(02)- https://www.lesechos.fr/2004/04/laffaire-shell-secoue-la-planete-petrole-1061503

(03)-https://www.lemonde.fr/economie/article/2008/04/15/decouverte-d-un-immense-gisement-de-petrole-au-large-du-bresil_1034701_3234.html

(04)-http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5292197&archive_date=2020-07-30 (05)- https://www.echoroukonline.com/%d9%82%d8%b7%d8%b1-%d8%aa%d9%86%d8%aa%d8%b2%d8%b9-%d9%85%d9%86-%d8%a7%d9%84%d8%ac%d8%b2%d8%a7%d8%a6%d8%b1-%d8%b5%d8%af%d8%a7%d8%b1%d8%a9-%d9%85%d9%88%d8%b1%d8%af%d9%8a-%d8%a7%d9%84%d8%ba%d8%a7%d8%b2/

(06)-https://www.bank-of-algeria.dz/pdf/rapportba_2016/chap2_2016.pdf

(07)- https://www.middleeasteye.net/fr/reportages/lombre-de-chakib-khelil-continue-de-hanter-sonatrach