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ONS : la descente en enfer des hydrocarbures à partir de 2017 confirmée

par Reghis Rabah*

Dans son rapport numéro 9000 intitulé « Les comptes économiques en volume de 2016 à 2019 » (01), l'organisme national des statistiques (ONS) est formel et confirme la conclusion de la Banque d'Algérie (BA) et le fond monétaire international (FMI) qu'une forte reprise d'activité a été enregistrée dans le secteur des hydrocarbures notamment à Sonatrach en 2016 avec une croissance de 7,7%. Sonatrach avait renoué ainsi avec une forte activité qu'elle avait perdue depuis pratiquement 14 ans soit l'année 2003 où le taux d'accroissement en volume (en %) de la valeur Ajoutée des hydrocarbures a dépassé les 8%. Rappelons que en2003, la croissance a été portée par la mise en production du fameux champ de Berkine Ourhoud en partenariat d'ailleurs, c'est-à-dire qu'une part va aux partenaires et donc a nécessité des dépenses de plusieurs milliards de dollars.

Par contre et tous les organes statutaires du secteur de l'énergie reconnaissent qu'en 2016, cette forte croissance était le résultat des efforts propres du mastodonte sans investissements ni apport de partenaires mais à travers une réorganisation adéquate et une stratégie intensive, tournée vers les gisements existants et une réévaluation des réserves pétrolières et gazières en utilisant des méthodes de stimulation. L'objectif visé à l'époque était celui d'atteindre une croissance de 11% dans le domaine du possible car Sonatrach disposait d'une capacité additionnelle de production de 100 000 barils par jour, malheureusement réduite à 1,08 millions de barils par jour du fait de la limitation et du respect du quota de l'OPEP.Il se trouve constate le même rapport de l'ONS que le secteur des hydrocarbures « s'est de nouveau caractérisé par des baisses d'activité en volume dés 2017 encore plus marquées en 2018 et qui persistent en 2019 soit respectivement -2,4%,-6,4% - 4,9%, au premier trimestre 2020, l'ONS a publié la plus forte baisse de l'histoire -13,4 %, alors que le pays n'avait pas encore connu la crise sanitaire .           Avec la crise due au Covid-19 il est fort probable que l'année 2020 ne sera pas meilleure non plus. Il demeure bien entendu que l'ONS n'a pas manqué d'attirer la sonnette d'alarme sur l'importance du secteur des hydrocarbures dans le Produit Intérieur Brut (PIB) pour mesurer les chocs extérieurs auxquels sera confronté par ricochet l'économie globale.

En Outre, les valeurs nominales des exportations d'hydrocarbures restent en baisse. Elles ont été selon les chiffres de la douane (CNIS) de 33,2 milliards de dollars en 2019 contre 39 milliards de dollars une année auparavant soit une baise substantielle de 14,9% en dollars courants. Cette faible performance est liée à une baisse du prix du baril qui est passé de 70,9 dollars le baril en 2018 à 64,7 dollars le baril en 2019. Depuis le premier janvier à ce jour, la moyenne du prix du Sahara Blend référence algérienne n'est que 41 dollars le baril moins que le Brent référence européenne avec une moyenne de 42,59 dollars le baril avec un point bas de 15,98 dollars le baril en avril dernier et un point haut 71,75 dollars le baril. La faiblesse de la demande du Sahara Blend est certainement due à l'activité raffinage qui reste très timide dans le monde. Le brut algérien est très apprécié par les raffineurs à cause de sa légèreté et taux de soufre réduit. En volume et aux prix de l'année précédente, les exportations d'hydrocarbures baissent de 5,8% en 2019 après avoir enregistré une baisse 8,3% en 2018.

Pourquoi justement cette descente en enfer au 2ème semestre 2017 ?

En dépit de ses déboires, Chakib Khelil a été appelé en renfort par les Bouteflika pour préparer un cinquième mandat ne serait ce que par ses orientations et conseils. La première mesure était de mettre un des leurs à Sonatrach, caisse principale de financement occulte. En Mars 2017 Amine Mazouzi fut limogé à la surprise générale des organes statutaires du groupe et du Fond Monétaire International (FMI) qui a considéré cette période comme la plus prospère de l'histoire du mastodonte. Il nomme Abelmounene Ould Kaddour très proche de Khelil mais traine des casseroles judiciaires pour une affaire d'espionnage, en chargeant son CV de faux diplômes pour rappel, mais semble arranger les affaires du cinquième mandat.

Depuis le mois de mai 2017, Sonatrach a renoué brutalement avec le déclin de ses gisements. Avec l'équipe en place, incompétente, ayant provoqué la démobilisation du personnel, l'outil de production a été saboté. Pour maintenir un niveau permettant d'honorer la livraison de gaz, les responsables de Sonatrach, sous la direction de ce PDG, menés par l'ex Vice-Président Amont, ont décidé d'aller vers le massacre des gisements de Hassi R'mel et Hassi Messaoud. La production de gaz a énormément baissé partout sur les champs gérés par Sonatrach. Pour compenser ce déclin, les responsables de Sonatrach ont choisi l'option de passer à la violation de la conservation et préservation des gisements et de la réglementation, consistant en le détournement des volumes destinés à la réinjection, vers la vente. La chute des niveaux des pressions est provoquée par le détournement, au quotidien, d'un volume de gaz destiné à la réinjection pour le maintien de la pression.

Ce gaz réinjecté depuis des décennies, est vital pour les champs de Hassi Messaoud, mais le management de Sonatrach a décidé de le vendre à l'international et sacrifier certains secteurs de Hassi Messaoud. Pour donner une illusion fausse et biaiser les chiffres et le bilan réel de l'équipe. La même chose pour R'hourde El Baguel où des quantités de 6 millions de mètres cube étaient détournés quotidiennement vers les marchés internationaux du gaz. Ait El Kheir a également vu ses champs privés des opérations de cyclage et de maintien de pression. A R'hourde Ennous, sur les 24 millions de mètres cube par jour, destinés au cyclage, conformément au plan de développement approuvé pour la préservation des gisements, 17 millions sont détournés vers le marché de la vente.

Cette situation induit systématiquement une perte immédiate de grandes quantités de condensat et de GPL, ainsi qu'une chute importante de la pression de gisement, ceci provoquera un épuisement accéléré et irréversible de tous ces gisements avec la perte des réserves qui avaient été mobilisé à prix très fort.         Toutes les « découvertes » réunies, ne pourront jamais remplacer ces réserves perdues de Hassi Messaoud, ni en terme de niveau de production, ni pouvoir maintenir les couts de production actuels. A Sonatrach, on essaye d'expliquer ce déclin brutal de la production par un ?manque d'investissements et par les retards dans la mise en production des gisements de Sud Ouest (Touat Gas, Groupement Timimoune et groupement Reggane Nord).      Or, l'ensemble de ces projets ne va pas produire plus de 25 millions de mètres cube par jour. (Reggane Nord: 8 millions m3/j, Touat gas: 12,8 millions m3/jour et Timimoun: 4,6 millions m3/jour). En sommes, même si ces gisements commencent à produire immédiatement, il y aura toujours la moitié qui manquera sur un déficit déclaré de 50 millions de mètres cube par jour.

Le choix d'un PDG pour Sonatrach reste un vrai casse-tête pour son propriétaire

De 2014 à 2020, il y a eu six PDG à la tête de Sonatrach. Durant toute cette période, le limogeage se faiait sans aucun bilan qui pourrait éclairer l'opinion publique sur cette instabilité qui obéit souvent à l'humeur des circonstances lobbyistes parfois politique, d'autant plus que la nouvelle loi a réduit considérablement le rôle d'audit d'ALNAFT.  

Durant ce quinquennat, les prix du baril sont passés pour le Sahara Blend de 110 $ au premier semestre de l'année 2014 pour entamer une chute imposée par une guerre lancée par l'Arabie Saoudite contre les producteurs de gaz de schiste américains en inondant le marché.

De 2015 au premier semestre 2017 les prix ont été à leur plus bas niveau pour atteindre en 2016, 46 dollars le baril. En 2015, la croissance s'est élevée à 3,9 %, grâce à la première augmentation de la production d'hydrocarbures en une décennie.

Au premier semestre 2016, l'Algérie a connu une croissance relativement vigoureuse de 3,6 %, sous-tendue par une production d'hydrocarbures en voie de redressement qui a compensé une croissance plus atone des secteurs hors hydrocarbures.

C'est aussi l'année où Sonatrach devait réaliser les meilleures performances de la période à l'unanimité des organes statutaires «L'Algérie vient, en effet, d'enregistrer la meilleure performance du Maghreb, mais également de l'ensemble des pays arabes exportateurs d'hydrocarbures. Ceci confirme donc la tendance positive déjà observée en 2015, année où seuls les Émirats arabes unis avaient fait mieux. ». La Banque mondiale dans son rapport de suivi de l'automne 2016 est allée encore beaucoup plus loin dans son analyse Sonatrach renoue avec une baisse brutale de la production et des exportations à partir du second trimestre 2017 coïncidant avec le changement au sein de la compagnie, malgré l'illusion donnée par la comptabilisation des gaz d'injection détournés vers l'exportation, afin de masquer une partie du déclin; En trois années l'Algérie a perdu plus de 25 % de ses capacités, et un manque à gagner potentiel ces trois dernières années de plus de 15 milliards de US$.Les responsables de ces graves déviations, dont la majorité d'entre eux sont encore en poste actuellement, ou rappelés pour certains, ont entamé la descente en enfer depuis le deuxième semestre 2017 pour, conjuguer tous les projets au futur sans aucun axe stratégique crédible.

Et pour calmer les politiques en gagnant leur faveur, ils mettent à disposition pour exportation plusieurs milliards de m3 de gaz destiné à la réinjection, dès le second trimestre 2017, dans une situation de forte baisse de la production, qui a eu pour conséquence l'accroissement du déficit, la perte des parts du marché, et des questionnements sur l'avenir proche des capacités du pays de production d'hydrocarbures, et ce malgré la hausse du prix du baril à partir de 2017.

Tout ce qu'elle entreprend, elle le renvoyait à son projet « SH 2030 ». Nous sommes au deuxième semestre de l'année 2020, où en est le projet du processing avec les Suisses et le raffinage du brut algériens à Augusta ?         Avons-nous avancé sur les importations des carburants ? Qu'avons-nous gagné ? La réponse de cette équipe est curieusement dans la capacité fictive et potentielle de vendre la raffinerie tant contestée au double de son prix. Est-ce l'objectif visé ? Tandis que les institutions de l'Etat, ministères, banque d'Algérie et ONS, disposent de la situation de Sonatrach lorsqu'elle lui a été confiée en Mars 2017: un taux de croissance de 8%, le règlement de tous les contentieux dont (TPE), le gain de deux arbitrages internationaux, l'augmentation de la production, l'élan des projets pétrochimie et raffineries, l'ouverture pour la 1ére fois en 2016 du projet photovoltaïque avec ENI.

Pour réussir un programme ambitieux fortement tourné vers le bien-être de la société, comme ambitionne le président Tebboune, il faut d'abord disposer de moyens que peut offrir l'économie algérienne fortement du type extensive depuis la fin des années 70.Tous les pays ont compris sauf les décideurs algériens eux-mêmes : la Sonatrach était, elle est et elle le restera probablement pour plusieurs années encore la locomotive du développement économique algérien. Elle est un réservoir d'emplois, elle contribue à plus de 70% du budget de l'Etat et finance par ses exportations plus 95% des besoins économiques et sociaux. Pendant que les experts rêvent de diversification et d'une alternative aux hydrocarbures, les lobbies ancrent leurs ventouses à l'intérieur même du mastodonte dont le seul objectif de l'affaiblir pour justifier sa privatisation.

La rentabilité des gisements existants se posera tôt ou tard

Aujourd'hui, si le calcul des coûts reste le seul souci des uns et des autres, c'est parce que le niveau des prix du baril du pétrole qui font un yoyo dans la fourchette de à 40 à 45 dollars le baril, n'affecte pas leur seuil de rentabilité (break even point) qui se situera pour un prix compris dans une fourchette entre10 à 15 dollars pour la plus part des pays producteurs africains dont l'Algérie et 2,5 et 7 dollars pour ceux du Moyen Orient, une vingtaine de dollars pour la Russie. Il est à noter que les relativement faibles coûts de production de l'Algérie sont soutenus par la production de Hassi Messaoud, Hassi R'mel, et Berkine.

La perte de production de ces derniers du fait du non préservation de ces gisements implique systématiquement la multiplication de ces coûts. Quant aux producteurs de schiste américains, ils y sont déjà bien avant dans une faillite en cascade à cause d'un manque de liquidité pour forer plus de puits et rembourser les dettes. Leur cas, désormais, rentre dans le cadre d'une stratégie de domination de l'Etat fédéral américain qui continue à les booster pour suivre son élan de premier producteur du monde.

Il se trouve que ce n'est pas avec facilité que Donald Trump envisage de soutenir les producteurs de gaz de schiste car il trouve une résistance farouche de l'opposition démocrate qui lui reproche de s'intéresser d'avantage aux entreprises au détriment de l'intérêt général des Américains. Son attitude égoïste sous le couvert de « l'Amérique d'abord » l'écarte de son devoir international vis-à-vis de cette pandémie qui prend de plus en plus d'ampleur.

Le 10 mars dernier le Washington Post a fait savoir que l'administration Trump a réclamé une aide substantielle pour soutenir les entreprises de pétrole et de gaz de schiste frappées par la chute des prix du pétrole et la récession liée au coronavirus. En plus du contexte économique difficile lié au coronavirus, ces entreprises font face à une chute vertigineuse du prix du baril favorisée par une relation tumultueuse entre l'Arabie saoudite et la Russie. L'aide fédérale pourrait se faire sous forme de crédit à très faible taux d'intérêt, précise le « Washington Post ». Voilà disent les démocrates « Ce qui nous inquiète, est cette attitude du gouvernement qui prête davantage d'attention à des intérêts particuliers qu'aux citoyens ne peuvent pas savoir s'ils sont malades car les médecins manquent de kits de dépistage. » Rappelons que le 10 mars, le nombre de contaminations au nouveau coronavirus recensées aux Etats-Unis dépassait les 1 000 cas, aujourd'hui il avoisine les 6,5 millions avec 192 000 décès selon l'université américaine Johns Hopkins, après que des experts sanitaires ont reproché aux autorités d'avoir minimisé la crise et d'avoir pris du retard dans la mise au point des tests de dépistage. Il se trouve malgré un plan d'urgence d'un montant de 8,3 milliards de dollars approuvé par le congrès américain le 5 mars 2020 pour financer la lutte contre le ravage du coronavirus, que la priorité du président Trump reste tournée vers sauvetage des producteurs de schiste par un plan de relance de 700 milliards de dollars de baisse des charges sociales.

Par ailleurs, Chuck Schumer et deux autres sénateurs démocrates, Patty Murray ,un élu de Washington, Gary Peters ,élu du Michigan, préparent une lettre demandant au président de déclarer un état d'urgence et de donner à l'Agence fédérale des situations d'urgence (FEMA) accès à 40 milliards de dollars, lit-on sur le site américain Politico.

Il se trouve que l'Algérie est parmi les pays les plus vulnérables

Elle n'est pas la seule, il y a le Nigéria, l'Angola, l'Irak, la Libye et surtout le Venezuela pour ne citer que ceux là.

Au Nigéria, le gouvernement se penche actuellement sur un scénario catastrophe de 30 dollars par baril de pétrole comme prix de référence et une production de 2,1 millions de barils par jour. Ces données entrent dans le cadre du projet gouvernemental qui consiste à réajuster le budget des finances 2020, en raison de la faiblesse actuelle des cours. L'information a été donnée le mois d'avril dernier, par la ministre des Finances Zeinab Ahmed. Elle a déclaré déjà auparavant que le budget 2020 de la plus grande économie africaine devait être réduit parce qu'il prévoyait un prix du pétrole de 57 dollars le baril. Le prix du baril était alors de 53 dollars. L'Algérie dans un conseil des ministres tenu sous la présidence d'Abdelmadjid Tebboune le dimanche 22 mars a pris des décisions de coupes budgétaires drastiques mais très ciblés pour faire face à cette chute du baril qui a pris un coup le lendemain affecter le Brent proche du brut Algérien à 26,35 dollars le baril dans le marché asiatique , après le rejet par le Sénat américain d'un plan de relance de l'économie éprouvée par la pandémie de coronavirus, qui continue de faire rage dans le monde.

Ces mesures sont jugées par de nombreux observateurs courageuses et très circonscrites. Il s'agit d'abord de compresser les importations qui lui coutaient 41 milliards de dollars pour les ramener à 31 milliards de dollars. Le service hors facteur qui a de tout temps pesé sur la balance de paiement, la mesure qu'a pris le conseil des ministres est « d'arrêter carrément la conclusion des contrats d'études et de services avec les bureaux étrangers, ce qui épargnera à l'Algérie près de sept milliards de dollars /an. ». Il y aura aussi une coupe de 30% du budget de fonctionnement avec un garde-fou-fou pour ne pas toucher les salaires.

Ensuite certains projets programmés dans le budget 2020 et non encore entamés pourront être reportés, évidemment en fonction de l'évolution de la situation économique. La mesure phare reste la coupe budgétaire du groupe Sonatrach qui devra revoir ses charges d'exploitation et ses dépenses d'investissement qui passeront de 14 milliards de dollars à 7 milliards de dollars afin « de préserver les réserves de change ». Le groupe est orienté aussi de ne compter dorénavant sur lui-même pour rechercher des voies intensives comme l'exportation de l'électricité au pays voisins ou éventuellement augmenter les volumes de production pétrolière et gazière pour les destiner au marché spot, une manière de sortir des solutions de facilités habituelles.

Pour le Venezuela, les choses pourraient tourner au plus mal après avoir vécu une inflation à plusieurs chiffres, le Fonds monétaire international (FMI) a rejeté une demande d'aide de 5 milliards de dollars réclamée par le président du Venezuela Nicolas Maduro afin de lutter contre l'épidémie de nouveau coronavirus dans son pays. Cette organisation internationale a fondé son rejet par un manque de clarté de la reconnaissance internationale de l'élection de Nicolas Maduro dans ce pays.

Note

(01)-http://www.ons.dz/IMG/pdf/comptesv2016-2019.pdf

*Consultant, économiste pétrolier