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Quel avenir pour la société montagnarde du labeur de l'abnégation et de la résistance ?(1)

par Abdelkader Khelil*

Trop longtemps, la Montagne est restée confinée dans une vision réductrice marquée par une politique héritée en grande partie de la période coloniale, dominée exclusivement par des travaux forestiers régis par des mesures réglementaires et administratives plus répressives que participatives à l'égard de la population. Le but principal, étant de juguler le phénomène de l'érosion, en mobilisant des moyens techniques presque toujours importés, tout en empêchant les riverains d'utiliser et de valoriser les sous-produits de la forêt.

La Montagne abrite une partie non négligeable de la population (près de 27 % en 2000) et constitue un bastion de résistance à des agressions multiples. Elle est considérée à l'instar de la steppe, comme le milieu naturel le plus encadré par les textes de l'interdit. Et pourtant ! Livrée à elle-même, la petite paysannerie du minimum vital et de la parcimonie, s'y agrippe toujours, comme par attachement ancestral à ses terroirs constitués d'arpents de terre de l'indivision, dominés par de petites exploitations familiales réparties sur 828.000 hectares (11% de la SAU). Sur ces terres, se pratique une agriculture de subsistance qu'une force de travail en déclin et, ne disposant que de moyens et d'aides dérisoires essaie de maintenir.

Même s'il est vrai que le souci environnemental demeure un objectif primordial pour un pays comme le nôtre, redevable de la nécessité de préserver ses ressources, l'on semble oublier que le développement durable ne peut se réaliser indépendamment de l'implication et de la participation conscientes de l'homme, c'est-à-dire, des populations riveraines actrices importantes dans tous les choix devant orienter et définir les programmes. Ceci d'autant que leurs impacts au plan économique, social, culturel et environnemental sont grands. Il s'agit en effet, de la conciliation de l'Homme avec son milieu ...

Force est malheureusement de constater que la compétence partagée entre les pouvoirs publics et la population dans la gestion de ces ensembles montagneux, n'a pu encore trouver sa meilleure traduction dans la gouvernance actuelle si calamiteuse, si peu novatrice et si peu à l'écoute des préoccupations et du génie de la population montagnarde, pour peu qu'elle soit consultée. Quel dommage et quel gâchis que cette attitude dirigiste, sinon autoritariste de l'Algérie « d'en haut » qui refuse encore d'inscrite sa politique dans un dispositif clair et négocié avec les populations concernées et impliquées pour l'élaboration et la mise en œuvre d'un « contrat-programme » inspiré par les principes avérés du « gagnant-gagnant » et des acquis mutuellement avantageux, reste encore vivace !

LES RAISONS D'UNE CRISE ÉCOLOGIQUE ET SOCIALE PROFONDE

Il faut rappeler que si en Algérie l'équilibre écologique a été rompu, que la fragilité et la dégradation des milieux montagnards se sont accélérées, cela est avant tout, le fruit du processus destructeur d'appropriation et de dépossession de notre paysannerie, lié au fait colonial. C'est en effet, durant la dure période de l'occupation française au XIX ème siècle, qu'est apparu le clivage et le manque de complémentarité entre l'espace traditionnel « ghettoïsé » et l'espace colonial dominateur et hégémonique. C'est ainsi qu'après la promulgation de la loi d'Auguste Hubert Warnier2 en 1873, la petite paysannerie chassée et dépossédée de ses terres, s'est trouvée face à l'obligation d'exploiter les terres déclives des zones de Montagne à faible fertilité, pour assurer sa survie et marquer sa présence sur un territoire symbolisant fièrement sa fermeté, sa volonté de résister et de s'opposer aux invasions étrangères. C'est de la sorte qu'elle manifesta courageusement son refus d'aliénation au système colonial, basé sur les grandes exploitations qui forgèrent et transformèrent le paysage des plaines et plateaux investis par la grande colonisation agraire.

En gens d'honneur, nos vaillants fellahs du labeur, furent combattus énergiquement par

l'administration française et condamnés injustement, comme Bouziane El Kalai l'icône des Béni Chougrane à la guillotine et, pour bon nombre d'autres insoumis à travers l'Algérie, à l'exil et aux bagnes de la Nouvelle Calédonie, de Guyane et/ou de Cayenne. C'est dire que la colonisation fut le fruit d'une domination politique et de l'imposition d'une législation favorable à la spoliation des terres des algériens au profit des colons et des infrastructures qui leur étaient destinées. En 1895, dans l'enquête qu'il a entreprise, Paul-Marie Peyerimhoff de Fontenelle 3 estimait qu'à la faveur de l'application de cette loi, les musulmans avaient perdu la jouissance de plus de 5 millions d'hectares depuis la conquête coloniale. Ils perdirent encore, la propriété et partiellement, la jouissance de 2,5 millions d'hectares jusqu'en 1920.

Depuis, dans l'aménagement des massifs montagneux l'attitude conservatrice non négociée avec les riverains de la forêt, donna la primauté à la protection du milieu et s'opposa à celle de sa mise en valeur au profit d'une agriculture de « subsistance dans la dignité » et du pastoralisme de montagne, reflet du caractère trempé d'une paysannerie algérienne fortement ancrée dans les traditions, les us et les coutumes des terroirs ancestraux. En fait, ce conflit d'intérêt s'inscrit toujours dans le prolongement de la philosophie développée par les initiateurs du projet de défense et de restauration des sols (DRS) initié en 1942 par l'école française des forêts et qui depuis l'indépendance, a fait bien des émules. Ce projet avait pour objet essentiel et stratégique : la protection des grands ouvrages hydrauliques menacés par l'érosion des bassins versants et par conséquent, la protection des terres de la grande colonisation agricole situées dans les riches zones de plaines.

Les banquettes de DRS inspirées des méthodes américaines et mises au point par Alexis Monjauze 4, devaient concerner près de 5 millions d'hectares. En dix ans, c'est-à-dire de 1946 à 1956, seuls 180.000 hectares furent traités, soit moins de 4% de l'objectif initial. Bien qu'impressionnants au plan des efforts d'investissements consentis par la colonisation française et des moyens mis en œuvre, cette opération de lutte contre l'érosion sans souci de préservation des intérêts des populations locales, a eu un impact négatif au plan socio-économique. La raison en est, l'absence d'entretien et de maintenance par des fellahs qui ont vu progressivement leur espace de parcours et de production fruitière empiétés et réduits. Ces banquettes imposées de façon autoritaire par le « beylik » français ont été parfois démolies, dès lors qu'elles apparaissaient comme des obstacles et des handicaps intolérables pour l'activité agro-pastorale. C'est ainsi, que mis à part quelques rares et spectaculaires réussites dans des îlots, en Oranie notamment, le problème est resté entier et l'érosion (32.000 ha tous les ans) a gagné de vitesse la politique volontariste de la D.R.S., telle qu'elle a été ébauchée. N'oublions pas ce dicton bien de chez nous : « Li yahseb wahdah ichitlah » !

C'est donc durant la nuit coloniale que la société montagnarde a eu à pratiquer pendant des décennies, à l'araire tirée par des animaux mal nourris et sans force, une agriculture douce de subsistance, faite de sueur, ce reflet du caractère de la société algérienne d'antan ne baissant jamais les bras, lorsqu'il s'agissait dans les conditions misérables d'antan, de subvenir à ses besoins les plus basiques en nourriture. Il est vrai que la pratique agro-pastorale a eu pour impact négatif, des formes d'exploitation peu adaptées à la fragilité des milieux dont la conséquence est souvent, une rupture d'équilibre. C'en est suivi une accentuation du phénomène d'érosion des terres, d'où l'envasement de barrages à l'image de ceux du Fergoug, à l'aval des monts de Béni-Chougrane dans la wilaya de Mascara ou du Ksob dans le Hodna, wilaya de M'Sila. À noter aussi, la faible protection de la ville de Ghazaouet contre les inondations à l'aval des monts des Traras dans la wilaya de Tlemcen et celle de Sidi-Bel-Abbès à l'aval de la chaîne montagneuse du Tessala. Bien d'autres exemples au Centre et à l'Est du pays peuvent être cités pour illustrer l'ampleur de ce phénomène.

C'est pour rétablir une vérité historique qu'il y a lieu de dire aujourd'hui, que cette crise génératrice d'érosion et d'aridification du milieu montagnard dont a hérité l'Algérie indépendante n'est en fait, ni la conséquence directe d'une fatalité géographique, ni même, d'un mode de vie ou d'une croissance démographique mal contrôlée. Elle trouve plutôt son explication, dans la spoliation des terres et le souci d'en tirer le plus vite possible le meilleur profit aux dépens de la population autochtone. Cette notion économique fondée sur le profit immédiat, contraste avec le souci de préservation des terroirs, du milieu et des écosystèmes où l'adaptation des modes d'exploitation des ressouces naturelles aux spécificités des agro-systèmes devrait être la règle en principe.

Alors, oui ! Il faut le dire haut et fort en le répétant autant de fois que nécessaire à nos congénères qui ont besoin de s'abreuver des enseignements de leur riche Histoire, notre paysannerie n'est en aucune manière responsable de cette crise de l'érosion des terres déclives qui est à considérer sans équivoque, comme un crime écologique ! Cette catastrophe héritée, vient s'ajouter à cette de la désertification des espaces steppiques et la remise en cause du système de l'économie oasienne suite à l'introduction irréfléchie et autoritaire de moyens et d'actions largement inadaptés pour le développement de l'agriculture saharienne. Elle n'est pas aussi responsable pour ce qui concerne directement la vie des êtres humains, des enfumades du Dahra, des méfaits de l'irradiation générée par les essais nucléaires et chimiques de Reggane et d'Oued Namous dans la wilaya de Béchar, durant la période coloniale.

Nos futurs ingénieurs en agronomie et foresterie, mais pas seulement, se doivent d'ancrer cette vérité dans leurs mémoires afin qu'ils s'imprègnent du caractère sacré de la terre nourricière, pour laquelle ont combattu leurs aïeux. Ils gagneraient à ce que leur soit enseignée la vraie histoire de la colonisation agricole expurgée de ses propagandes, comme celle des marais transformés en terres agricoles prospères, par « charité chrétienne » tout en zappant les efforts de notre paysannerie soumise à des travaux forcés ! Et ce n'est pas tout malheureusement, puisque bien d'autres méfaits coloniaux sont à inscrire au nom de l'action « civilisatrice » de la France coloniale, à propos de laquelle, dès 1869 Victor Hugo admet, changeant en cela totalement de ton, que la France : « est d'indigence et de honte meurtrie... Famine dans Oran, famine dans Alger, voilà ce que nous fait cette France superbe ! »

MISE EN VALEUR DES ZONES DE MONTAGNE : QUELS ENSEIGNEMENTS

Aussi incomplète soit-elle, la démarche sectorielle initiée pour le développement du secteur des Forêts , celui de l'Agriculture et de la mise en valeur des zones de Montagne initiée en 1986, a été la seule contribution à la résorption du chômage, à partir de la création d'emploi (généralement temporaire) au niveau des chantiers de reboisement, de correction torrentielle, de réalisation de retenues collinaires, de plantations fruitières et viticoles. Elle a également contribué quelque peu, à améliorer le revenu des exploitations familiales grâce notamment, au développement de l'apiculture et des petits élevages. Mais malgré la volonté affichée pour la promotion du développement de la montagne à la faveur de la création des Offices de mise en valeur en 1986, c'est le caractère techniciste qui a prévalu, au point où l'on peut conclure, qu'il n'y a jamais eu de volonté de l'Algérie « d'en haut » de concevoir et de mettre en place une authentique politique consensuelle et participative pour le développement intégré, spécifique et durable des zones de montagne de notre vaste pays.

C'est pourquoi, toutes les mesures et actions préconisées jusqu'alors, n'ont guère suffi pour enrayer le phénomène de l'exode, stabiliser les populations et encore moins, donner espoir aux jeunes de ces régions alors que des efforts colossaux ont été déployés par l'État au titre du désenclavement, de l'électrification rurale, de l'amenée du gaz dans bien des régions isolées et du développement des infrastructures socio-éducatives. Comment peut-on espérer qu'un tel objectif puisse être atteint, alors que les programmes restent encore, du seul ressort des services techniques de l'Agriculture et des Forêts ? Bien au contraire ! Le caractère sensible et spécifique du développement des zones de montagnes écosystèmes fragiles et dégradés, doit faire plutôt appel à des approches pluridisciplinaires dans l'élaboration des programmes à court, moyen et long termes. Ils sont donc à inscrire dans une vision prospective que seule une institution de planification et de programmation, comme celle que nous avions et qui a été détruite à la suite de la mise en place de la politique ultralibérale des décennies 80 et suivantes, peut garantir. C'est dire, qu'il faut impérativement la remettre en place !

Ceci renvoie à la nécessaire maîtrise des questions et domaines multiples que le ministère de l'agriculture, des forêts et du développement rural n'est pas capable d'y répondre seul. Le développement de l'économie de la Montagne nécessite des réponses et des prises en charge correctes et multidisciplinaires (agronomie, foresterie, zootechnie, mais aussi, sociologie, anthropologie, économie rurale, génie rural, formation et éducation, droit rural, cadastre et remembrement, petite hydraulique, écologie, aménagement du territoire, transferts sociaux, transformation des produits et sous produits forestiers, artisanat, écotourisme arts et métiers, au titre d'une reconquête territoriale d'espaces en dérive ...

Aujourd'hui, force est donc d'admettre que faute d'une planification assurant une vision stratégique avec des horizons géographiques et temporels suffisamment élaborés et admis consensuellement, aucune dynamique de développement des milieux montagnards ne peut se développer et réussir. Cette vision prospective est la seule à permettre d'éclairer et de mettre en œuvre des politiques intersectorielles acceptées dans le cadre d'une nouvelle gouvernance à concevoir et à mettre en place par des actions bâties sur des principes clairs et partagés, de complémentarité, de convergence, de solidarité intersectorielle, de partenariat, de synergie et de suivi-évaluation. Dans cette nouvelle démarche doivent être mis à contribution : le monde associatif, la communauté des chercheurs, les collectivités territoriales, les représentants des populations locales, les capacités nationales d'études et de réalisation. L'application de ces nouveaux modes de gouvernance est d'autant indispensable qu'au regard des milliers de zones d'ombre existantes et recensées, l'État est plus que jamais, interpellé sur cette question importante de revitalisation des zones de montagne pour l'insérer dans le cadre et les principes d'une politique hardie d'aménagement du territoire, seule à même de prévenir le risque majeur qui pèse lourdement sur la cohésion sociale et l'unité nationale.

OPTION D'UNE «ÉCONOMIE TERRITOIRE»

C'est dans le processus d'émergence d'une véritable « économie territoire » privilégiant l'intérêt de l'homme et la promotion du monde rural dans le respect de son environnement, qu'il sera alors possible, de rétablir les équilibres globaux et les complémentarités des espaces montagneux en vue d'assurer leur intégration au reste du potentiel productif de la Nation. L'objectif est non seulement, de freiner le déclin de ces écosystèmes sensibles, mais aussi, de contribuer à leur développement et à leur recomposition pour permettre à terme, l'émergence et le développement d'établissements humains, économiquement et socialement viables, dans des espaces montagneux revitalisés et réhabilités. À partir de cette dynamique novatrice de pluri-activité et de complémentarité des actions et des programmes, seront créées les conditions techniques, économiques, écologiques et sociales indispensables pour l'amélioration des conditions de vie et de revenu de la population montagnarde, la maîtrise des flux migratoires vers les grandes villes, d'équilibre régional et de cohérence dans le processus d'aménagement du territoire. Il s'agit donc, d'assurer les nécessaires arbitrages qui ont jusque là, été éludés faute d'une structure indispensable de planification et de programmation, entre les différents partenaires et utilisateurs économiques et sociaux de l'espace, ce qui a eu pour conséquences des approches incohérentes et différenciées, donc forcément opposées et incapables de mutualiser leurs moyens, leurs forces et leurs intelligences respectives, entrainant de façon irréversible, la dégradation des milieux.

Accepter aujourd'hui les formes consensuelles de préservation écologique, c'est admettre qu'il y a un prix à payer pour élargir les sources de revenus des populations locales, qui sans cela, verraient leurs intérêts sacrifiés au bénéfice de la seule démarche écologique et continueraient à contrevenir à celle-ci. La symbiose qu'il faudra alors établir entre l'homme et son milieu naturel composé de massifs forestiers, de maquis et/ou de garrigues, a dans ce cas pour corollaire, la recherche d'un complément d'activités qu'autorise la valorisation des atouts et potentialités multiples que recèlent les zones de montagne. Mais avant tout, la première chose à faire consiste à « casser » l'image négative que véhicule la mémoire collective de notre paysannerie qui perçoit la forêt, comme étant le domaine de l'interdit et de l'exclusion. Il faut donc que les riverains puissent enfin identifier la forêt, comme un milieu plus ouvert, que fermé à leurs préoccupations de subsistance et un potentiel dont l'exploitation et la mise en valeur tout en préservant son équilibre et sa régénération, ne pourra se faire qu'à travers des actions mutuellement avantageuses de partenariat et de programmes consensuels.

L'administration gestionnaire du domaine public forestier doit à ce titre, ouvrir en priorité aux populations riveraines et dans le cadre de la concession forestière transparente et équitable, les tranchées pare feu et les points d'eau, en favorisant l'introduction des espèces d'intérêt pastoral et fourrager telles : l'Hédysarum (saint foin), le câprier, le médicago arborea, l'opuncia (figue de Barbarie), mais aussi, aromatiques et pharmaceutiques qui peuvent coloniser avantageusement les sols en pente en les protégeant contre l'érosion, tout en augmentant la production de miel, des unités fourragères et la durabilité du système agricole. Il s'agira aussi, d'ouvrir les clairières pour la constitution de prairies naturelles, propices au développement et à l'intensification d'un élevage bovin de montagne. C'est cette image positive de la forêt qui est véhiculée partout ailleurs à travers le monde. Ceci est également valable pour les élevages caprins de montagne qui mieux conduits et mieux encadrés, peuvent générer d'autres activités, particulièrement la transformation du lait avec des mini fromageries familiales. Les massifs forestiers sont également un véritable réservoir, un incubateur et un atout pour valoriser l'artisanat, développer l'écotourisme et les activités de transformation de ses produits et sous produits (bruyère, liège, champignons ...)

L'assainissement, l'aménagement des forêts et le ramassage du bois, sont aussi d'autres domaines d'activités à ouvrir à la concession. Cela devrait permettre tout à la fois, d'améliorer les revenus et de réduire les risques fréquents d'incendies. À partir de cet élan qualitatif novateur, le caractère répressif d'essence coloniale sera démystifié et il sera alors possible, d'introduire chez les populations riveraines, des programmes de préservation du milieu et de présenter la forêt, comme un espace convivial, totalement inscrit dans l'esprit d'une action partenariale « gagnant-gagnant » et où, les mesures coercitives seront bannies. Tout cela reste nécessaire mais bien insuffisant ! Le consensus fragile, traité selon les formes indiquées, doit nécessairement trouver son prolongement dans la création de nouvelles richesses, seules à mêmes de prévenir la ruine écologique des écosystèmes sensibles de montagne.

Au titre de la diversification des activités productives génératrices d'emplois, la valorisation des substances utiles est à inscrire au premier plan de cette nouvelle dynamique de développement des zones de montagne. Les innombrables gisements et carrières de substances utiles et de matériaux les plus divers, pourraient donner lieu à la création de tout un réseau de très petites et/ou moyennes entreprises pour traiter et/ou exploiter divers minerais et produits : argile, calcaire, pierre de taille, marbre, agrégats et bon nombre d'autres filières. D'autres initiatives sont aussi à prendre dans les domaines d'activités liées à la promotion de l'artisanat, de la petite industrie, des loisirs et du tourisme vert : gîtes, motels et pensions familiales, unités d'exploitation et d'embouteillage d'eau de sources, réserves cynégétiques, clubs de chasse, clubs équestre, aérium, sanatorium, colonies de vacances, arborétum, muséum et centres de regroupement sportifs. Tout cela pour dire, que l'ouverture de la montagne à l'investissement public et privé et au partenariat, est une valeur ajoutée indirecte au monde rural, dans la mesure où elle permet la création de nouvelles ressources pour la collectivité et de l'emploi pour la population active, particulièrement pour les jeunes en milieu rural. N'est-ce pas là, une opportunité à saisir pour la création d'une banque totalement dédiée à la mobilisation de l'épargne des émigrés originaires de ces régions qui pourraient s'investir au double plan du capital financier et du savoir-faire entrepreneurial acquis outre-mer ?

En conclusion, nous pouvons dire que c'est à partir de l'amorce d'un authentique développement intégré, articulé autour de la convergence des actions multisectorielles et ancré dans une vision globale et planifiée d'aménagement du territoire, déclinée en projets intégrés de grands travaux conçus par des Commissariats et/ou Agences à caractère régional, s'appuyant sur le riche fond d'études et d'enquêtes économiques, techniques, sociologiques et environnementales déjà élaborées mais insuffisamment exploitées et utilisées, que doit être amorcée la politique d'aménagement et de mise en valeur des zones de montagne. Les projets intégrés dont la réalisation doit être confiée à des Offices de mise en valeur, seront un levier important pour assurer le renouveau et la revitalisation des espaces montagneux. À ce titre, il faut signaler et souligner que l'acte de dissolution dans les années 80 des entreprises communales et intercommunales ainsi que les régies communales, toutes génératrices d'emplois de proximité en milieu rural et, de véritables outils stratégiques de réalisation en milieu rural, agricole et forestier, au même titre d'ailleurs que l'ONTF, les EMIFOR et les Coopératives Communales Polyvalentes de Services (CAPCS), est un acte déplorable et antinational du vaste plan de démantèlement suggéré par le FMI, des moyens de réalisation que le pays a mis en place dans les années 70 pour le développement du monde rural. Le retour de ces structures s'avère aujourd'hui indispensable pour le traitement et l'éradication des poches de pauvreté et de précarité de vie dans la multitude des « zones d'ombres ».

De même, la petite paysannerie, accusée à tort d'être à l'origine de la destruction du milieu, doit être convenablement encadrée par des réseaux de recherche-vulgarisation et des structures de proximité, d'appui et de soutien aux activités agricoles et rurales. Dans le contexte de cette indispensable reconquête d'espaces en dérive, la réhabilitation du corps des moniteurs agricoles et des coopératives multiservices est une manière de garantir et de faciliter l'accès au progrès technique, à des agriculteurs et aux exploitations familiales dépourvus de moyens. C'est là aussi, un autre gisement de création d'emplois pour nos techniciens, nos ingénieurs et nos autres diplômés de l'Université et des Centres de Formation (économistes, sociologues, comptables, technologues, gestionnaires ...), auquel pourrait s'ajouter celui des Offices de mise en valeur qu'il convient également de réhabiliter en tant qu'outils indispensables pour la promotion de la mise en valeur des zones de montagne. Quel gâchis causé à notre agriculture et à notre économie de montagne, que leur dissolution prématurée ! La petite paysannerie et les exploitations familiales sont en droit de réclamer leur retour ! Cela n'est que justice ! C'est en effet, dans cette vision de pluriactivité fondée sur la solidarité que la société montagnarde devra entrevoir son destin et son avenir à terme. Elle ne peut plus se contenter de sa situation présente de précarité économique et sociale et du minimum vital que certains veulent lui imposer en dehors de toutes les aspirations et les espérances de sa jeunesse désenclavée par le Net, éveillée et ouverte sur un monde extérieur auquel elle s'assimile, en portant haut et fort ses revendications les plus légitimes, de bien-être dans la dignité et de progrès. C'est cela aussi, l'espoir d'une Algérie nouvelle qui doit faire des principes de l'égalité des chances, de la solidarité, de l'équité et de la justice sociale, ses crédos. Cette Algérie qui reste à construire, fut portée, demandée pacifiquement et de façon unitaire par le vaste mouvement de notre jeunesse des villes et des campagnes dans le cadre du Hirak « béni » du 22 février 2019... Saurions-nous être à hauteur de ce défi auquel notre société aspire ?

*Professeur

Notes :

1. Article inspiré par mon ouvrage : « La société montagnarde en question », édition ANEP 2000

2. Né le 8 janvier 1810 à Rocroi et mort le 15 mars 1875 à Versailles, homme politique français, préfet puis député d'Alger. De 1863 à 1866, il se fait porte-parole officieux des colons pour la défense de leurs intérêts, en opposition au projet de Royaume arabe de Napoléon III.

3. Né le 1873 et mort en 1957, inspecteur des eaux et forêts, représentant des affaires français.

4. Alexis Monjauze (1906-2001) était Ingénieur des Eaux et Forêts. Il choisit de servir en Algérie où il accomplira la plus grande partie de sa carrière, de 1929 à 1970. Après sa carrière en Algérie, il fut nommé en 1971, directeur du parc des Cévennes.