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Manœuvres politiciennes : l'éternel recommencement

par Mohamed Bensalah

Quand les historiens se pencheront sur la période que nous vivons aujourd'hui en Algérie, que retiendront-ils de cette période ? Quelle lecture feront-ils des événements ?

Ils ne pourront nier le fait qu'un peuple pacifique, armé de fleurs et de sourires, a réussi à faire vaciller tout un système en désintégrant son pouvoir diabolique. Ils diront aussi qu'un mouvement citoyen fier, puissant et résolu, a réussi à mettre à genoux une nomenklatura féroce qui avait fait main basse sur les richesses de tout un peuple. Ils diront enfin que grâce à un hirak inébranlable, aiguisant la soif d'espoir et de liberté, des femmes, des hommes de tous âges ont réussi à ouvrir la voie à une véritable démocratie.

Toute une année sans heurts et sans malheur ! N'est-ce pas en soi une victoire éclatante qui laisse tout à la fois stupéfait, admiratif et profondément heureux. Une réalité qui parle aux esprits qu'elle a mis en marche et aux cœurs qu'elle émeut. Nées du sentiment du peuple et d'une longue maturation dans les consciences des hommes et des femmes, des révoltes spontanées et pacifiques ouvrent d'immenses perspectives et de grands espoirs. Excepté un devin, nul ne pouvait imaginer, il y a une année, voir tout un système implacable ébranlé, un pouvoir inique à genoux et une classe politique corruptrice et corrompue désintégrée ...

Ces révoltes populaires ont eu un rôle salvateur. Mais, la négation de la collectivité citoyenne qui a longtemps sévi risque de resurgir car les mentalités politiques du passé et les vieux réflexes ne se perdent pas facilement. Pour l'heure, les décideurs feignent de se rendre à l'évidence en laissant couler quelques larmes de circonstance face aux caméras. Ils font mine de comprendre les aspirations des marcheurs pacifiques. «Je m'adresse directement au Hirak, que j'ai à maintes reprises qualifié de béni, pour lui tendre la main afin d'amorcer un dialogue sérieux au service de l'Algérie et seulement l'Algérie», affirmait l'actuel homme fort, lors de sa prestation de serment. Alors que les plaies coloniales n'avaient pas encore cicatrisé, de nouveaux monstres sans âme et sans conscience ont surgit du néant, rasant tout sur leur passage.

Le mal fait au pays et au peuple est incommensurable. Le pillage et des déprédations commises donnent à elles seules le vertige.

Après avoir fait main basse sur tout le pays, ils ont accaparé toutes les richesses et tous les rouages décisionnels. Maintes fois trahi, persécuté et pillé le peuple algérien a toujours su faire preuve d'une sérénité et d'une intransigeance exemplaire.

L'effervescence citoyenne qui secoue à nouveau le pays n'est pas prête de s'atténuer. Elle ne cessera que lorsque les quarante trois millions d'otages seront libérés et lorsqu'il sera mis fin aux injustices et aux frustrations. Les colères et rancœurs longtemps accumulées ont fini par éclater au grand jour. Elles sont à l'origine du rejet envers la politique et ceux qui l'exercent. Ces derniers, lamentablement agrippés à leurs privilèges, se cramponnent désespérément au pouvoir, en pratiquant un patinage qui n'a rien d'artistique.

D'autres, faisant mine d'ignorer que leurs jours sont comptés, jouent le jeu de l'autruche et essaient de calmer le jeu . Pour perdurer et en attendant que le pays se remette sur ses rails, ils tenteront le tout pour le tout, en dépit du bon sens, sans toutefois trop s'exhiber sur la scène médiatique.

Mais, personne n'est dupe ! Vus de loin, tous les attributs, tous les insignes dignes d'un Etat de droit semblent réunis: une Constitution, un Sénat, un Parlement, une Assemblée populaire, un Conseil constitutionnel, des juges et des magistrats pour dire le droit, des avocats pour plaider en faveur des citoyens lésés, des tribunaux administratifs chargés de trancher les litiges et de réparer les injustices, un pluralisme politique, une économie de marché en remplacement du dirigisme économique, un champ médiatique déclaré ouvert à toutes les formes d'expressions, des prud'hommes et des inspections de travail chargées de faire respecter le droit du travail et de poser des limites à l'arbitraire des pouvoirs privés et administratifs...

Mais, à y voir de plus près, le tableau n'est guère réjouissant. Nul besoin d'être un observateur attentif de la vie sociale et politique pour remarquer les dysfonctionnents nombreux à l'origine du soulèvement populaire. «Il y a de cela une année, les citoyens et citoyennes sont sortis dans un Hirak béni, pacifique...pour revendiquer le changement et rejeter, pacifiquement, l'aventure... », dira en substance l'homme actuellement aux commandes du pays. Qu'attend-il pour répondre favorablement aux revendications des marcheurs ?

Le bon grain et l'ivraie

Le hirak reprend son souffle. Cette deuxième année s'annonce comme étant celle de l'organisation. Gardant le cap et agissant comme révélateur, les marcheurs veulent reconquérir la maitrise de leur destin. Mais tout cela passe par l'instauration d'un réel Etat de droit à même de garantir l'indépendance de la justice, la promotion d'une démocratie véritable et la libération de la presse et des médias. Les marcheurs de la liberté se déclarent contre toutes les atteintes aux libertés fondamentales et pour une ouverture urgente du champ à l'expression libre. La réponse ne s'est pas fait attendre.

Sur un ton solennel, le président de la République qui souligne au passage que l'élection présidentielle du 12 décembre 2019 était un scrutin transparent et régulier: «Telle a été la volonté, invincible, du peuple, car émanant de la volonté d'Allah» se déclare « prêt à prendre en charge les aspirations des citoyens et mettre un terme à leurs souffrances, dans le cadre d'une nouvelle ère et d'une nouvelle République de manière à construire une Algérie nouvelle».

Comment croire aux promesses d'assainissement maintes fois réitérées ces derniers temps, alors que nos lois, nos statuts et règlements sont toujours bafoués ?

Comment espérer des jours meilleurs alors que tout est fait pour entraver les marches et décourager les marcheurs de la liberté ? Contre toute attente, cette semaine encore les hirakistes, considérés comme des ennemis de la patrie, ont eu droit à plus de répression, plus de brutalité policière et plus d'arrestations arbitraires.

La réalité est donc là pour contredire les généreux discours qui semblent être en décalage par rapport aux faits quotidiens. Entre les promesses et les pratiques subsiste un grand hiatus.

Les services de sécurité empêchent toujours les réunions des activistes du hirak comme celles des Forces de l'alternative démocratique, des représentants de la société civile et des journalistes indépendants qui veulent s'organiser et cela en contradiction flagrante avec la loi relative aux manifestations et réunions publiques.

Comment prétendre être favorable à l'émergence d'une nouvelle classe politique de jeunes et se déclarer prêt à satisfaire les revendications du Hirak, en bloquant toutes les initiatives citoyennes ? Les marcheurs hebdomadaires qui entament une deuxième année de résistance s'interrogent sur ces nouvelles manœuvres politiciennes de l'homme aux manettes du pays qui affirme puiser son programme dans les aspirations du Hirak béni.

Comment croire à une nouvelle façade politique qui ne veut pas sans rompre avec l'ordre ancien ? Inscrite en tête du nouvel agenda qui se concocte depuis deux mois : une nouvelle Loi fondamentale équitable, un Code électoral revisité, de nouveaux espaces de liberté, une démocratie réelle et solide, une nouvelle carte politique et des institutions élues irréprochables.

Paradoxale situation que celle de ce gouvernement de contournement du mouvement populaire qui présentant un «plan d'action» à une Assemblée nationale reliquat d'un régime que le peuple s'emploie à déchoir en vain. Est-ce ainsi que le nouveau régime compte aiguiser la soif d'espoir et de liberté de notre peuple ?

« Ils voudraient bien avoir l'air mais n'ont pas l'air du tout », dirait Brel.