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Comment dire ce que l'on pense !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

L'Algérie s'est dit surprise de la déclaration faite par le Président turc, Recep Tayyip Erdogan (après sa visite en Algérie) dans laquelle «il attribue au président de la République, Abdelmadjid Tebboune, des propos sortis de leur contexte sur une question liée à l'histoire de l'Algérie» (note : le nombre de victimes algériennes de la colonisation), indique un communiqué du ministère des Affaires étrangères.

«A titre de précision, l'Algérie affirme que les questions complexes liées à la mémoire nationale, qui revêt un caractère sacré pour le peuple algérien, sont des questions extrêmement sensibles. De tels propos ne concourent pas aux efforts consentis par l'Algérie et la France pour leur règlement», conclut le communiqué.

Tout d'abord, on croit comprendre le comportement de l'honorable invité qui s'est empressé de tout «rapporter», à sa manière, au public, le sien et les autres, les autres surtout...les Français en premier lieu, d'autant qu'il a quelque compte à régler avec eux. Ce n'est pas la première fois que Recep Tayyip Erdogan «frappe» la France avec l'argument algérien. En 2011, alors qu'il était Premier ministre, le chef de l'État turc avait accusé la France d'avoir commis «un génocide» en Algérie. C'était en réponse au vote par le Parlement français d'une loi pénalisant la contestation des génocides, dont celui commis par l'Empire ottoman en Arménie en 1915.

En réponse, le Premier ministre algérien de l'époque, Ahmed Ouyahia, avait répliqué que «personne n'a le droit de faire, du sang des Algériens, un fonds de commerce». «La Turquie, qui était membre de l'OTAN pendant la guerre d'Algérie (note : Elle a, aussi, «occupé» le pays durant plusieurs siècles, juste avant la France), et qui l'est encore, avait participé, en sa qualité de membre de cette Alliance, à fournir des moyens militaires à la France, dans sa guerre en Algérie, au moins par l'achat d'une bombe larguée en Algérie ou d'une balle tirée contre des Algériens», avait-il encore rappelé.

Les «refus», surtout franco-sarkozien, d'intégrer la Turquie à l'UE ont été la goutte faisant déborder le vase de la rancune. Toujours sans tenir compte de la gêne que cela pouvait engendrer dans les relations franco-algériennes.

Juste au moment où une autre déclaration, celle d'un autre président, français celui-ci, causant donc bien des remous.

Emmanuel Macron ne veut-il pas «faire sur la guerre d'Algérie ce qu'a fait Jacques Chirac sur la Shoah !», allusion à la reconnaissance officielle par l'ancien chef de l'Etat français des crimes commis contre les Juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Une déclaration (S'exprimant devant des journalistes français dans l'avion qui le ramenait d'Israël : «Je suis très lucide sur les défis que j'ai devant moi d'un point de vue mémoriel, et qui sont politiques.

La guerre d'Algérie est sans doute le plus dramatique. Je le sais depuis ma campagne. Il est là, et je pense qu'il a à peu près le même statut que la Shoah pour Chirac en 1995»), qui a suscité une levée de boucliers dans les milieux de la droite française et une intervention du ministre des Affaires étrangères qui appelle à «un travail de mémoire des deux côtés».

On croit comprendre aussi la démarche du jeune président français qui, se prenant pour Jupiter et se voulant De Gaulle, pratique la politique des petits pas, avec des petites phrases par ci par là! N'avait-il pas déjà qualifié la colonisation de «crime contre l'humanité». Il veut se débarrasser une bonne fois pour toutes du «boulet colonial» très, trop gênant pour sa politique internationale, car il sait que plus il tergiverse, plus les chiffres vont augmenter. 5 millions de victimes ? Non ! On peut aller jusqu'à 12 (selon Mostefa Khiati) si toute la période coloniale, depuis 1830, est prise en compte. Ajoutez-y les expériences nucléaires et chimiques au Sahara.

Mais on n'arrive pas à comprendre complètement tout le reste. Bien que ! Mais toujours se souvenir qu'en matière de Relations extérieures et, surtout, d'«Affaires étrangères», parler aux autres, à tous les autres, même à ses proches, pour le commun des citoyens et encore plus pour les «responsables», est devenu un art à pratiquer avec précaution, modération et, surtout, méfiance. Et, ne pas oublier qu'«en matière de politique, il n'y pas de droits d'auteur» (Camus Albert, 1939).