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L'Etat, plus gros dilapidateur des deniers publics

par Mohamed Houat

Dans tous les pays régis par les lois de la bonne gouvernance, aucun investissement n'est consenti sans étude économique préalable qui doit établir sa rentabilité (projets industriels ou réalisation d'infrastructures, par exemple) ou sa pertinence à répondre à des besoins sociaux-culturels clairement identifiés (Equipements publics tels que la construction d'établissements scolaires ou hospitaliers, bibliothèques..).

A tous les niveaux, institutions étatiques, élus et mouvements associatifs, des débats transparents et responsables sont organisés où la vigilance est de mise pour traquer les projets budgétivores ou ceux qui n'apportent pas la preuve de leur intérêt économique.

A l'opposé, chez nous, depuis l'indépendance, la presque totalité des investissements consentis par l'Etat a été dictée par des impératifs politiques caractérisés par le volontarisme et la démagogie, sans aucun souci de rentabilité. Au temps des fameux plans quadriennaux, la politique économique, sous-tendue par la doctrine des industries industrialisantes, a abouti à l'édification d'un ensemble de complexes industriels devenus de véritables gouffres financiers.

Plus près de nous, durant l'ère d'Abdelaziz Bouteflika, la dilapidation par l'Etat des deniers publics a connu un essor inégalé grâce à la rente pétrolière. Sans contre-pouvoir en mesure de tempérer la voracité du système prédateur, les dépenses publiques ont connu des hausses vertigineuses consacrées à des projets lancés sans étude préalable visant à évaluer leur rentabilité, ayant donné lieu à des surcoûts élevés dont une bonne partie a alimenté la corruption érigée en système incontournable.

Au-delà du coût exorbitant de l'autoroute Est-Ouest (le coût au kilomètre serait plus de deux fois celui des normes internationales), sa réalisation n'est nullement justifiée sur la totalité du tronçon. Une étude préalable de trafic aurait certainement permis d'identifier les tronçons dont le trafic prévisible les rend économiquement éligibles au statut autoroutier. Il est fort possible que cette étude ait existé, et que les décideurs n'en n'aient pas tenu compte, eux qui, prestige oblige, voulaient frapper les esprits en réalisant l'intégralité du tracé du projet du siècle. La formule étude et réalisation, appliquée ici et ailleurs, ne permet pas la maîtrise du coût des travaux, à cause des aléas, principalement géotechniques. Mais le plus grand grief à l'encontre d'un tel projet reste son mode de financement. Réaliser l'autoroute Est-Ouest sur le budget de l'Etat est une aberration économique, alors que le simple bon sens aurait conduit à adopter les pratiques saines en vigueur dans d'autres pays consistant à faire supporter les coûts de construction, exploitation et entretien par des sociétés privées, moyennant concession. Le recours à ce système aurait d'ailleurs automatiquement abouti à ne réaliser dans une première phase que les tronçons rentables, puisque le profit est le souci premier de toute entreprise économique. Le fait que, jusqu'ici, le péage n'ait pas vu le jour alors que l'autoroute est ouverte à la circulation depuis plusieurs années, montre que la rentabilité n'est pas la préoccupation première de nos gouvernants.

La baisse du prix du pétrole a heureusement relégué aux oubliettes l'autoroute des Hauts Plateaux, qui aurait englouti à pure perte des sommes abyssales.

Autre projet colossal dont le sort final reste flou, celui du nouveau port centre de Cherchell. Un tel projet aurait dû nécessiter avant son lancement une longue phase de maturation ponctuée par des études d'opportunité, de faisabilité et de rentabilité. L'étude du choix de site aurait certainement désigné un endroit meilleur que celui retenu, semble-t-il pour des raisons politiques.

La dilapidation des deniers publics est aussi le fait de L'Etat-providence qui consacre une part importante du budget public à la réalisation de logements revendus à prix d'or par certains acquéreurs. Cette tache, qui n'incombe pas à l'Etat, devrait revenir principalement aux promoteurs publics ou privés qui céderont leurs logements au prix du marché.

La politique de soutien et de subvention des prix a abouti au gaspillage du pain, fait de farine importée, dont une grande quantité se retrouve dans les poubelles, tandis que le prix de l'essence, en partie ramenée de l'étranger, est l'une des moins chères au monde, permettant à des automobilistes désœuvrés, les jeunes surtout, de vadrouiller dans les routes à longueur de journée sans raison, tout en occasionnant des accidents mortels.

Il est clair qu'à cause de cette politique démagogique, nous vivons largement au-dessus de nos moyens.

Le projet de la grande mosquée d'Alger, dû à la folie des grandeurs du président déchu, mérite sans conteste la palme d'or en termes de dilapidation d'argent public. Même les arguments religieux les plus alambiqués ne peuvent justifier un projet aussi dispendieux dont le coût avoisinerait les deux milliards d'euros. Si par cette entreprise faramineuse Bouteflika pensait rendre hommage à Allah, c'est raté, puisque Dieu lui-même fustige les dilapidateurs qu'il compare dans le Coran à des démons (Sourate El Miiraj, Le voyage nocturne)

Il serait fastidieux de citer le nombre de réalisations où l'argent est dépensé en pure perte, sans que les organes de contrôle chargés de veiller à sa saine utilisation ne réagissent. Pour nombre d'opérations, il n'est même pas besoin d'étude économique pour démontrer leur inanité. Malheureusement, nous ne tenons jamais compte des bourdes passées que nous continuons à reproduire à l'infini sans se lasser.

L'Algérie dispose d'une flopée de compétences dans tous les domaines, y compris au sein des ministères et d'autres institutions étatiques. Hélas, depuis toujours, l'avis du politique prime sur celui de l'expert. Des projets fantaisistes ont été réalisés sur un coup de tête d'un ministre ou d'un wali. Il n'est pas juste de punir un sous-fifre pour le délit de dilapidation des deniers publics pour un préjudice somme toute limité, et de ne pas sévir dans le cas d'hommes politiques conduisant tout un pays à la catastrophe. Le politique doit rendre compte de ses actes au même titre que le reste des justiciables.

Le tarissement de la cagnotte qui a permis jusqu'ici cette énorme gabegie est pour bientôt. L'heure de la vérité approche. Le peuple a depuis longtemps été habitué à téter les mamelles de l'Etat. Son sevrage sera problématique. Avec quel argent le pouvoir va-t-il acheter la paix sociale ? Certainement pas avec celui du FMI. De jours difficiles nous attendent.