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Le faux pas de Zeghmati

par Kharroubi Habib

Les magistrats du pays qui ont entamé dimanche une grève nationale en protestation contre le vaste mouvement opéré dans leur corps l'ont poursuivie hier lundi défiant ainsi leur ministre de tutelle Belkacem Zeghmati qui a stigmatisé l'action qu'ils ont entreprise. L'ampleur du mouvement fait entrevoir que Zeghmati est dans l'impossibilité de « ramener » à la raison les grévistes sauf à suspendre l'opération qu'il a pilotée et à ouvrir le dialogue avec le Syndicat national de la magistrature (SNM) à l'appel de qui ils ont massivement répondu.

La méthode « forte » pour laquelle il semblait avoir opté à l'annonce par ce syndicat de la grève qui paralyse son département ministériel, il n'a pu l'employer car elle aurait été génératrice d'une situation explosive dans l'appareil judiciaire qui joue un rôle essentiel dans les deux opérations clefs engagées par le pouvoir de fait depuis la démission forcée de l'ex-président Bouteflika : la lutte contre la corruption et l'organisation de l'élection présidentielle. La réaction de ce pouvoir au bras de fer qui oppose le ministre de la Justice au corps des magistrats se décrypte à l'aune de cette perspective dont il anticipe et redoute les conséquences.

Par la voix de son porte-parole, le ministre de la Communication, le gouvernement a appelé les deux parties au dialogue et s'est gardé d'exprimer sa solidarité avec l'impétueux garde des Sceaux. Zeghmati qui pensait peut-être être « blindé » question soutien pour l'entreprise de chamboulement qu'il a entrepris d'opérer va devoir sûrement en rabattre, lâcher du lest et sûrement revoir en négociation avec le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et le Syndicat national de la magistrature (SNM) le fondement des changements hâtivement décrétés.

Zeghmati qui depuis sa promotion au poste de ministre de la Justice et garde des Sceaux se distingue par son zèle à maintenir la justice dans la dépendance du pouvoir de fait contesté par le mouvement populaire a commis l'erreur de faire se braquer les magistrats contre cette dépendance à un moment où ce même pouvoir l'instrumentalise à fond pour intimider ou faire taire ses opposants. Son faux pas semble même avoir mis dans la gêne Ahmed Gaïd Salah, l'homme fort de ce pouvoir, comme le donne à comprendre le silence qu'il a observé sur la fronde des magistrats lors de l'allocution qu'il a prononcée à l'occasion de l'inauguration officielle du centre national des transmissions de l'ANP, coïncidant pourtant avec le jour où les magistrats ont entamé leur grève nationale.

Gaïd Salah a probablement « zappé » cet évènement absolument unique dans les annales de la justice algérienne pour ne pas laisser percer l'embarras dans lequel l'a mis la fronde des magistrats dont il n'a cessé d'encenser et de louer l'action depuis le début du Hirak et leur « engagement » dans la lutte contre la « issaba » et la « corruption ». Il ne pouvait tout de même pas passer illico à leur égard de la louange à l'invective et à la menace. Son embarras, Zeghmati risque d'en faire les frais.