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Palestine: Contre l'invisibilisation du Génocide (1re partie)

par Mazouzi Mohamed*

«L'une des plus grandes ruses du diable c'est de ous persuader qu'il n'existe pas» Charles Baudelaire

«Déshumanisation» , un terme qui revient souvent depuis 2013 pour décrire la barbarie coloniale sioniste, un terme pourtant largement exploité par les sciences humaines et sociales lors des études qui ont porté sur la description des mécanismes idéologiques, politiques, militaires inhérents à la sauvagerie des empires coloniaux.

Un phénomène (bestialisation, infériorisation) qui sera au cœur de la pensée de l'intellectuel palestinien Edward.W. Said (Post-colonial studies) et de l'Historien français Pascal Blanchard. On serait tenté de penser que ces deux auteurs (1) ont traité le fait colonial en tant que discours et pratiques renvoyant à un passé révolu, cependant nul n'aurait jamais imaginé que le peuple le plus persécuté et méprisé de l'histoire allait à son tour se métamorphoser pour devenir un colonisateur et un tyran à l'image de ses anciens bourreaux.

Commencez par déshumaniser l'autre et le reste viendra tout seul.

«Aujourd'hui, l'establishment occidental et ses médias traditionnels reviennent aux fondements racistes et euro-coloniaux qui sous-tendent le droit d'envahir, de coloniser et de commettre un génocide aux Amériques et ailleurs dans le monde depuis 1492. Ils emploient tout un éventail perturbant de termesdéshumanisants et racistes pour vilipender les Palestiniens et délégitimer leur lutte, les qualifiant de «bêtes», d'«animaux», de «barbares», de «terroristes», de «mal», de «sauvages» Gaza provoque un effondrement de la mentalité coloniale de l'Occident.» (2)

Le 9 avril 1948, le massacre de Deir Yassin, village situé à l'ouest de Jérusalem (femmes éventrées et violées, enfants égorgés, vieillards exécutés...) était un message destiné à tous les Palestiniens et visant à montrer sans aucune ambigüité la détermination des Israéliens à utiliser le génocide comme moyen de conquête. L'horreur de cette nuit sera le prélude à la Nakba de 1948 et à toutes les horreurs qui se déploieront méthodiquement par la suite. Le massacre de Deir Yassin, dans sa cruauté, les procédés utilisés et les buts recherchés, c'est ce à quoi nous assistons aujourd'hui : l'extermination totale des Palestiniens et la conquête de tout le territoire. «C'est la volonté de Dieu, écrira Theodor Herzl, que nous revenions sur la terre de nos pères, nous devrons, ce faisant représenter la civilisation occidentale, et apporter l'hygiène, l'ordre et les coutumes pures de l'Occident dans ce bout d'Orient pestiféré et corrompu» (3).

Herzl était bien déterminé à en finir avec les Palestiniens, il écrira dans son journal intime le 12 juin 1895 : «Nous devrons essayer de faire disparaître la population sans le sou de l'autre côté de la frontière en lui procurant de l'emploi dans les pays de transit, tout en lui refusant tout emploi dans notre propre pays». (4)

Affichant un mépris assumé à l'égard de l'ONU, dès 1937, David Ben Gourion, futur Premier ministre d'Israël, expliquait : «Après la formation d'une armée importante dans le cadre de l'établissement de l'État [juif], nous abolirons la partition et nous nous étendrons à l'ensemble de la Palestine.» (5) Quant à son alter égo Yossef Weitz, chef du département colonisation de l'Agence juive en 1940, il déclarait assez tôt : «Il doit être clair qu'il n'y a pas de place pour deux peuples dans ce pays. Nous n'atteindrons pas notre but si les Arabes sont dans ce pays. Il n'y a pas d'autres possibilités que de transférer les Arabes d'ici vers les pays voisins - tous. Pas un seul village, pas une seule tribu ne doit rester.» (6)

Depuis 1948, les Palestiniens seront tantôt brutalement expulsés de leurs terres, carrément exterminés, tantôt transférés comme du bétail vers les pays arabes voisins pour y être parqués comme des animaux.

Ceux qui survivront dans des enclaves et des espaces clos seront condamnés à vivre dans des conditions déplorables et contraires à la dignité humaine.

Depuis 1948 ; Israël mettra en œuvre une stratégie démoniaque qui consistera à éliminer l'ensemble des Palestiniens sans que le monde ne soit au courant. Israël a été à bonne école. Hitler procédera de la même manière durant la Shoah : invisibiliser l'extermination.

Le monde restera longtemps indifférent, incrédule ou complice de ce qu'Israël faisait subir aux Palestiniens. Les crimes se déroulaient à huis-clos, loin des regards et des consciences.

Invisibiliser l'oppression de l'autre ne peut s'opérer que lorsque tout le monde regarde ailleurs.

On emploie souvent cette notion «d'invisibilisation» pour essayer d'expliquer notre silence, se justifier, se disculper, apaiser sa conscience ; piètres alibis. On n'a pas vraiment cherché à savoir. C'est ce qui s'était passé en Allemagne nazie et en Russie stalinienne. Tout le monde prétendra ne pas avoir été au courant.

L'ONU a fait un travail remarquable. Elle ne cessera de condamner les agissements criminels d'une entité sioniste qui affichera, en permanence, un mépris total aux résolutions onusiennes. (7)

Toutes les guerres arabes menées contre Israël furent désastreuses pour les Palestiniens. Après l'échec cuisant, chaque armée arabe s'en retournera chez elle abandonnant les Palestiniens à un sort plus funeste. Après chaque escarmouche, l'Etat sioniste détruira des centaines de villages et confiera au FNJ (Fonds National Juif) la tâche de planter sur ce passé millénaire d'immenses forets et des parcs. Après chaque échec arabe, Israël récupérera plus de terres, essaimera plus de colonies, transformera Gaza en une plaine surréaliste de décombres et fera en sorte que si par miracle un Etat palestinien émerge de cette apocalypse, il sera non seulement impossible de revenir à la ligne d'Armistice. Suite à la guerre des Six jours, on peut dire que le territoire palestinien n'a cessé de se rapetisser à vue d'œil de sorte qu'il ne restera plus d'espace vacant pour y loger qui que ce soit.

En attendant de reconstruire Gaza si toute fois Israël y consent, les Palestiniens seront encore une fois parqués quelque part, ou transférés vers l'inconnu. «Nous, les habitants de Gaza, sommes en train de sortir de l'histoire en temps réel», dira la journaliste et poétesse palestinienne Nour Elassy «Car, en détruisant tous les possibles, Israël a, d'ores et déjà, réussi son plan d'expulsion forcée.»(8)

On ne peut comprendre Israël sans regarder derrière soi, chercher la bête qui était tapie dans l'ombre, prête à faire parler ses pulsions, ses rêves de grandeurs, sa haine.

L'histoire d'Israël en Palestine, s'articulera dès 1948 autour de huit grandes manœuvres funestes et décisives :

1) Fabriquer et alimenter le mensonge /mythe autour d'une menace arabe déterminée à exterminer les juifs.

2) procéder à l'expulsion, le transfert, la Nakba de 1948 organisée dans le cadre d'une épuration ethnique pure et simple.

3) Œuvrer à la destruction complète du passé palestinien (des centaines de villages seront entièrement rasés en dépit des nombreuses résolutions de l'ONU relatives au droit du retour), rendre les territoires méconnaissables, procéder ainsi à l'invisibilisation de la tragédie palestinienne.

4) Ne pas interrompre la politique de colonisation dans les territoires occupés afin de parachever le projet initial qui consiste à vider la Palestine de tous ses occupants, un immense chantier qui correspondait aux vœux Theodore Herzl, de David Bengourian , de Golda Meir et des courants sionistes radicaux qui finiront ultérieurement la tache entamée en 1948.

5) Empêcher l'accès aux archives, prolonger les délais de déclassification et dissimuler tout ce qui serait susceptible d'être compromettant.

6) Déclencher des mesures de représailles contre quiconque oserait remettre en cause la politique israélienne.

7) Imposer le silence et la censure même à l'intérieur de l'Etat hébreu.

8) Manifester un mépris total à l'égard de toutes les voix dissidentes d'où qu'elles puissent provenir (ONU, CPI, Organisations des droits de l'Homme, Historiens, Intellectuels, Ecrivains, Artistes...)

Sur des centaines de villages détruits et sur toutes les terres spoliées, Israël procédera à une politique d'afforestation, on hébraïsera les lieux, on érigera des parcs et on implantera, au fur et à mesure de nouvelles colonies juives. Pour des raisons d'utilité publique et d'ordre sécuritaire, on grignotera toujours un peu plus les terres palestiniennes.

On livrera tous les mécontents (Hommes, femmes, enfants, vieillards) à une justice militaire féroce qui les traitera selon des normes qui échappent complètement au Droit international, au droit tout court. Végétation, architecture, routes, murs... Le projet sioniste a remodelé le paysage en Israël et dans les territoires occupés, créant de complexes entrelacements où la présence palestinienne est cachée, quand elle n'est pas mise sous surveillance ou parquée. Un satanique remodelage d'un tissu urbain à la faveur des israéliens obligeant les Palestiniens à se mouvoir dans un enchevêtrement de routes labyrinthiques, entrecoupées par des checkpoints. Une mobilité urbaine kafkaïenne. Le sociologue français Alain Dieckhoff(9) en parlera longuement de cette «Stratégie territoriale» qui s'articule autour de quatre grands axes qui se soutiennent et se complètent : l'action militaire de conjuration de la menace armée, l'action démographique d'occupation de l'espace humain, l'action utilitaire d'exploitation des ressources économiques et de maîtrise de l'eau, l'action symbolique d'enracinement dans les hauts lieux de la mémoire juive.

Israël construira son mur d'Apartheid, transgressera la ligne d'Armistice de 1949, construira un lacis de 700 km de routes, fragmentera les terres palestiniennes de la Cisjordanie si bien qu'il deviendra littéralement impossible pour les Palestiniens de communiquer entre eux, dans le cadre d'une continuité territoriale rationnelle et susceptible de former un Etat.

Dans son livre qui reçut le Prix Pulitzer 2024 , «Une journée dans la vie d'Abed Salama.» Anatomie d'une tragédie à Jérusalem», le journaliste américain Nathan Thrall décrira cet enfer urbain dans lequel se débattent au prix de tant de souffrances les Palestiniens chaque jour.

Dans un entretien à Mediapart (10), le journaliste dénoncera l'implacable démonstration du système d'apartheid à l'œuvre en Cisjordanie, l'inégalité des vies sous le joug colonial israélien et l'impunité dont bénéficie Israël.

A suivre

*Universitaire

Notes :

(1) Said.Edward.W, «L'Orientalisme : L'Orient crée par l'Occident», Paris, Seuil, 1980_Pascal Blanchard , «Zoos humains et exhibitions coloniales. 150 ans d'inventions de l'Autre» ,Paris La Decouverte , 2011.

(2) Emile Badarin, «Gaza provoque un effondrement de la mentalité coloniale de l'Occident» | Middle East Eye édition française 2023-10-30

(3) Theodor Herzl, «The Complete Diaries of Theodor Herzl», New York et London, Herzl Press and T. Yoseloff, 1960, I, p. 343

(4) Ibid.

(5) Simha Flapan, «The Birth of Israel, Myths and realities», Pantheon, New York, 1987. P.22.

(6) Benny Morris, «1948 and After, Israel and Palestiniens»,Oxford :Clarendon Press ; New York : Oxford University Press, 1990. (7) Entre 1948 et mars 2024, le Conseil de sécurité a adopté 229 résolutions sur la colonisation israélienne, le statut de Jérusalem et sur le retour des refugiés palestiniens, qui sont demeurées sans effet.

(8) Nour Elassy , «Nous, les habitants de Gaza, sommes en train de sortir de l'histoire en temps réel» 31 mai 2025 .https://www.mediapart.fr/journal/international

(9) Alain Dieckhoff, «Les espaces d'Israël , Essai sur la Stratégie territoriale israélienne» Fondation pour les études de défense nationale, Coll. «Les 7 épées , Paris, 1987.

-Alain Dieckhoff ,«Les trajectoires territoriales du sionisme»Vingtième siècle, n°21, janv-mars1989.

(10) Rachida El Azzouzi , Nathan Thrall : «La déshumanisation des Palestiniens a été normalisée» , Mediapart ,11 septembre 2024.

Voir aussi , Le Monde du 30 juin 2024 , -«Une journée dans la vie d'Abed Salama», de Nathan Thrall : drame ordinaire en Cisjordanie occupée», Valentine Faure.