![]() ![]() ![]() La fiction de la « civilisation judéo-chrétienne »: Un mythe au service de la guerre idéologique
par Salah Lakoues ![]() En
septembre dernier, Bruno Retailleau affirmait sur LCI
: « Notre culture est judéo-chrétienne ». Quelques mois plus tard, le Premier
ministre israélien Benyamin Netanyahou s'exclamait sur la même chaîne : « notre
victoire, c'est votre victoire ! C'est la victoire de la civilisation
judéo-chrétienne contre la barbarie. » Ces déclarations, loin d'être
anecdotiques, traduisent l'ascension d'un concept devenu central dans les
discours politiques occidentaux : celui de la «civilisation judéo-chrétienne».
Un héritage inventé Contrairement à ce que laisse entendre son usage actuel, l'expression «judéo-chrétien» n'a rien d'un héritage séculaire. Pendant des siècles, l'Europe chrétienne a marginalisé et persécuté ses populations juives, accusées de déicide et exclues de l'espace civique. La réconciliation avec la mémoire juive ne viendra qu'après l'horreur de la Shoah. Le terme prend véritablement corps aux États-Unis dans les années 1940. Face au nazisme puis au communisme, les élites politiques et religieuses américaines forgent l'idée d'une communauté de valeurs «judéo-chrétiennes» censée unir juifs et chrétiens. Cette fiction sert alors à intégrer la minorité juive dans la nation américaine, mais aussi à construire un bloc idéologique contre l'ennemi soviétique «athée». De Washington à Paris : un discours importé Au lendemain du 11 septembre 2001, l'expression est réactivée par les néoconservateurs américains. L'«Occident judéo-chrétien» serait le rempart contre la «barbarie islamiste». George W. Bush parla même de «croisade», avant de se rétracter. Derrière ces mots, une vision binaire du monde s'impose : d'un côté la civilisation, de l'autre la menace. Ce récit a rapidement traversé l'Atlantique. En Europe, il sert à justifier l'alignement sur les guerres américaines, à refuser l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, et à opposer une identité «judéo-chrétienne» fantasmée à l'immigration musulmane. En France, la droite conservatrice et l'extrême droite en ont fait un marqueur de ralliement. Le «choc des civilisations»: un récit de substitution Après l'effondrement de l'URSS, l'Occident a perdu son ennemi idéologique central : le communisme. C'est alors que la thèse du politologue Samuel Huntington, popularisée dans les années 1990, s'impose dans les cercles de pouvoir : le nouvel affrontement mondial ne serait plus idéologique mais «civilisationnel». L'islam y est présenté comme le principal adversaire de l'Occident. Cette vision, largement instrumentalisée, a permis de fabriquer un ennemi extérieur de substitution, légitimant les interventions militaires au Moyen-Orient et en Afrique, tout en perpétuant l'exploitation du Sud global. Derrière la rhétorique civilisationnelle se cachent les intérêts stratégiques : accès aux ressources, contrôle des routes énergétiques, maintien d'une hégémonie économique. En opposant artificiellement «civilisation» et «barbarie», l'Occident continue de justifier une domination héritée du colonialisme. Gaza, champ de bataille symbolique Aujourd'hui, Netanyahou reprend à son compte cette rhétorique. En présentant l'offensive israélienne sur Gaza comme une «guerre de civilisation», il transforme un conflit colonial et politique en lutte existentielle entre l'Occident et la «barbarie». Cette opération sémantique poursuit un double objectif : neutraliser toute critique en l'assimilant à une trahison de la civilisation, et arrimer définitivement l'Europe au camp israélien. Ainsi, Gaza devient le miroir où l'Occident projette ses propres angoisses identitaires. Loin d'apporter une solution, cette rhétorique essentialise le conflit et justifie la violence par une prétendue défense des valeurs universelles. Une identité réductrice et excluante Le problème est que cette «civilisation judéo-chrétienne» est un mythe réducteur. Elle occulte l'apport décisif de la pensée grecque et romaine, comme celui des savants arabo-musulmans qui ont transmis et enrichi les savoirs antiques. Elle efface la diversité actuelle des sociétés occidentales, où coexistent athées, musulmans, bouddhistes et bien d'autres traditions. Elle permet surtout de fermer les yeux sur les violences coloniales, toujours présentes dans les mémoires du Sud. Rompre avec la fiction L'invocation de la «civilisation judéo-chrétienne» n'est pas un simple choix de vocabulaire. C'est une arme idéologique, utilisée pour tracer des frontières symboliques, pour désigner des ennemis, pour justifier des guerres. En adoptant sans recul cette rhétorique, une partie des élites politiques et médiatiques européennes s'enferme dans une vision binaire du monde, où critiquer Israël équivaut à trahir l'Occident. Or, l'histoire enseigne l'inverse : l'Occident s'est construit dans la pluralité, dans les échanges, souvent dans la confrontation, mais jamais dans l'homogénéité. Revendiquer la complexité des héritages est le seul moyen d'échapper à ce piège rhétorique. Notre approche propose une analyse critique très pertinente des usages politiques et idéologiques de la notion de « civilisation judéo-chrétienne » et du concept connexe du « choc des civilisations ». Voici une analyse approfondie de cette approche, ses forces et quelques pistes complémentaires pour l'enrichir ou la nuancer. Analyse approfondie de l'approche Démystification historique et idéologique Notre approche fait un travail en déconstruisant la notion de « civilisation judéo-chrétienne » comme une construction politique récente, née surtout dans le contexte de la Guerre froide et des conflits idéologiques (nazisme, communisme). Cela met en lumière le caractère artificiel et instrumental du concept, fruit d'une alliance tactique plus que d'un héritage historique homogène. Nous soulignons à juste titre que cette idée occulte des siècles d'antisémitisme européen et que son usage n'a rien d'un consensus historique. Cette déconstruction est essentielle car elle dévoile comment le mythe sert des intérêts géopolitiques actuels, particulièrement par l'instrumentalisation de la mémoire de la Shoah et la volonté de constituer une identité occidentale exclusive face à des «autres» désignés, notamment musulmans. L'intersection avec la thèse du « choc des civilisations » Nous éclairons bien la manière dont la fin de la Guerre froide a laissé un vide idéologique que le récit du « choc des civilisations » a comblé, en repositionnant les conflits internationaux non plus sur un clivage idéologique, mais sur un affrontement culturel et religieux. Le texte met en exergue l'utilisation politique de ce cadre conceptuel, qui légitime non seulement les interventions militaires mais crédibilise aussi la perpétuation des hiérarchies économiques postcoloniales. Cette analyse révèle que le discours sur la civilisation - souvent supposé porteur de valeurs universelles - nourrit en réalité une vision réductrice et conflictuelle, cachant des logiques concrètes d'exploitation, ce qui est un apport conceptualisant important. Dimension symbolique et stratégique du discours contemporain Le passage sur la reprise explicite de cette rhétorique par des figures politiques comme Netanyahou illustre bien l'usage actuel du mythe comme arme politique. L'usage par Israël du récit « guerre de civilisation » transforme un conflit complexe en une opposition manichéenne qui neutralise le débat, interdit la critique, et exige l'alignement des élites européennes. C'est un bon exemple de la double fonction stratégique du discours : défendre une politique intérieure et extérieure, tout en manipulant l'opinion et le débat démocratique. Critique des effets exclusifs et européens-centristes du concept Nous soulignons justement que la « civilisation judéo-chrétienne » efface une part significative des apports culturels (grec, romain, arabo-musulman) et masque la diversité réelle des sociétés occidentales. Cette perspective éclaire la falsification identitaire à l'œuvre, qui enferme l'idée occidentale dans un périmètre trop étroit, excluant athées, musulmans et autres minorités. Cela ouvre un débat sur les identités plurielles et sur la manière dont elles permettent de dépasser les oppositions essentialistes. Appel à une approche complexe et plurielle Notre conclusion pose une invitation forte à renouer avec la pluralité comme condition pour dépasser les fracturations identitaires et les idéologies simplificatrices. Cette call for complexity est un horizon politique et intellectuel pertinent. En cela, le texte propose une démarche critique constructive, dépassant la seule dénonciation pour esquisser une alternative. Pistes complémentaires pour enrichir l'analyse Dimension postcoloniale Nous mentionnons la persistance des violences coloniales dans les mémoires du Sud global. Ce point pourrait être développé en précisant comment la rhétorique civilisationnelle est un prolongement discursif du projet colonial, qui visait à légitimer la domination occidentale par une prétendue supériorité culturelle et morale. Cette grille postcoloniale renforce la compréhension des enjeux. Le rôle des médias et de l'éducation Il pourrait être utile d'explorer comment le concept de civilisation judéo-chrétienne et celui du choc des civilisations sont diffusés et naturalisés par les médias, les systèmes éducatifs et culturels, ainsi que par les productions cinématographiques occidentales. Résistance et contre-discours Enfin, l'approche pourrait évoquer brièvement les mouvements, intellectuels et acteurs qui contestent cette rhétorique binaire et proposent des récits alternatifs fondés sur l'interculturalité, l'internationalisme ou la solidarité Sud-Nord. En synthèse Notre analyse adopte une approche rigoureuse et équilibrée, combinant historicisation, analyse politique et critique idéologique. Elle illustre bien les usages instrumentaux de notions comme « judéo-chrétien » et « choc des civilisations », qui, loin d'être de simples concepts culturels, fonctionnent comme des armes symboliques au service de projets géopolitiques et économiques. Nous invitons à une prudence face à ces récits simplificateurs et proposez de revenir à une conception plurielle et complexe des héritages civilisationnels. Cette approche est précieuse pour nourrir un débat public éclairé, loin des essentialismes, et pour mieux comprendre les enjeux en cours dans les conflits contemporains, notamment au Moyen-Orient et dans les relations internationales plus largement. Pour préparer l'émergence d'un nouvel ordre multipolaire dans lequel les pays du Sud global et non alignés deviennent des facteurs centraux de paix et de stabilité, plusieurs axes stratégiques peuvent être développés : Consolidation de la coopération Sud-Sud Renforcer les mécanismes de coopération entre pays du Sud sur les plans économique, politique, social, et sécuritaire, via des organismes régionaux (UA, ASEAN, CELAC, MERCOSUR, BRICS) et internationaux. Développer des partenariats économiques équitables permettant la diversification des échanges commerciaux et une moindre dépendance aux puissances traditionnelles du Nord. Affirmation d'une diplomatie indépendante et multilatérale Appuyer les mouvements non alignés et promouvoir une diplomatie basée sur le respect mutuel, la souveraineté nationale, et la non-ingérence. Encourager l'engagement actif dans les organisations multilatérales (ONU, OMC, OMS), en défendant un ordre international fondé sur le droit international, l'équité et la résolution pacifique des conflits. Promotion de la paix par le développement durable et la justice sociale Investir dans le développement humain durable (santé, éducation, environnement) pour réduire les inégalités internes, sources de tensions sociales et politiques. Mettre en œuvre des politiques inclusives qui intègrent les populations marginalisées et réduisent les causes structurelles de conflits. Construction d'une identité collective plurielle Favoriser un récit commun entre pays du Sud qui valorise la diversité culturelle, historique et politique, mais construit des solidarités autour de valeurs partagées de paix, justice et coopération. Soutenir les plateformes de dialogue interculturel pour éviter les conflits identitaires instrumentalisés. Réduction des influences extérieures conflictuelles Limiter la dépendance aux grandes puissances traditionnelles par la diversification des alliances et la création d'alternatives économiques et stratégiques autonomes. Prôner la résolution des conflits par la négociation et les mécanismes régionaux, excluant les ingérences militaires extérieures qui fragilisent la stabilité. Renforcement des capacités locales Développer l'éducation et la formation politique pour des élites capables de défendre les intérêts souverains avec compétence. Soutenir la société civile et les mouvements pacifistes locaux, garants de la vigilance démocratique et promoteurs de la paix. Cette approche multidimensionnelle met l'accent sur l'autonomie stratégique, la coopération solidaire et la construction progressive d'un ordre international multipolaire pacifique où les pays du Sud global jouent un rôle actif et responsable. Cela nécessite un engagement soutenu, un travail de patience et une vision partagée d'un ordre mondial plus juste et stable. Le dialogue interreligieux mené par différents papes au Vatican représente en effet une expérience précieuse et un modèle à reprendre pour favoriser la paix, la compréhension mutuelle et la coopération entre les religions, notamment dans un contexte de tensions mondiales et de fragmentation culturelle. Promotion de la paix et de la réconciliation Le dialogue interreligieux est un levier pour désamorcer les tensions identitaires et religieuses qui alimentent de nombreux conflits dans le monde. Construction de ponts entre cultures et valeurs Il permet de valoriser les valeurs communes partagées par les grandes religions, comme la justice, la dignité humaine, la solidarité, tout en respectant les différences. Réponse aux défis contemporains Face aux défis globaux (crises climatiques, migrations, inégalités), le dialogue interreligieux peut favoriser des actions communes dépassant les divisions spirituelles. Éviter les instrumentalisations politiques Il contribue à prévenir l'usage politique des religions pour justifier la violence, en favorisant une lecture pacifique et respectueuse des traditions. |
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