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Rationalité de l'Etat et démocratie forte

par Bouriche Riadh*

Les situations de sortie de crise politique font toujours apparaître le rôle central de l'Etat et de ses « thinkers » ou « policy makers », que celui-ci soit défaillant ou dans une situation normale. Généralement, les processus de transition et de réforme de l'Etat se justifient parce qu'ils sont nécessaires à la reconstruction et à l'avancée démocratique des sociétés et pays concernés et qu'il ne peut y avoir de paix et de développement durable sans institutions politiques légitimes et compétentes. On parle de la rationalité de l'Etat quand la politique exercée est adossée à la puissance publique légitime. En effet, les politiques réussies en ce sens s'appuient sur les ingrédients traditionnels de la puissance publique et mobilisent en permanence les débats publics pour l'intérêt général de la société.

A ce sujet, les spécialistes en politique privilégient tout le temps les critères formels de reconstruction des Etats car l'exercice de la politique à leur niveau nécessite un travail permanent de régulation: il faut savoir que pour comprendre les processus de transition et de réforme de l'Etat, il faudrait s'intéresser aux différents aspects qui déterminent l'efficacité de l'Etat et la légitimité de l'exercice du pouvoir.

Au courant des années à venir, des réformes doivent avoir lieu en Algérie, sous les injonctions du pouvoir futur. Ces réformes auront pour objectifs, d'une part, d'assainir l'économie du pays et d'autre part de promouvoir la démocratisation du régime politique. Ces réformes seront ciblées sur l'Etat, considéré comme le pilier central du système d'action d'un pays. Au départ, les priorités se trouveraient dans la politique monétaire, la réduction du déficit budgétaire, l'organisation du commerce et du régime des taux de change... Puis cela va surement conduire à la modification de la structure de l'administration publique et de la sphère de l'activité politique, c'est-à-dire des mécanismes de représentation, d'organisation et de légitimation du régime en vue d'obtenir un bon cadre institutionnel, une meilleure gestion publique et un retour rapide à la croissance économique.

A ce sujet, on recommande que la bonne gouvernance soit le produit des différents niveaux de restructuration. La gouvernance avec ses conditions serait donc la technique ou le mode de conduite des affaires publiques qui accompagne la réforme de l'Etat dans le but d'obtenir une gestion de l'administration publique plus proche de celle de l'entreprise privée, de permettre une participation élargie des acteurs dans la prise de décision et de favoriser une plus grande transparence dans la gestion des deniers publics. Il s'agit de mettre en œuvre un ensemble de méthodes rationnelles au service des décideurs publics pour permettre une modernisation de la gestion publique : on doit retenir que l'émergence du management politique, en renforçant l'image de rationalité et de modernité de l'administration, est synonyme d'une nouvelle représentation du rôle de l'Etat et de ses représentants dans la société pour éviter de rentrer dans la gestion politique anarchique de l'Etat.

Comme le souligne si bien Pierre Muller dans son ouvrage sur les politiques publiques édité en 1990, « la politique n'existe réellement qu'à travers les acteurs concrets qui entrent en relation (au besoin en s'affrontant) à l'occasion de son élaboration ou de sa mise en œuvre ». Le même auteur appellera médiateurs les agents qui réalisent souvent la construction du référentiel d'une politique, c'est-à-dire la création des images cognitives déterminant la perception du problème par les groupes en présence et la définition des solutions appropriées : il ne fait pas de doute que les médiateurs occupent une position stratégique dans le système politique ou de décision dans la mesure où ce sont eux qui formulent le cadre intellectuel au sein duquel se déroulent les négociations, la régulation des conflits ou les alliances qui conduisent à la décision.

On peut rappeler ici le rôle déterminant qui pourra être joué par ce genre de groupe (patriotique, expert et savant) qui aura à mettre en place ce que l'on pourrait appeler le référentiel politico-démocratique. Ce groupe comprendra des scientifiques et des politiques de haut niveau qui permettraient l'entrée de l'Algérie dans l'ère du vrai politique : il s'agit de conceptualiser la doctrine des solutions politiques qui auront la marque de l'action de ses hommes et femmes.

Ainsi, le pouvoir possède une marge de manœuvre très large, avec un large pouvoir de décision dans la représentation des intérêts, la formation de l'agenda « politico-administratif » et la résolution de l'équation économique. Dans notre économie en développement, l'Etat a « du pain sur la planche » et aura le plus vite possible à réguler les conduites économiques. Cela doit se traduire par l'efficacité, le non-gaspillage, les programmes économiques cohérents...La mise en place de la réforme de l'Etat doit mettre en évidence le fait que le travail politique ne doit pas cesser et que les réformes et les décisions sont en continuité pour pouvoir répondre aux besoins politiques, démocratiques et aussi à la maximisation des ressources publiques qui sont rares.

En réalité, la réforme de l'Etat dans notre pays qui se caractérise par une tradition étatique poussée devra contribuer à commencer à institutionnaliser la coupure entre les domaines des politiques publiques, notamment entre les sphères des affaires et les administrations politiques et financières... Cela contribue à l'atténuation des groupes de pression et de leurs alliés gouvernementaux, et permet de faire passer des mesures dans les secteurs politiques et financiers avec plus de contrôle et d'évaluation. Le projet de réforme vise à renouveler les mécanismes qui assurent le fonctionnement interne du système politico-économique, tout en garantissant le maintien de la stabilité politique et un renouveau de la croissance économique sur la base des débats publics.

En effet, la réforme de l'Etat comporte un dilemme car les nombreuses transformations requises créent souvent un besoin de structures de coordination et d'action tandis que la capacité des gouvernements successifs pour ce qui est de leur coordination et de la présentation de politiques intégrées et cohérentes a sensiblement baissé. En réalité, on devra assister à une plus nette séparation entre Etat, secteur privé et société civile ; pourtant, cette relation qui est considérée comme un pivot central dans la vision « démocrate-libérale » forme le noyau de la nouvelle gouvernance.

Dans ce sens, pour Benjamin Barber, cité par Pierre Calame dans son ouvrage « La démocratie en miettes » publié en 2003, « la démocratie forte vise une communauté de citoyens s'autogérant qui, malgré et avec leurs intérêts différents, se mettent en capacité d'établir leurs objectifs et leurs actions au nom d'une vision civique de la société et non en référence à quelques principes extérieurs ou altruismes. La démocratie forte prend en compte le conflit, le pluralisme et la séparation des domaines d'action privé et public ».

Enfin, la démocratie forte, selon laquelle la réforme conduit à des changements positifs tels que la démocratisation, le progrès économique et la modernisation, devient plus que jamais une nécessité. Certes, les réformes font partie de la vie organisationnelle mais elles ne devraient pas être vouées à l'échec et aux difficultés, et ne devraient pas non plus avoir tendance à changer plus les discours des dirigeants qu'à changer véritablement le comportement des membres de l'organisation en question.

En effet, pour décrire ce genre de réforme et de démocratie forte et contemporaine, les politiques devraient être alors plus changeantes qu'incrémentales, plus rapides que lentes... A travers des études de la sociologie de l'Etat qui ont accordé une importance à la question de la rationalité de l'Etat pour atteindre la démocratisation forte, l'on s'accorde sur l'aspect limité de la rationalité des acteurs politiques, en ce qui concerne par exemple des politiques qui devraient se charger des réformes institutionnelles, des réformes économiques, ou encore des politiques qui devraient empêcher la fuite des cerveaux ou de simples citoyens... Ainsi, il semble que les acteurs politiques devraient planifier des actions rationnelles a priori et stables au lieu de se débrouiller avec des actions cumulées qui ne peuvent aller au-delà d'un changement marginal.

De plus, il s'agit de faire remarquer que l'action politique globale devrait viser une réforme institutionnelle et une rationalité de l'Etat se trouvant entre « changement et recomposition ». Toute cette action est censée être en ébullition permanente avec les croyances majoritaires des individus qui devraient se traduire par un ensemble d'institutions déterminant le fonctionnement de l'économie et de la politique. C'est pour cela qu'il est important en Algérie de prôner la mise en place légitime d'une présidence de la république puis de se diriger vers l'autorité et l'ordre politique issu de l'histoire des démocraties et de l'Etat pour redonner une visibilité au politique.

La construction d'une démocratie forte est essentielle pour la question de la civilisation dans la mesure où les institutions devraient permettre aux individus d'améliorer leurs capacités à maîtriser l'environnement politique, économique et social. Les institutions ont pour base les tentatives des humains de structurer l'environnement pour le rendre plus prévisible. Le cadre institutionnel et les mécanismes de gouvernance des décideurs devraient être unis à travers les relations complexes des « contrats inter-acteurs ».

La nature du système « politico-institutionnel » d'une société est largement influencée par l'image que s'en font les individus selon des croyances consensuelles ou disparates. C'est ainsi que les croyances majoritaires se traduisent par un ensemble d'actions déterminant l'élaboration et le fonctionnement de la politique et de l'économie. Il s'agit du moyen par lequel les institutions et les croyances apparues influencent les choix politiques présents. Il en résulte une matrice institutionnelle qui oriente fortement les choix d'innovation ou de modification des institutions.

Enfin, pour arriver à conduire de manière efficace les structures d'un pays, il s'agit de mettre en avant la notion de réforme permanente de l'Etat qui doit viser efficacement l'ensemble des outils, des techniques, des dispositifs et des savoirs mobilisés dans l'action politique. Ces derniers peuvent découler d'une démarche exprimée et intentionnelle de rationalisation des rapports d'acteurs politiques, et procéder de savoir-faire politique en vue d'une éventuelle consolidation de la démocratie, c'est-à-dire en vue de l'avènement d'une démocratie forte.

*Professeur-Docteur en sciences politiques ; Docteur en droit ; Diplômé de troisième cycle en sciences économiques