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A la recherche de la raison d'Etat : propositions de sortie de l'impasse

par Bouriche Riadh *

La raison d'Etat est un principe d'action politique qui donne lieu à des pratiques très variées en politique. On préfère que l'idée de raison d'Etat soit parfois entendue comme une rationalisation maximale de pratiques politiques. F. Meinecke, dans son ouvrage intitulé « L'idée de la raison d'Etat dans l'histoire des temps modernes », publié en 1973, souligne que « la raison d'Etat est la maxime selon laquelle l'Etat agit. C'est elle qui dit à l'homme politique ce qu'il doit faire pour conserver la force et la santé de l'Etat. La raison d'Etat désigne également les moyens et les buts de l'accroissement de l'Etat. La raison de l'Etat consiste donc à se connaître lui-même et son milieu et à choisir en conséquence les maximes de son action. (...) Vivre libre et indépendant signifie pour l'Etat obéir aux lois que lui dicte sa raison d'Etat ».

En effet, aujourd'hui en Algérie, les situations de sortie de crise font apparaître le rôle central de la raison d'Etat, avant que celui-ci soit en route de crise sans issue.

Généralement, le processus de transition et de réforme de l'Etat se justifie parce qu'il est nécessaire à la reconstruction et à l'avancée démocratique de la société et qu'il ne peut y avoir de stabilité politique ou de développement sans institutions politiques légitimes et compétentes. On parle de la raison d'Etat quand les politiques sont en panne et elles sont appelées à être adossées à la légitimité, à l'organisation, à la « sur directivité », à la performance, à la bonne animation, à la propulsion et à la bonne réflexion. C'est une chose qui nécessiterait aujourd'hui une « renaissance de la politique » en Algérie.

Dans ce sens, les politiques qui pourraient être réussies pour résoudre cette crise algérienne devraient s'appuyer sur les ingrédients traditionnels de la raison d'Etat et mobilisent les actes qui ordonnancent techniquement cette dernière.

A ce sujet, les institutions existantes en Algérie et qui sont fonctionnelles doivent privilégier des critères formels de reconstruction de l'Etat : il faut savoir que pour comprendre le processus de transition et de réforme de l'Etat, il faudrait s'intéresser aux différents aspects qui déterminent la raison d'Etat et la légitimité de l'exercice du pouvoir.

Les actes attendus doivent avoir pour objectifs, d'une part, d'assainir le système politique et d'autre part de promouvoir la démocratisation du régime politique. Ces actes doivent cibler la mise en marche d'une « pré-transition neutre » assurée par des personnages consensuels, considérés comme le pilier central pour la transition, ce qui est d'ailleurs crié par le mouvement populaire. En effet, au départ les priorités se trouvent dans le départ des symboles du système actuel qui sont présumés ordonner les élections et leur remplacement par des impartiaux.

Puis cela conduira à l'organisation des élections transparentes et irréprochables, et par la suite à la modification de la structure politique et administrative, c'est-à-dire à la mise en place des mécanismes de représentation, d'organisation et de légitimation du régime en vue d'obtenir un bon cadre institutionnel, une meilleure gestion publique et un retour au bien-fondé politique de la raison d'Etat.

A ce sujet, on recommande que la transition en Algérie soit le produit de la raison d'Etat à travers la démonstration et la neutralité des différents niveaux de réorganisation du système et d'encadrement des élections présidentielles (chef d'Etat, gouvernement, président du conseil constitutionnel, président de la commission électorale, les juges électoraux, l'administration et les walis chargés de ces élections...), et pour cela il faudrait œuvrer pour les neutraliser afin de gagner dans la confiance.

La transition serait donc la technique ou le mode de conduite politique qui accompagne la réforme de l'Etat dans le but d'obtenir une gestion rationnelle de l'administration publique et de permettre une participation élargie des acteurs et des citoyens dans le suffrage universel futur et de favoriser une plus grande transparence dans la gestion des affaires politiques à commencer par les élections présidentielles...

Malgré les espoirs mis par le mouvement populaire dans les expressions brandies qui montrent l'envie du « changement radical », on peut dire que la relation entre « transition transparente » et « démocratie réelle » n'est pas triviale. En effet, la finalité de la transition transparente semble comporter une certaine logique : d'une part, il s'agit de renforcer le vrai encadrement politique nécessaire à la période en vue de l'amélioration de l'action politique, d'autre part, il s'agit d'alléger le système actuel de ses éléments inutiles ou nuisibles à l'efficacité politique.

La période de transition, selon le mouvement populaire algérien, doit opérer en deux temps et ne doit pas être uniforme : il y aurait d'abord la pré-transition pour organiser des élections transparentes et ensuite la transition tout court pour refonder l'Etat et son système politique. D'une manière générale, on observe un scepticisme de la part de ce mouvement envers la régulation politique par le système actuel, ce qui se traduit par la nécessité d'un retour relatif à la raison d'Etat qui doit dire tout simplement à l'homme politique ou à l'homme en poste de décision ce qu'il doit faire pour conserver la force et la stabilité de l'Etat. Mais dans notre cas, la transition doit combiner d'abord avec un retrait des visages-symboles habituels de l'Etat dans les sphères politiques, et avec un rétablissement de la confiance entre gouverneurs et gouvernés notamment dans ce processus transitionnel.

En réalité, le plan du mouvement populaire vise à renouveler les mécanismes qui assurent le fonctionnement interne du système politique, tout en garantissant le maintien de la stabilité politique et un renouveau de la vie politique sur la base du choix transparent du futur président de la république. Mais ces transformations risquent d'amplifier les tensions entre stabilité et changement.

Ainsi, l'affirmation selon laquelle « l'envie de réforme politique » conduit à des changements positifs tels que la démocratisation et la justice est à modérer. Certes, les réformes font partie de la vie organisationnelle politique mais elles sont souvent vouées à l'échec et aux difficultés, et ont plus tendance à changer le discours des dirigeants qu'à changer véritablement le système ou le comportement des membres de l'organisation en question.

En effet, pour décrire ce genre d'action publique contemporaine, Patrice Duran, cité par Gilles Massardier dans son ouvrage Politiques et actions publiques évoque « la tyrannie des processus », c'est-à-dire que les politiques sont alors plus incrémentales que changeantes, plus lentes que rapides... Selon le même auteur, les acteurs des politiques se débrouillent plus qu'ils ne planifient une action rationnelle a priori et stable. Leurs actions cumulées ne peuvent aller au-delà d'un changement marginal.

C'est le cas ici de la programmation des élections dans ce cadre de transition refusée par le mouvement populaire, même si lorsque les acteurs montrent qu'ils innovent dans leurs dire, en réalité ils « bricolent » des dispositifs à la fois controversés et incorporés sur le long terme avec la fuite en avant. Mais il s'agit de faire en effet remarquer que la raison d'Etat qui vise une réforme institutionnelle et une rationalité de l'Etat se trouve entre « changement et recomposition ». C'est pour cela qu'il est important de prôner le retour à l'ordre politique à travers des solutions de sortie de l'impasse, issues de la constitution, de l'ingénierie politique, de l'histoire des démocraties et notamment de la raison d'Etat pour redonner une visibilité au politique.

En effet, dans le cadre de la dernière offre de dialogue émise par le chef de l'Etat qui est considérée, jusque-là, comme un non événement notamment si l'on prend en considération la première réaction de la rue, des marches des étudiants et de la réaction négative de quelques formations politiques, tout cela laisse entendre la détermination à poursuivre le mouvement pacifique jusqu'au démantèlement du système et l'instauration d'une République démocratique fondée sur des élections transparentes, c'est-à-dire qu'il y a à l'horizon un refus ferme et un non au plan du pouvoir sans le peuple.

Le message est donc clair malgré l'arrestation de personnalités proches du pouvoir de l'ancien président qui n'a pas fait oublier au mouvement populaire les principales revendications, parmi lesquelles une véritable transition démocratique encadrée par des personnalités neutres.

Mais, lors de ces derniers développements de la scène politique, il parait qu'il y a du moins jusqu'à maintenant un seul scénario dit « constitutionnel » comme solution à la crise politique à travers l'application de l'article 102 de la constitution qui évoque que lorsque le Président de la République démissionne, il est procédé à une déclaration de vacance (...) Le Président du Conseil de la Nation assume la charge de Chef de l'Etat pour une durée de quatre-vingt-dix jours au maximum, au cours de laquelle des élections présidentielles sont organisées... Cette période de trois mois est entrain de s'écouler sans la moindre lueur que ces élections se dérouleront à la fin de cette période car si le peuple n'est pas au rendez-vous, c'est toute l'opération qui sera biaisée et on rentrera dans une situation de vide constitutionnel réel.

Tous les scénarios de transition nécessiteraient sûrement une période déterminée de transition neutre, et un consensus sur la période « extra-mandat constitutionnel » animés par des personnalités indépendantes dans le cadre de la raison d'Etat. Dans ce sens et selon le dernier paragraphe de l'article 102 de la constitution, il est signalé que « En cas de conjonction de la démission du Président de la République et de la vacance de la Présidence du Conseil de la Nation, pour quelque cause que ce soit, le Conseil constitutionnel se réunit de plein droit et constate à l'unanimité la vacance définitive de la Présidence de la République et l'empêchement du Président du Conseil de la Nation. Dans ce cas, le Président du Conseil constitutionnel assume la charge de Chef de l'Etat dans les conditions fixées aux alinéas précédents du présent article et à l'article 104 de la Constitution... ».

Justement, en Algérie, une réponse possible dictée par cette raison d'Etat serait de remplacer progressivement les personnalités décriées par la rue à travers leurs démissions pour l'intérêt de la nation. Par exemple, le mouvement populaire a du mal à accepter un chef d'Etat et un gouvernement désignés par l'ancien président représenté par son entourage qui est aujourd'hui traduit devant la justice. Dans ce contexte, le choix des remplaçants des chefs décriés des différentes institutions pour assurer cette transition est primordial.

En effet, selon l'article 183 de la constitution « le Conseil constitutionnel est composé de douze (12) membres : quatre (4) désignés par le Président de la République dont le Président et le vice-président du Conseil, deux (2) élus par l'Assemblée Populaire Nationale, deux (2) élus par le Conseil de la Nation, deux (2) élus par la Cour suprême et deux (2) élus par le Conseil d'Etat ». Donc d'une manière politico-constitutionnelle et pragmatique, le chef de l'Etat par intérim à travers cet article pourrait désigner cette personnalité indépendante parmi les quatre désignés normalement par le Président de la République dont le Président et le vice-président du Conseil, puis le mettre à la place de ce nouveau président du Conseil constitutionnel. Cette personnalité prendrait ensuite la place du chef de l'Etat après sa démission mais pas avant que le chef d'Etat actuel ne procède à l'acceptation de la démission du gouvernement puis à son changement avec à sa tête une personnalité neutre. Concernant le président de l'Assemblée, son remplacement devrait être évident étant donné qu'il est rejeté aussi par le mouvement.

Enfin, il faudrait que les décideurs en place en Algérie comprennent qu'après les soubresauts du mouvement populaire, la perspective d'un retour en arrière vers « l'autoritarisme-démocrate » ne semble plus à l'ordre du jour, notamment si l'on croit l'article 7 de la constitution qui stipule que le peuple est la source de tout pouvoir et que la souveraineté nationale appartient exclusivement au peuple. Il s'agit de dire qu'il faut éviter de tomber dans ce que l'on appelle en politique l'absence de la raison d'Etat. Le peuple est en attente de pouvoir sentir l'impact de cette raison d'Etat et il a besoin d'une vraie stratégie universelle de transition à la démocratie.

* Professeur-Docteur en sciences politiques ; Docteur en droit ; Titulaire d'un diplôme d'études approfondies en sciences économiques.