Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

L'Etat-nation entre mutation ou crise ?

par H. Miloud Ameur *

Il est certain d'évoquer effectivement ce qui relève de la puissance des États. Mais souvent ces derniers ne sont pas en mesure de répondre aux besoins vitaux de leurs sociétés. Est-ce une loi de l'histoire ou l'État se constitue-t-il comme une entité éphémère ? Quoique les États se forment par rapport aux sociétés dont ils tirent légitimité et profits.

Autrement dit, ils se sont liés à leurs sociétés. Mais la question politique relève de sa mission première qui est celle de la puissance publique alors appelée État. Celui-ci assure l'ordre public, gère les fonds publics et participe au développement de la société. Sa tâche est fondamentalement multiple et variée mais trop risquée pour s'adapter aux défis locaux et s'insérer dans le rang des grands.

D'où peu d'États ayant réussi le pari d'émerger comme une puissance à part entière par rapport à la majorité des pays qui n'ont pas atteint le stade institutionnel formant le sens de l'État. Il est une émanation d'ordre politique, économique, social, culturel et militaire et technologique?

La fin de l'État religieux en Europe a créé l'État laïc, alors dominé par les convoitises et intérêts vitaux. Ce même État est derrière les guerres et crises qu'il a suscitées, d'où il a tiré profit davantage au niveau de la puissance. Celle-ci oscille entre puissance militaire et puissance économique en dehors de ses frontières géographiques. Autrement dit, cet État alors considéré comme produit purement européen est la dynamique socio-économique et socio-politique qu'a connue l'Europe dès l'accord de Westphalie à partir de 1648. «Si l'État, sous sa forme moderne, est une création récente de l'Europe de la Renaissance, il existe en fait depuis l'Antiquité. Sous des visages multiples, l'État, existe depuis la sédentarisation des groupes sociaux, en tant qu'établissement d'un pouvoir politique sur une population à l'intérieur d'un territoire donné.

Les trois éléments qui constituent, tant aux yeux des juristes que des sociologues, les critères constitutifs de l'État sont : le prince, le territoire et la population. Ces trois éléments vont se retrouver assemblés dans les cités, les principautés et les monarchies, aussi bien que dans les États modernes et contemporaines. Dès que l'humanité s'est organisée en sociétés distinctes, elle a établi des États. Mais, au cours de l'histoire, les caractères de chacun des éléments constitutifs et leurs combinaisons ont grandement varié» . (1)

Cette étape importante dans le monde en général et en Europe en particulier marque un temps d'arrêt sur le pouvoir politique et son ouverture sur la société. D'où s'émancipe l'idée qui consiste que le pouvoir monarchique a sonné sa fin pour pouvoir s'inscrire dans la continuité politique ayant le sens de l'Etat-nation.

Cette mutation aussi bien objective que subjective a voulu instaurer l'ordre public non pas celui de la monarchie mais plutôt celui du peuple. La notion du peuple relève de la question de la nation qui est derrière l'innovation de ce fameux État-nation en Europe. L'institutionnalisation passe par la volonté du peuple ainsi que le degré de son épanouissement moral, intellectuel et scientifique où l'élite a un rôle majeur à jouer tout en participant à cette équation civilisationnelle.

Suite à des révolutions internes que l'État-nation est né après avoir mené une préparation qui allait coûter cher aux peuples européens notamment français afin de tenter de bouleverser la donne politique nationale et la géopolitique internationale. Quant au jacobinisme, il a tenté de créer en 1793 ce même concept qui est l'État-nation en Europe, alors cher aux révolutionnaires contre les monarchies occidentales, issu de la nation elle-même après avoir brandi le slogan : « Avant elle et au-dessus d'elle, il n'y a que le droit naturel».

Il s'agit d'un changement profond que l'Europe en général, et la France en particulier, allaient vivre en traversant cette vague de construction politique. D'où l'idée de l'Assemblée nationale à la place du roi que l'État-nation remplace.

En effet, c'est aux hommes de 1789 qui tentaient d'affirmer trois principes alors liés à ce même État-nation : l'antériorité, la personnalité et la souveraineté.

Ces principes constituent dès le 4 août de la même année le fondement de la «souveraineté» émanant de la notion de la nation elle-même. Mais la question fondamentale renvoie à la question suivante : Que signifie la nation ? Est-ce un phénomène socioculturel ou une ère politique ? Ainsi, elle ne constitue ni l'un ni l'autre. Or elle signifie à cet égard une entité abstraite, métaphysique, un absolu, un bloc indissociable composé de l'ensemble des individus vivant sous la loi commune(1).

Mais cela reste minime, voire relatif à savoir que si cette nation ne prendra pas son destin en main dont les institutions sont élaborées par les hommes, les savants et les intellectuels, etc. afin de percer dans l'Histoire. Or selon Sieyès en affirmant l'idée centrale qui est d'ailleurs d'après les révolutionnaires que la nation n'est que la source de tout pouvoir politique.

Le nationalisme a dépassé le stade premier après avoir confirmé l'idée qui consiste à dire que l'ère royale s'est achevée et que la période républicaine que mènerait la chose publique s'ouvre. Autrement dit, l'État-nation se substituait à l'État princier. La modernité politique entame son édifice sous la révolution, la violence, et la liberté?

Le nationalisme moderne veut ouvrir un grand chantier qui est né au travers les idées politiques que portaient ses hommes patriotes et révolutionnaires à la fois. L'exaltation de la nation grandiose signifie aussi de créer son cadre et ses assisses à la fois organisationnelle et stratégique, afin qu'elle soit adaptée, en participant non pas contre toute ingérence mais à contribuer davantage à la société internationale.

Rien n'est acquis d'avance sans qu'il y ait une conscience commune et approfondie ayant le sens de la construction interne et réelle en termes de chose publique. Cette dynamique politique n'est que le résultat premier de ce que la notion de l'État-nation portant en lui face à sa naissance en lui évitant de vivre à la remorque des autres. De nouveaux concepts émergent par la révolution de 1789 alors menée par les patriotes s'opposant aux aristocrates après avoir revendiqué : « La patrie en danger, le statut public, la nation en armes» (2).

Quoi qu'il en soit, cette modernité politique a tenté de forger le concept du peule comme pièce maîtresse, alors considéré comme le socle de la nation vers l'État-nation. Celui-ci veut mettre à l'écart les querelles et nœuds liés au pouvoir politique au service du peuple. Le peuple en Europe a pu créer par le biais du patriotisme moderne l'approche classique de la société internationale.

Ce n'est que par le biais de la communauté universelle que la guerre qu'a menée la France en instaurant une telle vision des rapports internationaux : du prince au peuple, du local au régional et du national à l'international. C'est un cycle de l'histoire qui s'ouvre sur le modernisme occidental en mettant fin à l'âge médiéval face à l'Orient alors considéré jusque-là comme un berceau de despotisme politique tout en se dégradant de son intérieur, face à la présence des forces étrangères venues de son extérieur.

Parmi ces hommes qui ont tâché de marquer l'histoire moderne de l'Europe, on ne cite que certains tels que Thucydide, Cicéron, Saint Thomas d'Aquin, Machiavel, de Vitoria, Suarez, Thomas Hobbes, Locke, Emmerich Von Vattel, David Hume, Spinoza, Rousseau, Kant, Hegel, Marx, Engels, Hobson, Boukharine, Kautsky, Lénine, Adam Smith, Keynes...

La continuité objective s'attache à obéir à l'ordre interne. Cet ordre ne peut pas être assuré sans la volonté politique. Ainsi, l'ordre social qui est en premier lieu visé doit faire en sorte qu'on l'alimente souvent par les idées, les projets et les plans. D'où d'ailleurs l'Ancien Régime s'est fait abolir par l'ordre social de l'époque afin d'instaurer un autre qui est celui de la légitimité politique que la France tente de servir les autres peuples. La France révolutionnaire tente d'éclairer son discours afin de participer à la naissance d'une nouvelle ère.

La où la république est née suite au réveil du nationalisme jacobin en participant au travers les idées libératrices contre celles de la monarchie afin de fonder le sens de la nation. Celle-ci portant le flambeau qui maintient l'ordre interne et s'enracine en mutation externe. Ce parallélisme lui a coûté cher en oscillant entre l'intérieur et l'extérieur. Le premier relève de la science politique tandis que le second est réservé à la science des relations internationales.

Mais cet Etat-nation est-il déficitaire ? Après avoir traversé un grand marathon qu'il devient la force des choses, fort et omniprésent suite à la course qu'il a engagé autour de la balance de la puissance, la bureaucratisation, la gestion économique, les guerres, la paix et la justice sociale, etc. A cela s'ajoute sa confrontation avec la mondialisation.

Celle-ci s'est apparue bien avant, durant les échanges commerciaux, mais elle ne s'est accélérée qu'après la fin de la guerre froide autour de la révolution numérique que la technologie nouvelle a mise au service de l'humanité. Cette donne nouvelle que la mondialisation accélère a dévoilé effet l'État-nation sans qu'il ait pu supporter ce défi planétaire.

Y a-t-il un conflit permanent et incessant entre ces deux géants institutionnels ? Or l'État-nation est en recul certes en se référant que le terme de la destruction de l'ex-URSS dont l'ex- Yougoslavie en a la preuve. C'est ce qui a fait de l'une des forces mondiales incarnées en Moscou en quittant la scène internationale facilement après une guerre froide qui a duré plus quatre décennies.

Restant acharné sur ses positions notamment nationalistes que l'État-nation s'est rétréci suite à la mondialisation englobant son «petit village» par le biais de la révolution technologique. Ce regain d'extension s'accélère davantage notamment par le métissage des cultures, l'enlèvement des frontières et le recul des souverainetés, etc.

Ce sont autant de critères multiples et variés qui tentent de démunir place et rôle de l'État-nation. Sa fonctionnalité demeure, elle, minime à savoir sa contribution à la société qui lui rend en contrepartie efficace sinon inerte.

Ce phénomène est en accélération rapide dans les sociétés développées et dans les États démocratiques, notamment dans les superpuissances ayant un pied direct dans la mondialisation. Celle-ci se maintient par l'hégémonie américaine ; d'où l'idée derrière est de tenter de créer «le gouvernement mondial».

Mais la question qui retourne l'esprit toujours chez les spécialistes et experts. L'État-nation serait-il un modèle dépassé ? Autrement dit est-il appelé à se maintenir ou à disparaître ? Le stade que l'État-nation a atteint entre progression et régression, avancement et recul, montée et stagnation ne lui permet pas de rester dans un tel point de non retour. C'est ce qui fait un grand débat de société entre constitutionnalistes, politistes et économistes dans le monde, à savoir quelles sont les chances pour l'État-nation d'en procéder afin de s'en sortir ou pas de ce dépassement inattendu.

Il s'agit là de la nouvelle gouvernance liée à l'État-nation. Celui-ci passe par un moment crucial issu de la mondialisation. Pour y parvenir, il existe quatre éléments essentiels permettant à l'État-nation de s'en sortir qui sont: «La nécessité de repenser la démocratie, de développer des partenaires entre État et société, de mettre en pratique le concept de subsidiarité active et d'insérer l'État-nation dans les systèmes en réseaux » (3).

Si l'État-nation est appelé plus que jamais à se maintenir ou à disparaître notamment en Europe, là où il est né dès la Renaissance, ne lui permet plus d'y continuer davantage. Mais chaque chose a son temps. Alors divisé en trois cycles majeurs : la naissance, la jeunesse et le déclin. Suite à une série de problèmes majeurs il n'arrive plus à se restructurer à leur égard parmi lesquels on retrouve « les frontières gommées, la démocratie diluée, l'intérêt général menacé ?Les États-nations n'en mènent pas large face à la globalisation. L'État est donc au cœur des questionnements et du débat politique. Quand certains pleurent qu'il faut restaurer son autorité, lui rendre toutes ses prérogatives, d'autres annoncent sa mort ou souhaitent sa dissolution»(4.)

Le discours politique se cristallise autour de la thématique de la mondialisation tout s'opposant farouchement à l'État-nation, d'où celui-ci se retrouve en l'état égaré ou dépassé par le non contrôle sélectif et systématique de façon à ce qu'il n'arrive plus à gérer ce qu'il a créé jusque-là aussi bien national qu'international. A quoi s'ajoutent les nouveaux défis auxquels l'État-nation est confronté tels que l'émigration clandestine, la crise économique et financière, les organisations non gouvernementales, le marché, les individus, les grandes firmes internationales, le terrorisme international et le réchauffement climatique, etc.

Enfin, la question centrale qui se pose est de savoir deux choses fondamentales qui sont de nature différente mais se rejoignent au même point initial : Quelle est la place et rôle des sociétés humaines en dehors des États-nations ? Comment la société internationale doit s'organiser loin des États-nations ? Elle est une nouvelle ère qui s'ouvre sous la prise de la mondialisation, laquelle constitue un défi majeur face à l'État-nation qui devient par la suite non pas inefficace sur plusieurs plans, mais comme s'il aurait pu contribuer à l'émergence de la mondialisation. «On le voit, la défaillance de l'État, dans le système international actuel, prend des fores mouvantes, des plus classiques aux plus modernes. La crise de l'État n'a pas amené sa fin sur la scène mondiale. Elle impose néanmoins, aujourd'hui, sa réinvention en tant qu'élément de la société mondiale»(5).

(*) Chercheur et universitaire.

Bibliographie :

(1). Jacques Huntziger, Introduction aux relations internationales, Paris, Seuil, 1987, p.45.

(2). Jacques Huntziger, Idem.

(3). Pierre Calme, Nicolas Haeringer, les mutations de l'État-nation face à la mondialisation, Conférence donnée lors d'une table ronde à Versailles du 16 juin 2000 sur le thème « Où va l'État-nation ? ».

(4). Le babo des savoirs sur l'État-nation est-il en crise ? du Mercredi 10 mars 2017.

(5).Frédéric Charillon, la défaillance des États et ses multiples formes, Questions internationales, n°85-86-Mai-août 2017, p.28.