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Un quart de siècle plus tard?

par M. Saadoune

Sur cette rive-ci, mon pote, rien n'a changé. Absolument rien ! De mauvaises langues font courir le bruit que nous sommes revenus à la même situation d'avant ta harga».

C'est ce qu'un vieil ami a écrit, plus d'un quart de siècle après, à Sid Ali Benmechiche, notre confrère journaliste parti couvrir la manifestation du 10 octobre 1988 et qui n'en est pas revenu. Cela fait 26 longues années que la société algérienne, avec ses moyens réduits, a posé la question du changement, sans trouver de réponse. Plus d'un quart de siècle après octobre, on est devant le même sentiment d'impasse.

Les classes populaires, défiantes à l'égard des discours sur la démocratie, restent à distance des sollicitations politiques. Elles préfèrent, quand elles le peuvent, monnayer leur capacité de nuisance en arrachant des concessions économiques et sociales. Les élites, elles, ont été écrémées en deux décennies et la «transmission» ne s'est pas faite. Tant au plan purement technique que politique. Les administrations publiques et les entreprises subissent elles-mêmes cette cassure de la transmission en termes d'efficience.

Le grand effort en matière d'éducation et de formation des deux premières décennies de l'indépendance n'a pas profité à la société algérienne. En tout cas peu si l'on prend en compte l'ampleur des efforts consentis. Ces pertes ne sont pas compensées par un nouvel réinvestissement dans l'éducation, l'enseignement et la formation. Les officiels algériens aiment et cela remonte aux années 80 aligner des chiffres qui, quand ils ne sont pas bidonnés, ne sont pas lisibles et ne permettent pas de comparer entre ce qui se fait ailleurs mieux et à moindre coût.

Abdelhak Lamiri, économiste angoissé par la perspective d'un ratage de la décennie en cours, donne, lui, des chiffres qui permettent cette lisibilité. L'Algérie, contrairement à ce qui est martelé, n'est pas un champion de l'investissement dans l'éducation. Elle consacre 5,5% de son PIB à l'éducation alors qu'il atteint en Corée du Sud les 8%. L'administration sud-coréenne consacre 3,5% de la valeur ajoutée au «recyclage» de son personnel contre 0,3%. L'écart est suffisant pour expliquer la différence, notoire, d'efficacité et de rendement des deux administrations.

On a peut-être plus d'argent que dans les deux premières décennies de l'indépendance mais on est certainement moins compétent. Le mouvement de progrès et de progression a été entravé, cassé. Octobre 88 a ouvert le chemin des réformes, elles ont été annihilées par la convergence entre la résistance du système et la montée du FIS. Un quart de siècle plus tard et alors que le sommet de l'Etat est en état «d'absence», le pays est en attente. La situation actuelle du pays, même si les hommes en charge de «l'animation» affirment le contraire, est «anormale». La routine administrative et même dépensière ne peut cacher le fait qu'il n'existe plus d'impulsion politique. Celle-ci - et c'est le système qui est organisé ainsi - ne peut venir que du président de la République.

Après la secousse de 1988, les réformateurs ont proposé une issue et une feuille de route pour aller vers le changement. Aujourd'hui, ceux qui détiennent les leviers ne sont pas aptes à proposer un quelconque changement. La perte de compétence n'est pas que technique. Elle est politique. Surtout politique.