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UN COMPROMIS HISTORIQUE

par K. Selim

A Tunis, mardi, une opération antiterroriste dans la banlieue de Tunis a entraîné la mort de sept djihadistes dont l'assassin présumé de Chokri Belaïd. L'assassinat de ce dernier, il y a un an, avait été le début d'une forte déstabilisation du processus de transition. La montée des tensions politiques faisait craindre une évolution à l'égyptienne, voire pire? Cela n'a pas été le cas. Et l'action antiterroriste menée aujourd'hui par les services de sécurité tunisiens se fait dans un climat politique beaucoup plus apaisé. Cela mérite d'être relevé et mis au compte de la réussite de la transition politique tunisienne.

Tout n'est pas rose dans ce pays, il est vrai. A commencer par l'économie, la Tunisie étant, de fait, sous supervision du FMI qui a débloqué récemment un prêt de 506 millions de dollars dans le cadre du plan d'aide de 1,7 milliard de dollars accordé en juin au pays pour accompagner sa transition politique. Il y a également le terrorisme qui reste une menace pour le pays. Mais à Tunis la sérénité semble être revenue avec le déblocage politique et l'adoption d'une Constitution, fruit d'un consensus que l'on peut, sans excès, qualifier d'«historique». La transition tunisienne a été retardée par des blocages, parfois purement politiciens, mais elle n'a pas dérivé vers le chaos. Aujourd'hui, tous les acteurs politiques, y compris ceux qui faisaient dans l'obstruction, défendent leur « rôle » dans la confection de la Constitution. «Leur» Constitution ! C'est un sentiment positif. Et sans doute largement justifié pour un texte âprement discuté et débattu, jusqu'aux détails.

C'est cette remarquable capacité à réaliser un «compromis» qui maintient le processus démocratique tunisien sur les rails. Un observateur tunisien avisé fait remarquer qu'en soi, la nouvelle Constitution tunisienne n'est pas plus révolutionnaire que d'autres textes fondamentaux promulgués dans le passé. Il rappelle d'ailleurs que le 7 novembre 1987, en prenant le pouvoir, Ben Ali avait fait une belle déclaration dans laquelle il affirmait que l'époque ne pouvait plus «souffrir ni présidence à vie, ni succession automatique à la tête de l'Etat desquelles le peuple se trouve exclu» et que la Tunisie était «digne d'une vie politique évoluée et institutionnalisée, fondée réellement sur le multipartisme et la pluralité des organisations de masse». On sait ce qu'il en est advenu. Pourquoi il n'en serait pas autrement de la nouvelle Constitution ? Parce que justement elle n'est pas octroyée par le haut, elle est fruit d'une bataille politique et d'une négociation dure et difficile. Où les islamistes d'Ennahda ont tenu compte du principe de réalité et de l'évolution dramatique de la transition égyptienne.

«La Tunisie, aux termes de la Constitution existante ratifiée en 1959, est un Etat indépendant - l'Islam est sa religion, l'arabe est sa langue. Cela nous suffit? Nous ne voulons pas d'une théocratie au-dessus du Parlement. Certains ont tenté d'ajouter la charia à la nouvelle Constitution, et nous avons rejeté ces appels. Les gens ne sont pas d'accord sur la charia, nous devrions donc la laisser de côté». C'est ce qu'a écrit Rached Ghannouchi, leader d'Ennahda, un parti qui a réussi à quitter le gouvernement sans donner l'impression de partir sur une défaite ou un échec. Le compromis historique tunisien a des chances de réussir car il n'a pas été une «sadaka» d'un «leader». Il est le fruit d'un vrai processus politique avec ses batailles, ses disputes et, en définitive, ses consensus. Aujourd'hui, on peut le dire : la plupart des pays arabes ont des Constitutions, mais le seul pays arabe en mesure de vivre dans un vrai fonctionnement constitutionnel, c'est la Tunisie. C'est bien en cela que notre voisin est exemplaire. Et le sera encore? même si rien n'est rose !