Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

DANS LE NOIR

par M. Saadoune

L'Egypte entre dans le noir. La manière dont se profile l'éviction de Mohamed Morsi - à l'heure où ces lignes sont écrites, l'armée n'a pas encore annoncé sa «feuille de route - va peser sur l'avenir. Que l'armée le démette au nom d'un mouvement de rue - fût-il très puissant - est clairement une sortie du droit. On ne sait pas quel sera le sort de Morsi - qui se disait prêt à «donner sa vie» pour défendre la «légitimité» et la «démocratie» - mais les Egyptiens n'auront pas la même lecture des événements.

Pour les uns, l'armée n'a fait que servir le «peuple» et l'a aidé à accomplir une «deuxième révolution». Pour d'autres, elle vient de commettre un coup d'Etat contre le premier président égyptien élu. Cette lecture divergente au sein de la population égyptienne n'est pas sans conséquence pour l'avenir. Actuellement, c'est le rapport de forces brut qui joue. Les formes légales et les règles ne sont pas respectées. Même si certains se réjouissent du fait que les Frères musulmans échouent et sont renvoyés du pouvoir - voire embastillés dans des camps -, cela ne sera pas sans conséquence sur l'avenir. La polarisation actuelle entre deux camps se perpétuera dans la manière dont sera lu et interprété «l'échec de Morsi». Pour les «gagnants» du jour, c'est une victoire de la démocratie, pour les «perdants», c'est une atteinte à la démocratie. Mais sur le fond, c'est la grande victoire de la «rue» dans un bras de fer physique qui sort des règles. Cette «rue» semble aujourd'hui en défaveur des islamistes. Mais ne l'oublions pas, la foule est versatile et pourra, dans quelques mois ou dans quelques années, se retourner contre les «révolutionnaires» d'aujourd'hui.

Si l'Egypte ne sombre pas dans des violences généralisées - certains évoquant un «scénario algérien» que nous ne lui souhaitons pas -, elle aura néanmoins été incapable de régler le problème majeur qui se pose dans le monde arabe: celui de l'institution de règles pour l'accession au pouvoir et les fins de mandat. L'échec, réel des Frères musulmans, n'est pas une victoire de la démocratie, ni de l'Etat de droit. C'est un échec qu'une partie de la population n'admettra pas car il n'a pas été «sanctionné» par des moyens légaux mais par la rue. Le vocable de «révolution» est un peu trop galvaudé et il ne peut masquer cette réalité. Quand des démonstrations de rue justifient une intrusion de l'armée pour débarquer un président élu, on «institue» la rue comme «institution politique». Cela peut permettre à certains de faire de la poésie sur la révolution permanente mais de manière prosaïque cela ouvre un champ très large d'une manipulation permanente de la rue.

Une partie de ceux qui se sont opposés au président Morsi n'ont aucun souci de démocratie. Dans le meilleur des cas, ils sont en faveur d'un suffrage censitaire, sur le fond ils considèrent, de manière hautaine, que les «électeurs analphabètes» ne doivent pas avoir un droit de vote. Ceux-là sont «conséquents». Ils ne sont pas gênés que l'armée prenne le pouvoir et l'exerce. Mais ceux qui continuent de se présenter comme des démocrates ont tort de se réjouir. La rue est versatile. Et personne ne croit que l'Egypte va connaître durant les prochaines années une prospérité à même d'apaiser les tensions sociales. Le terrain est fertile pour faire jouer la rue? contre les institutions.