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Une guerre en cache toujours une autre

par M. Saadoune

Une guerre proclamée peut en cacher une autre. Et les islamistes, incultes, bornés ou illuminés, servent toujours de prétexte commode pour des aventures guerrières dont l'objectif ne se limite jamais à les combattre. L'air est connu, l'opinion entre dans la deuxième décennie de la guerre éternelle, celle où le djihadisme est l'ennemi idéal. Depuis les attentats de septembre 2001, les fanatiques islamistes sont les méchants par définition de l'empire. La propagande surévalue généreusement leur dangerosité, leur poids politique et leur dimension sociale pour permettre les guerres, la prise de contrôle direct des ressources ou tout simplement casser un pays qui pourrait abriter «potentiellement» une menace.

L'ennemi est toujours le même et son nom décliné sous tous les registres de l'altérité radicale irréductible. A l'aune de l'Occident et de ses valeurs naturellement supérieures, les coûts humains faramineux des guerres impériales anti-islam et assimilés passent pour dommages véniels. Il ne viendrait pas à l'esprit des magistrats en mission de la Cour pénale internationale de demander des comptes à ceux qui ont supervisé des massacres de masse sur la base de mensonges éhontés et de manipulations grotesques des faits. Cela n'est pas prévu dans le cahier des charges de la justice selon les théoriciens de la guerre des civilisations. La Cour pénale internationale, c'est fait pour nous, les négro-bougnoules à la marge de l'Histoire. Accessoirement, pour quelques dirigeants balkaniques que l'on représente comme des supplétifs des barbares d'au-delà du Limes. On ne fera donc pas le compte des pertes humaines subies par les Afghans, les Irakiens?

C'est la faute à Al-Qaïda pour les uns, le «prix de la liberté» pour les autres. Mais l'incendie doit être entretenu. Si Ben Laden est bien mort, on nous signifie qu'Al-Qaïda reste vivante et que cette cellule informe se serait métastasée en une multitude de filiales meurtrières. La première victime des guerres est la vérité et, dans ce jeu où les médias excellent, des illuminés jouent pleinement leur rôle en prétendant menacer le monde entier. L'épouvantail islamiste est bien l'argument ultime pour l'Occident néoconservateur. Etre contre l'intervention française au Mali, c'est donc être pour Aqmi, le Mujao ou Ançar Eddine. L'éternel jeu fermé pour interdire de réfléchir. Pourtant la vérité intangible de l'ennemi djihadiste peut connaître quelques bémols : en Syrie, on vend, sans pudeur particulière, un scénario alternatif et ceux qui évoquent les islamistes ne sont, n'est-ce pas ma chère, que les suppôts de Bachar Al-Assad. Ce qui démontre, s'il en était encore besoin, que les partitions s'écrivent en fonction des objectifs du «Centre». Mais si l'on a besoin de paravent, on a également besoin de couverture, dans le cas du Mali, la France se prévaut d'agir avec l'approbation de la communauté internationale. Il y a en France des voix qui doutent ouvertement de la pertinence d'aller à la guerre, fort heureusement pour eux leur statut de Français de souche les prémunit de l'accusation d'être les idiots utiles du djihadisme. Mais que cela ne nous empêche pas, nous les suspects, d'observer qu'il y a déjà une très grave crise humanitaire dans le Sahel. Et que la guerre menée par la France peut se transformer en une vaste entreprise d'éradication des Touaregs.

L'histoire tragique de la fausse décolonisation du Sahel devrait susciter plus d'humilité. Le legs empoisonné est bien là : on s'est arrangé pour que les populations touaregs ne cessent de poser des «problèmes» au Mali depuis l'indépendance. Et le poison s'est bien répandu. Ceux qui font l'effort de lire ce qui s'écrit et d'entendre ce qui se dit à Bamako - et ne se contentent pas de la parole millimétrée des spin doctors de l'armée française - ont le devoir de rappeler qu'il existe un discours de haine chez les politiciens, qu'il y règne un esprit revanchard qui risque de coûter cher. Mais que l'on ne s'inquiète pas des lendemains de carnage, les médias en rangs serrés et les experts en mission nous expliqueront qu'il ne s'agissait que d'imprévisibles dérapages ou d'inévitables dommages collatéraux !