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Messali Hadj : toujours assigné à résidence ?

par Mourad Benachenhou

S'il y a un homme politique dont le nom et le parcours doivent être connus de tous les Algériens, c'est bien Messali Hadj. Et pourtant, son existence même a été cachée pendant des décennies, bien que son nom soit apparu, de temps à autre, dans des publications à caractère universitaire, à la diffusion extrêmement restreinte et réservée à quelques spécialistes.

Messali et l'Etoile Nord-Africaine

Parmi les livres qui ont donné des détails sur son rôle prééminent dans la naissance et le développement du mouvement nationaliste algérien, qui a débouché sur la guerre de libération nationale et l'acquisition de l'indépendance le 5 juillet 1962, on peut citer l'ouvrage de Abou Kassem Saadallah, résultat d'une recherche effectuée à l'Université du Minnesota, ouvrage intitulé «La montée du nationalisme en Algérie», et publié en 1983 par l'Entreprise nationale du livre à Alger. Saadallah s'intéresse à la période cruciale 1900-1930, qui a vu une renaissance de la société algérienne, qui avait commencé à panser les blessures infligées par la conquête coloniale particulièrement violente et l'émergence d'une élite, encore numériquement faible, mais suffisamment instruite pour proposer des solutions modernes à la lutte contre le colonialisme.

Saadallah s'est attaché, non seulement à exposer la montée en puissance du mouvement nationaliste algérien, mais également à souligner le rôle crucial de l'Etoile Nord-Africaine dans les progrès du mouvement.

Il écrit, entre autres, dans son ouvrage (p.295) : «La formation de l'Etoile (Nord-Africaine) fut l'un des grands évènements de l'histoire politique de l'Algérie. L'étendue de son rayon d'action, ses perspectives révolutionnaires et la durée de son existence contribuèrent profondément au développement et à l'orientation du nationalisme algérien». Il souligne également le rôle joué par Messali Hadj dans la création et le leadership de cette première organisation nationaliste moderne.

Voici ce qu'il écrit à ce sujet : «Messali était membre du Comité exécutif de l'Etoile lorsque le parti fut créé en mars 1926. Moins d'un an plus tard (février 1927), il représentait le parti avec le Tunisien Chadli Khairallah au congrès anticolonialiste qui eut lieu à Bruxelles».

La plate-forme nationaliste de Bruxelles

C'est au cours de ce congrès que Messali Hadj présenta ce qui devait être la plate-forme du mouvement nationaliste algérien, quels qu'aient été ses dirigeants ou l'organisation politique dont ils se réclamaient. Les options énoncées par cette plate-forme se retrouvent non seulement dans les textes politiques du PPA-MTLD, partis créés et dirigés par Messali Hadj, mais également dans le document de la Soummam, comme dans le programme de Tripoli, ou même la Charte nationale de Houari Boumédienne.

Saadallah a reproduit, en annexe de son ouvrage, (p. 291) les revendications politiques avancées par Messali Hadj, dont la lecture, même rapide, permet de découvrir la profonde unité de pensée du mouvement nationaliste algérien, au-delà des querelles de personnes et des organisations.

Cacher ce Messali qu'on ne saurait voir !

Tenter d'écrire l'Histoire contemporaine de l'Algérie en faisant l'impasse sur Messali Hadj, comme fondateur du mouvement qui devait déboucher sur l'indépendance et théoricien de ce mouvement, est une entreprise vouée à l'échec.

Saadallah, comme d'autres historiens de métier, algériens ou étrangers, n'a fait que rappeler, dans un contexte politique qui portait peu à l'objectivité, que le leadership de Messali Hadj, quels qu'aient été ses dépassements - et qui peut, parmi ceux qui ont dirigé sans partage l'Algérie pendant la guerre de libération nationale, comme depuis l'indépendance, lui jeter la première pierre ? - a été crucial dans la réussite de l'entreprise nationaliste algérienne, quoique lui-même soit mort quasiment apatride.

Le dirigeant nationaliste devenu apatride !

Il est utile de rappeler, car c'est un détail qui n'honore pas la classe dirigeante algérienne qui a pris le pouvoir - et s'y est maintenue par la violence armée - qu'une demande de passeport et de carte d'identité nationale fut faite en 1971 par Messali Hadj sous le couvert du consulat algérien à Genève - au ministre de l'Intérieur algérien de l'époque, feu Ahmed Medeghri, dont le pedigree politique ne pesait pas lourd face à ce géant de l'Histoire de l'Algérie, comme de celle du monde. Ce ministre a rejeté une demande légitime, qui ne pouvait être refusée sur aucune base légale, Messali Hadj étant, du fait de la loi algérienne sur la nationalité de l'époque, et du fait même des Accords d'Evian, de nationalité algérienne et ne pouvait en être déchu qu'à sa demande ou sur la base d'un jugement prononcé par une institution judiciaire.

Il est peu probable que Medeghri ait tranché seul sur cette demande ; car sa décision alors reflétait une prise de position politique claire quant à l'Histoire du mouvement de libération national, et constituait à la fois un acte de déni de droit, mais également une volonté d'éliminer, si ce n'est physiquement, du moins légalement celui qui avait incarné la lutte farouche pour l'indépendance du peuple algérien pendant près de trois décennies, et d'effacer, par-delà sa personne, de la mémoire des Algériens les noms de tous ceux qui avaient contribué à son indépendance et avaient pavé la voie permettant à ce ministre d'occuper son poste.

Messali Hadj n'est pas un héros local !

Comme le rappelle l'ouvrage de Saadallah, Messali Hadj n'avait d'autre ambition que de mener le combat pour une Algérie indépendante, où tous les Algériens et toutes les Algériennes, quel que soit leur lieu de résidence ou leur appartenance tribale ou régionale, jouiraient du droit à la liberté.

Messali Hadj a été accusé de beaucoup de crimes, et certains continuent à faire de lui la cible de leurs diatribes. Mais, s'il y a un reproche qui ne lui a jamais été fait, c'est de jouer sur la carte régionaliste pour maintenir son leadership. Ses partisans les plus acharnés, si ce n'est les plus fanatiques, se sont recrutés sur tout le territoire algérien, du nord au sud et de l'est à l'ouest : il a été considéré comme un dirigeant national, non comme le chef d'un mouvement d'essence régionale. Mais il fallait bien qu'il naisse quelque part : il se trouve que le hasard l'a fait naître à Tlemcen. Cependant, cet accident n'a jamais empêché les Algériens à la recherche d'un guide aux idées claires, à la capacité d'organisation indéniable, à la volonté et au courage au-dessus de tout soupçon, de le suivre en masse pendant une période cruciale de la lutte pour l'indépendance.

Redonner au personnage de Messali Hadj sa dimension nationale

Et toute initiative sincère de rejeter de manière définitive l'entreprise de falsification et de «tronquage» de l'Histoire - menée pendant près d'un demi-siècle - ne peut être complète que si le caractère national de la personnalité de Messali hadj est reconnu dans les paroles comme dans les faits. On ne peut que se féliciter que la raison ait fini par l'emporter chez les dirigeants algériens, et qu'ils soient enfin arrivés à la conclusion qu'un peuple auquel est dénié son droit à l'histoire ne peut que subir drame sur drame, et que la violence extrême vécue pendant la décennie noire tire sa source de ce déni d'histoire, qui a conduit certains à vouloir remonter le temps pour se retrouver des racines. L'homme ne vit pas seulement de pain ! Et ce fut la triste et dramatique leçon de cette décennie.

Or, ce qu'on constate, c'est que pratiquement depuis cette ouverture vers une version de l'histoire contemporaine plus proche des réalités historiques, le nom de Messali Hadj a été systématiquement associé à sa ville natale, comme si , dans son programme ou son action, il avait visé à la reconstitution du royaume, certes brillant, des Zianides, ou à la création d'une principauté autonome sur le territoire environnant de l'ancienne capitale du Maghreb central.

La continuation de la falsification de l'Histoire sous une autre forme

On est passé du refus de reconnaissance de l'homme historique jusqu'à lui dénier le droit à la nationalité algérienne - ce qui est le comble de la bassesse comme de l'aveuglement politique partisan - et au rapatriement du personnage historique à son douar, ou, pour être plus précis, sa ville d'origine.

C'est un peu la continuation de la falsification de l'histoire sous une autre forme. On chatouille l'orgueil de la population locale - quelle localité refuserait de reconnaître un tel enfant ! - et on fait de Messali une sorte de figure locale, faisant la fierté des gens de la ville de naissance, mais encore non reconnu au niveau national, comme s'il avait agi exclusivement pour le compte de sa ville natale.

Lorsqu'un universitaire du cru a voulu organiser dans la ville de Batna un séminaire universitaire sur cet homme politique de dimension nationale, il en a été empêché sous prétexte - et on ne fait que citer la presse de la période - que Batna n'était pas Tlemcen, comme si l'Etoile Nord-Africaine, le PPA et le MTLD avaient eu pour seul objectif de donner l'indépendance à Tlemcen !

Il est probablement temps de choisir entre, d'un côté, une addition d'histoires, où chaque région fait l'apologie de ceux du terroir local qui ont atteint la prééminence pendant la lutte de libération nationale, et de l'autre, une histoire nationale où chaque Algérienne et chaque Algérien se reconnaît dans ces personnalités, leurs luttes, leurs convictions, quel que soit le lieu où elles sont nées.

Réhabiliter les victimes des purges anti-messalistes et montrer du doigt les coupables de ces purges !

On a reproché à certains la fidélité à Messali pendant la dernière phase de la lutte de libération nationale. Certains même, comme Choaib et Sid Ahmed Tchouar, exécutés avec l'accord personnel de Ben Bella, si ce n'est sous ses ordres, et enterrés dans une tombe collective (voir l'ouvrage de Khaled Merzouk : «Messali Hadj et ses compagnons», Editions Dar Othmania, Alger 2008, pp. 248-250 et 485-487), comme si la fidélité à un leader politique, qui n'avait d'autre ambition que de voir une Algérie indépendante, était devenu un crime impardonnable.

En conclusion

Le personnage de Messali Hadj ne peut pas continuer à être assigné à résidence dans sa ville natale, car la remise à niveau de l'Histoire du Mouvement national algérien passe par le redimensionnement national de Messali Hadj, comme par la réhabilitation de ceux qui ont perdu la vie dans les luttes intestines au sein du mouvement nationaliste algérien, en particulier après que notre pays eut acquis son indépendance, pour laquelle tous avaient lutté et avaient accepté les sacrifices personnels les plus lourds.