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UN PAYS MODELE

par K. Selim

La Tunisie voisine accumule les bonnes notes dans les classements économiques. Le FMI la présente volontiers comme un bon élève. Les maîtres de Davos y voient un exemple à suivre en terme de compétitivité économique.

 Et de fait, nos voisins sont mieux classés en terme de compétitivité que nombre de pays européens. Et pas seulement les ex-pays socialistes. La Tunisie, qui s'installe à la 32e place mondiale, dépasse franchement l'Espagne et l'Italie. Les investissements directs étrangers qui boudent l'Algérie ? hors hydrocarbures - s'y sentent bien. A l'échelle régionale, et en prenant en compte le classement global élaboré par la Banque mondiale et la SFI (Société financière internationale), la Tunisie distance tout le monde. La 55e place en 2011 contre la 114e pour le Maroc et une triste 136e place pour l'Algérie. Elle a donc tout pour plaire cette Tunisie.

 Pourquoi lui reprocher son absence de démocratie, sa presse aux ordres et le retour en pointillé de la présidence à vie quand on est si bien vu ? Peut-être justement le fait qu'elle a, avec son économie si performante aux yeux des investisseurs, tous les atouts pour aller tranquillement vers une démocratie sans fard, sans ajouts «spécifiques» qui la réduisent et en définitive l'annulent même.

 Nos sociétés savent, sans nul besoin de discours, qu'une «démocratie responsable» n'est pas une démocratie du tout et qu'elle peut être une autocratie plus ou moins molle ou plus ou moins abrupte. La Tunisie «modèle», tout comme l'Algérie ou le Maroc, a eu son lot d'appréciations diplomatiques américaines crues via le déversoir WikiLeaks. On peut même dire que la Tunisie a eu droit à une littérature encore plus particulière sur une économie de la corruption envahissante, «l'éléphant dans la pièce» que tout le monde voit et subit sans en parler. Ces câbles en parlent comme d'un phénomène qui exacerbe les tensions et crée un climat social détestable.

 Il faut être un diplomate américain pour déceler, derrière les satisfecit, les stratégies de protection imaginées par les entrepreneurs pour échapper à la dîme. Elles ont un coût pour l'économie, ces stratégies de sécurisation.

 Les voyageurs algériens ont pu constater que, peu à peu, dans la Tunisie «laïque», de plus en plus de gens s'en remettent à la religion? Il n'y a pas que la littérature WikiLeaks qui pourrait être cataloguée comme l'expression de «vues personnelles» des diplomates américains. Il y a aussi cette réalité d'une contestation sociale diffuse, principalement chez les diplômés, qui finit, par exacerbation, par effleurer à la surface.

 C'est arrivé ces dernières heures à Sidi Bouzid, après un acte désespéré d'un jeune homme - Mohamed Bouazizi - diplômé de l'université, exerçant comme marchand ambulant et qui a tenté de s'immoler devant le siège du gouvernorat après avoir subi une «hogra».

 Alors que les Tunisiens du Net montraient, photos à l'appui, des scènes d'émeutes, à Tunis on semblait laisser entendre que rien ne s'est passé, avant de se résigner à parler d'incident isolé et de dénoncer des «parties» qui chercheraient à «l'instrumentaliser», à «le dévier de son véritable contexte et à l'exploiter à des desseins politiques malsains».

 La «performance» du discours officiel laisse vraiment à désirer. A force de vouloir présenter l'image d'un pays lisse, les autorités ne savent pas comment gérer la respiration d'une société en mal d'expression. La Tunisie, comme les autres pays du Maghreb, a besoin d'une vraie ouverture politique. L'autocontrôle des systèmes est une fiction. La corruption est l'enfant naturel des systèmes verrouillés qui, en fermant les portes des évolutions pacifiques, font le lit des violences.

 La Tunisie ? il ne s'agit pas de condamner ? dispose de beaucoup d'atouts pour y aller et pour devenir, enfin, un vrai modèle. Pour peu que ceux qui décident comprennent que l'immobilisme politique est le vrai danger.