|
![]() ![]() ![]() ![]() Trouver sa voie, choisir sa
voie dans le cours des choses, c'est commencer par faire la part de ce que la
dynamique mondiale porte en avant et de ce qu'elle rejette en arrière. C'est
ensuite ou en même temps, y faire son sillon, sa place. Comme inscrire sa voie
dans le paysage. Autrement dit, c'est situer son expérience parmi celles du
monde pour tirer avantage de l'énergie et des ressources du cours des choses,
et instaurer des habitudes qui permettent d'y naviguer.
L'humain, ses dispositions et ses habitudes Me reste à l'esprit le propos de Kateb Yacine, selon lequel l'enfance est une éternelle sauvagerie, un éternel recommencement. La cruauté des enfants est patente, mais dire que l'humain est foncièrement mauvais, c'est extrapoler de manière abusive, quoique cela ou l'inverse puisse être postulé (Rousseau, Hobbes, Mencius, etc.). Le principe postulé combat son contraire, mais ne peut s'en dissocier, cesser d'en vivre. Bonté et méchanceté ne sont pas dissociables, l'une peut prévaloir sur l'autre, mais l'une ne peut exclure l'autre de son horizon. Plutôt que de postuler un principe en matière d'éducation selon lequel la nature serait bonne ou mauvaise, on peut partir du principe que la socialisation opère sur des dispositions. Dans l'humain, il y a du bon et du mauvais. Les enfants naissent avec des dispositions différentes, ils viennent au monde, y sont jetés, ont été disposés et se disposent d'une certaine façon. Ils sont par exemple plus ou moins ouverts au monde. Ces dispositions se transforment ensuite pour s'ajuster aux dispositions des autres. Les uns partent avec de bonnes dispositions à l'égard de la vie, mais finissent avec de mauvaises dispositions, d'autres mal disposés au départ, s'ouvrent à la vie progressivement et font le chemin inverse. Tout dépend donc du sort que feront la vie et l'éducation aux dispositions initiales. La vie et l'éducation peuvent faire d'une bonne personne au départ une mauvaise personne à la fin et inversement. Les habitudes sont la prise des dispositions sur le cours des choses. Elles peuvent nous en dissocier, nous installer dans une vie confortable qui nous protège du tumulte de la vie, nous enfermer dans une bulle ou nous y associer fermement. Les expériences commencent au sein de la famille, au sein de laquelle se construisent les premières habitudes, les premières adaptations de l'individu au monde. L'enfant met en ordre le monde qui l'entoure. Certaines sociétés offrent le net paysage d'une ritualisation de la vie, d'une mise en ordre complète du monde et de la vie. D'autres un paysage moins net. Mais toutes offrent ce paysage si on ne les regarde pas de trop près, et si par rituel on entend un certain nombre de routines. Le rituel peut être sacralisé ou non, il se présente comme une application de la loi au comportement. Dans le rituel, il y a le geste et la vie, une automatisation du geste et de la vie. La vie échappe au geste par un bout ou un autre. Elle le traverse ou passe en dessous. La vie se coule dans le rituel d'une vie bien dressée, mais ne s'y laisse pas enfermer. Un rituel vide, désuet est un rituel abandonné par la vie. Une vie bien réglée est celle dont le rituel améliore la vie. Entre les deux aussi naît la comédie, la formation des personnages. Intensification de la compétition et réduction de son champ La vie est compétition. La compétition n'exclut pas la coopération. Au contraire, plus la compétition s'élève, plus elle exige de coopération. Le meilleur exemple est celui des compétitions individuelles de performance qui valorisent la compétition individuelle, mais qui ne pourraient atteindre ses plus hauts niveaux sans les coopérations collectives qui l'entourent. Au plan mondial, on assiste à une compétition antagoniste autour de la distribution du travail et du travail qualifié du fait de la polarisation du marché du travail. Après que la mondialisation soit apparue comme un jeu à somme non nulle pour l'Occident, une démondialisation s'amorce du fait de la transformation de son jeu en un jeu à somme nulle. Le reste du monde qui émerge gagne et fait perdre à l'Occident. Il lui faut redistribuer les chaînes de valeur. Le cours des choses sera marqué par une telle redistribution. Le champ de la compétition marchande après s'être étendu au cours des siècles passés, commence à rétrécir. Le déclassement frappe les classes moyennes des pays riches. L'exclusion du marché du travail commence par les plus faibles, les étrangers en l'occurrence, mais aussi les plus jeunes (les outsiders), cela pour préserver le travail de qualité des sociétés les plus riches (insiders). Les pays riches s'efforcent de rapatrier leur industrie qu'ils avaient délocalisée, le marché extérieur des pays émergents se rétrécit. Démondialisation et économie domestique Situation chinoise. Dans cette nouvelle compétition marchande, on caractérise la situation chinoise par un ralentissement de la croissance tirée par les exportations, le vieillissement de sa population et le chômage de ses jeunes. La famille sur laquelle compte le système de sécurité sociale se tend. Sur quels rapports entre l'individu, la famille et les sociétés, la compétition va se développer ? Si du point de vue de la reproduction, ce déséquilibre entre croissance des inactifs et chômage des actifs est problématique pour la Chine d'un point de vue arithmétique, cela l'est aussi pour les Occidentaux, mais qui plus en est, du point de vue de la compétitivité. Du point de vue arithmétique, qui s'autorise la comparaison internationale d'un point de vue occidental, la spécificité de la famille chinoise est oubliée. On peut alors déplorer l'absence d'un système de sécurité sociale en Chine pour soutenir le second moteur de la croissance (la consommation). La famille chinoise épargne pour l'éducation de ses enfants et ses retraites. Ce qui nous ramène au point de départ : le modèle occidental est toujours de référence. Entre l'individu et la société, la famille a disparu. Alors que l'on pourrait se demander si du point de vue de la compétitivité sociale, il ne faut pas compter sur une solidarité familiale et une jeunesse chinoise instruite et mobilisée pour arracher au monde ses parts de marché. Le resserrement du marché du travail qualifié ne concerne pas que les Chinois. Quant au vieillissement de la population qui pèserait sur les épaules de la jeunesse, il faut rappeler que le rapport des actifs et des inactifs en Chine n'est pas macroéconomique. Les actifs ne portent pas les inactifs au travers d'un système public de sécurité sociale. Le système de sécurité sociale chinoise reste basé sur la famille. Entre l'actif et l'inactif, le rapport occidental et chinois est différent, ce n'est pas nécessairement l'inactif qui est à la charge de l'actif (héritage). Et même lorsque le rapport est le même (l'actif soutient l'inactif), ce qui pèse sur les épaules de la jeunesse chinoise les écrasera-t-il ou les poussera-t-il à davantage de détermination et de compétitivité ? Cela pour souligner qu'avec l'intensification de la compétition mondiale qui se profile, la réponse peut considérablement varier d'un peuple à un autre face aux défis attendus. Tous ne bénéficieront pas des mêmes ressources face à la baisse de pouvoir d'achat (consommation collective/consommation individuelle), face au vieillissement de la population (famille/système de protection sociale), face au chômage des jeunes (travail/revenu), face à la réduction du champ de la compétition (dualisations de la société). Économie domestique, déjudiciarisation et comportement planifié Avec une démondialisation qui peut prendre la forme d'une régionalisation des chaînes de valeur et une polarisation du marché du travail, nous allons assister à une dualisation des économies nationales. Une dualisation subie ou choisie. Dans les économies où domine un marché unique, une telle dualisation fait courir le risque d'une polarisation des sociétés. Dans le modèle chinois, une telle dualisation est supposée et agie, on veut faire avec deux économies relativement autonomes, une économie d'exportation et une économie domestique. Les échanges entre les deux économies peuvent être administrés, du point de vue de l'économie domestique ou/et du point de vue de l'économie d'exportation selon la nécessité. Dans les économies émergentes, si le point de vue de l'économie d'exportation (ou de substitution d'importations) s'impose au point de vue de l'économie domestique, de nombreux équilibres sociaux risquent d'être rompus. Un tel résultat ne peut être évité que si l'on renonce à imposer un marché unique à l'ensemble des acteurs. Mettre l'ensemble des acteurs économiques dans un seul marché est le meilleur moyen de soumettre le marché national aux pressions du marché mondial. Ainsi, ne pas séparer l'agriculture saharienne spéculative qui dispose de nappes phréatiques et de grandes surfaces de l'agriculture des autres régions, c'est détruire l'agriculture paysanne pour compter ce sur quoi l'on ne peut compter indéfiniment (épuisement des nappes, salinisation des sols au Sud, destruction de l'agriculture durable au Nord). Jusqu'à quand pourra-t-on exporter de l'eau du Sud vers le Nord, qu'adviendra-t-il ensuite de ces régions exportatrices et de celles qui n'ont pas pu faire face à leur concurrence ? Pour soustraire l'économie des aléas du marché mondial et de la géopolitique, pour développer une économie durable, il faut donner une certaine autonomie à l'économie domestique. Et à la base de cette économie domestique marchande, il y a l'économie domestique familiale et les économies régionales. La pérennité de l'accumulation a besoin de longueur de temps, l'individu n'est pas le bon agent. Les achats durables ont besoin d'économies régionales et familiales. La tentation du marché unique est forte, les « sédentaires » doivent s'attacher les « nomades » et seules les familles et les régions sont en mesure de le faire. On ne relève le fait que la Chine n'a pas de marché unique du travail et des droits sociaux que pour noter l'opposition entre villes et campagnes et l'obstruction à la mobilité sociale. La région, à l'ère de la révolution numérique, est le milieu qui peut s'appuyer sur un capital social, maîtriser son information et ses circuits, fabriquer les bases de données dont elle peut avoir vraiment besoin (capital informationnel) piloter son activité au plus près des acteurs (comportement planifié) et donc maîtriser ses expérimentations. Elle peut valoriser et contrôler ses asymétries d'information sans qu'elles puissent être retournées contre elle. Déjudiciarisation. La région peut régler ses différends internes par la conciliation, le recours à la médiation. On a tort de prétendre vouloir « appliquer » la loi, on n'applique pas une loi, on fait avec une loi. Le Roi a beau vouloir imposer sa loi, ses sujets feront avec sa loi. Dans un prétoire, l'armée des avocats en fait la démonstration. La loi ne doit pas être posée comme extérieure à la société. Elle doit en émaner. Par contre, on applique des modèles. La justice précoloniale était une justice de médiation. S'appuyant sur des croyances communes, une hiérarchie des valeurs qui avaient valeur de loi, la violence légitime ne s'appuyait pas sur un monopole de la violence. Contrairement à l'État de droit, qui applique une loi qui suppose sa non observation, avec la médiation, l'observation et l'application de la loi ne sont pas séparées. Les croyances sociales, les règles sociales et les comportements sociaux ne sont pas disjoints. Les règles sociales règlent ou canalisent les comportements sociaux parce que les acteurs partagent la croyance dans une certaine hiérarchie des valeurs. Dans les sociétés où l'État se place au-dessus de la société, où les droits des individus sont relativement peu développés parce que l'économie n'est pas suffisamment puissante pour les protéger et protéger de la corruption une nombreuse armée de fonctionnaires, la société et l'État font preuve d'une cohérence, d'une observation et d'une application de la loi très imparfaites. L'État ne peut appliquer le droit que de manière discrétionnaire étant donné le caractère composite de la société et l'équipement sécuritaire de la société. L'application de la loi est limitée en amont et en aval. La paix sociale exige d'autres arrangements, l'application de la loi pouvant causer plus de désordre qu'elle ne veut en défaire. L'État s'abstiendra souvent d'appliquer la loi pour se préserver et préserver la paix sociale. Entre le jugement du juge et son exécution, la question de la paix sociale se posera au secteur plus large de la sécurité. Il faut prendre acte de cette construction par le haut qui ne dispose pas des conditions et des moyens nécessaires. L'individu ne dispose pas du secteur de sécurité nécessaire. L'État détenteur du monopole de la violence a besoin d'institutions qui ne dissocient pas la justice de la paix sociale. Il faut se rendre à l'évidence que ce n'est pas à l'État d'appliquer la loi, mais aux citoyens. Ce sont eux qui en sont les sujets et les objets. L'État doit faire respecter son monopole de la violence et protéger les institutions de la violence. Avec la médiation, il favorise ainsi l'unité et l'harmonie sans interposer de fonctionnaires entre les citoyens pour régler leurs différends. Il n'expose pas ses fonctionnaires à la corruption. Le médiateur n'est pas un fonctionnaire de la puissance publique, mais un personnage choisi par les parties en conflit, indépendant, c'est-à-dire intéressé par une paix entre les parties. Les parties se rapportent à un médiateur qu'elles choisissent, qui ne décident pas à leur place, mais qui représente une société intéressée par la paix entre ses parties. Aplanir des différends entre deux parties, c'est aplanir des différends au sein de la société. Il y a dans la médiation une fonction sociale et politique : la médiation fait écho à une approbation sociale. Un « débat public » sourd ou ouvert pourrait contribuer largement à déterminer le personnage compétent. Nous ne sommes plus dans un jeu à somme nulle ou contradictoire entre deux parties, mais dans un jeu à somme non nulle impliquant trois termes, les intérêts des parties en conflit et l'intérêt de la société au travers du médiateur, la société subissant les effets du conflit et bénéficiant des effets de l'arrangement. Le médiateur sera une personne « élue » par les parties en conflit et par la société. Économie domestique et secteur d'exportation Il faut distinguer dans la région une économie domestique et une économie d'exportation. L'économie domestique devra d'abord être préoccupée par l'emploi, par la distribution du pouvoir de vendre et d'acheter. L'introduction des différentes formes de capital ne se fera pas au détriment du capital humain et du capital naturel. Le capital le plus rare devra améliorer la productivité du facteur le plus abondant qui pourra en retour réduire la rareté du facteur le plus rare. La région doit de cette façon pouvoir s'acheter tout ce dont elle ne peut pas se passer en cas d'isolement. Elle doit disposer des moyens de son économie de subsistance. Garantir l'emploi, c'est garantir un revenu. Bien entendu, la séparation de l'économie domestique et de l'économie d'exportation est relative. Plus une région aura un important secteur d'exportation, moins elle aura besoin d'une économie domestique importante, mais plus elle aura besoin d'une économie domestique diversifiée et de qualité, diversité et qualité qui lui permettront de se redéployer si l'économie d'exportation devait régresser, si une économie de subsistance devait être rétablie. Les rapports entre économie domestique non marchande, économie domestique marchande et économie d'exportation doivent s'inscrire dans un continuum qui permet le passage d'une forme d'économie à une autre. D'une forme inférieure à une forme supérieure et inversement : ainsi maîtrisera-t-on le rapport travail capital. Le développement d'un secteur d'exportation aux dépens du secteur domestique ne doit pas empêcher le développement du secteur domestique en retour. La progression de l'un et de l'autre dépendant de la progression des interdépendances avec le monde. La discontinuité des trois formes doit comprendre à fortiori leur continuité en pointillé. Une discontinuité de départ doit retrouver à terme leur continuité. Comme se construirait une chaîne de valeur à partir de l'un ou de plusieurs de ses maillons. Entre ce que s'achète une région et ce qu'elle vend et achète à l'extérieur, une discontinuité qui n'envisagerait pas de continuité risque de faire subir une dualisation non souhaitée à la société et à l'économie. L'économie d'une région doit pouvoir penser les rapports de substitution et de complémentarité des différentes formes de capital, ainsi que la différente contribution de chaque capital à la productivité globale. Économie écologique et écologie économique Il faudrait opposer l'économie écologique à l'écologie économique (ou économie de l'environnement) pour équilibrer le rapport entre la nature et la société. La nature est interne et externe à la société et non pas seulement externe, de même, la société est interne et externe à la nature. C'est dans ce rapport que l'une travaille l'autre. Une écologie dans une économie qui lui reste extérieure est une économie extractive, une économie de substitution constante du travail mort au travail vivant humain et naturel ; elle exprime un rapport de transcendance et de domination de la société sur la nature. Une économie dans l'écologie est une discipline où sciences de la nature et sciences de la société ne sont pas opposées, c'est une économie au service du travail vivant. Elle vise à un équilibre entre les formes de capitaux qui autorise leur mutuelle convertibilité, et non à substituer constamment du travail mort au travail vivant. Elle exprime un rapport d'immanence et d'interaction entre la société (et son activité économique) et la nature. Avec la première, la société est extérieure à la nature, l'économie extrait d'une nature extérieure des ressources et internalise les effets négatifs de son activité sur la nature. Le travail mort phagocyte le travail vivant, l'industrie est transformation du travail humain et du travail de la nature en travail mort, de la vie matérielle en production de marchandises par des marchandises. Avec la seconde, l'économie c'est la croissance de la vie et non sa destruction, le travail mort intensifie le travail vivant, est vivifié par le travail vivant. Le travail humain s'enrichit en enrichissant le travail vivant par le travail mort. Les esclaves mécaniques, les robots assistants personnels n'ont pas pour raison d'être de se substituer purement et simplement au travail vivant humain et naturel, mais de se substituer pour le compléter. Non pas pour enrichir le capital financier, monopoliser le capital humain et appauvrir les autres formes de capitaux. L'occident a voulu posséder le monde en se réservant le capital humain et le capital financier, il a ignoré la solidarité et la complémentarité des différentes formes de capitaux. Il n'a pas anticipé le fait que les chaînes de valeur qu'il tenait par les deux bouts (militaire et financier) allaient lui échapper par l'intérieur. Dans cette analyse sont opposés le travail mort et le travail vivant avant l'opposition entre les différentes formes de capitaux qui ne sont que des objectivations du travail vivant. Le processus capitaliste de classe soumet les différentes formes de capital au capital financier. L'occidentalisation du monde visait à diviser le monde en jardin occidental et en jungles : un monde de nobles ne travaillant pas ou par plaisir et un monde d'esclaves mécaniques et humains travaillant pour lui. Il fait semblant de s'indigner de l'existence de jungles et de la résurgence des anciennes formes d'esclavage. La crise de l'écologie économique. Nous pouvons soutenir aujourd'hui que l'intensification de la compétition et la réduction de son champ sont la manifestation de la crise de l'écologie économique, le fait de la surexploitation de la nature. La mécanisation automatisation substitue du travail mort au travail vivant en disqualifiant la masse du travail humain au lieu de le qualifier, épuise le travail de la nature au lieu de le renforcer. Le marché du travail se polarise, le capital humain se concentre et les populations inutiles se multiplient. La nature intensément surexploitée menace d'être chaotique. Elle cesse d'être généreuse et ne peut plus accorder ses bienfaits à une masse humaine qui ne cesse de s'accroitre et qui aspire à accroitre sa consommation au-delà de ce que la nature peut produire. La compétition au lieu de se modérer va s'intensifier, car les riches voudront continuer de disposer d'esclaves plus nombreux, plus dociles et de meilleure qualité. La classe capitaliste monopoliste poursuit la guerre contre la nature et la société que la société de classes a initiée en séparant et opposant de manière antagoniste nature et société, travail et capital. La société occidentale continuant de se placer au-dessus de la nature, le travail social qui a échoué à se réapproprier le capital ne se bat plus que pour une meilleure répartition du produit au lieu de se battre pour de nouvelles conditions de production, un autre rapport de la société à la nature, un autre rapport du capital au travail. Un tel combat qui avait lieu dans une répartition avantageuse de la production marchande mondiale n'est plus satisfaisant avec une répartition qui a cessé de l'être. Ainsi peut-on décrire la crise de la social-démocratie après son acceptation de la société de classes héréditaire. Le compromis social-démocrate ne peut plus être honoré. Le travail mondial réclame sa part. Et le travail asiatique mérite plus que le travail occidental. Les congés payés de la civilisation du loisir ne seront plus payés par les esclaves humains et mécaniques du monde, les crises climatiques et de l'énergie aidant[1]. Économie écologique. Chercher sa voie, c'est chercher sa voie dans un cours des choses que nous n'avons pas choisi mais auquel nous avons contribué, c'est chercher à établir de nouveaux rapports avec la vie matérielle et de nouvelles prises pour sa transformation. Il faut prendre la juste mesure de la réalité selon laquelle nous sommes dans la nature, si nous ne voulons pas nous affaiblir. Le système économique est un système de transformation de la nature. Des forces et faiblesses de la nature nous avons tenu, tenons et tiendrons. Que ceux qui rêvent de s'en affranchir ne nous fassent pas rêver. C'est en harmonie avec la nature qu'il nous faudra apprendre à vivre, après avoir pensé la subjuguer. Expérimenter. Et nous ne disposons pas d'autre méthode que l'expérimentation pour y parvenir, les leçons et habitudes du passé cessent d'être utiles : le futur ne ressemblera pas à l'avenir. L'expérimentation doit trouver la voie à suivre, le juste rapport de la nature et de la société, du travail vivant et du travail mort, la voie qui améliore les capacités des citoyens, leurs capacités civiles et militaires, mais aussi celles de leur milieu naturel dont elles dépendent absolument, mais ne tirent pas avantage. Au jour d'aujourd'hui, un milieu peut être complètement détruit par une force extérieure, une société qui n'a pas les moyens de le régénérer rapidement, qui ne peut pas remettre rapidement le travail au travail, peut disparaitre. Une société hors-sol qui a perdu son rapport à son milieu, qui ne sait pas user de ses ressources, ne peut le restaurer. Il importe de considérer l'expérience directe comme agent transformateur ultime. L'art d'être humain se développe en proportion directe de la capacité à ressentir concrètement les effets de nos paroles et de nos actes. Ce que nous subissons et entreprenons influence directement notre personnalité et nos valeurs. Nous ne changeons que dans la mesure où nous pouvons percevoir nos valeurs comme constructives, déficientes, appropriées ou destructrices. La culture moderne se caractérise par un nombre impressionnant de décalages entre nos vies et notre expérience. Il n'y a pas de fluidité entre ce que nous faisons, ce que nous vivons et ce que nous disons. Autrefois, on parlait d'aliénation. Nous sommes en proie à une série de séparations qui s'étendent de notre corps à notre esprit, puis à notre ordre social. Chaque séparation empêche notre expérience de devenir complète et continue. Cette série de décalages empêche nos vies de se constituer un capital d'énergie et de valeur pour affronter l'avenir et respecter notre passé. L'expérimentation comme méthode suppose l'acceptation de l'erreur. On ne peut aujourd'hui apprendre que de ses erreurs. Au sortir de la colonisation, l'élite et la société ont particulièrement eu faim de savoir. Elles se demandaient comment se mettre à la hauteur des autres nations. Les anciens colonisés se demandaient comment être les égaux des anciens colonisateurs. On commencera par imiter avant de pouvoir découvrir ce qui fait la différence entre la bonne et la mauvaise imitation, entre l'imitation et l'innovation, avant que la compétition entre les individus et les nations ne découvre ce qui fait l'avantage de chacun et de chacune, ce par quoi les sociétés se fortifient et s'affaiblissent. Elles s'affaiblissent quand elles restent prises dans la trappe de l'imitation, ne découvrant pas leur avantage. Elles se fortifient quand l'imitation n'a fait que précéder l'innovation après avoir découvert leur avantage. L'expérimentation peut recourir à des modèles, à des théories pour abréger l'apprentissage social. Prises comme des hypothèses, les théories travailleront l'expérience et seront jugées à leur productivité, à leur capacité à se transformer avec l'expérience et à la porter plus loin. Leur validité tiendra certes de leur séduisante cohérence, mais ce n'est pas d'une telle séduction qu'elles tiendront leur réussite. Elles la tiendront de leur fertilité, de ce que les hypothèses auront été vérifiées par l'expérience, de ce que les acteurs auront réussi à en faire. Qu'elles aient séduit par leur beauté logique les académiciens qui les consacrent, il faudra qu'ensuite passant entre les mains des acteurs elles s'avèrent fructueuses. Leur validité tiendra à leur maniabilité et leur fertilité expérimentales, aux résultats qu'elles ont produits dans l'expérience. Leur cohérence doit passer dans l'expérience : valide elle renforce l'expérience, invalide elle ne réussit pas le test de l'expérience. La théorie à une cohérence, mais le milieu, l'affaire qui l'accueillent peuvent lui donne corps ou pas. C'est la seule façon simple de savoir ce que vaut une chose ici et là, ce que vaut la théorie d'une pratique dans une autre pratique. Car ce qui vaut ailleurs ne tient pas seulement à la valeur de la chose, mais aussi à la valeur de ce qui peut en être fait. La valeur attribuée ici ne sera pas nécessairement la valeur attribuée là. On ne sépare pas une chose de son contexte, la transplante dans un autre, sans prendre le risque de la trouver inadaptée à cet autre contexte. Il en est de la chose transplantée comme de la plante que l'on transplante d'un climat à un autre, d'une terre à une autre. On ne plante pas de l'argent, on met une chose parmi d'autres. Et une chose n'est jamais seule, elle a des « parents », appartient à un milieu, tout comme un humain. Si une chose ne retrouve pas son milieu, on ne peut pas dire ce qu'il pourra en être fait et ce qu'elle peut faire avant de l'avoir vu faire. Voilà pourquoi il faut expérimenter, expérimenter et expérimenter. Le recours à des modèles est plus simple ou plus compliqué, selon qu'il s'agit du modèle d'un même contexte ou d'un autre contexte. Un modèle suppose une disponibilité du milieu auquel on l'applique, autrement dit une forte similitude entre le milieu de sa production et celui de son utilisation. Ainsi l'importation du modèle soviétique a ignoré le fait qu'il était « l'enfant » du modèle d'un État impérial. Il sort de ses décombres. Le modèle, figuration du réel, voyage davantage de par son formalisme, mais moins bien que la théorie du fait de son degré d'abstraction. Le réel historique ne se laisse pas réduire en une théorie, en une hypothèse de travail, mais elle peut dialoguer avec lui. Le modèle ne discute pas, il s'applique ou ne s'applique pas, seul compte ses résultats et qui de surcroit ne seront retenus que certains de ses effets. Ce qui le rend dangereux. Faire appel à un modèle sans en connaître ce qui le précède, la théorie où les pratiques desquelles il relève, c'est renoncer à comprendre ce qui le suivra, ce qu'il fait et peut faire. Ce qui n'empêche pas certaines parties de s'intéresser à certains de ses résultats. Mais la vie est tel - elle cherche pour couler comme l'eau la pente disponible - que l'on s'intéresse moins à comprendre qu'à profiter de ce qu'il advient. On ajustera un tel modèle au réel pour en obtenir les effets désirés. Oui comprendre, souci théorique, n'est pas le plus important. Que le chat soit noir ou blanc, l'important c'est qu'il attrape des souris, a-t-on dit. Que la chose soit bien ou mal définie, l'important c'est ce qu'elle fait. Comprendre importe autrement. Mais l'expérimentation peut aussi s'en référer à une théorisation progressive, à un affinement progressif des hypothèses. Les échecs et les succès figurant le tracé du chemin à suivre. En vérité, les deux méthodes ne doivent pas être exclusives, l'une pouvant servir l'autre, l'expérience et la théorie se complétant, se construisant mutuellement. Elles ont cependant toutes deux besoin de rigueur. La nouvelle composition sociale Il devrait en être ainsi de la construction de la société et de l'État. L'État, le droit et l'individu de la société libérale ne peuvent transformer une société composite[2] en société marchande. Un tel projet met la charrue avant les bœufs. Il suppose une économie de marché incluant la majorité de la population. Il ne postule pas une société marchande comme horizon de la société composite, société régie par le contrat entre des individus libres, mais comme un point de départ. C'est la dynamique des parties de la société composite qui peut la transformer en société marchande. On interroge aujourd'hui l'horizon, on ne voit pas ce qui pointe. Le socialisme a voulu édifier une société avec ces trois éléments sans le marché, sans les individus libres ; il a détruit la vie sociale, les « marchés » (ou contrats informels) entre les acteurs sociaux. Pour entretenir une telle construction, l'État a dû insuffler continuellement des ressources externes à la société. L'erreur a consisté à reprendre la dichotomie entre le plan et le marché, en associant strictement le plan à l'État et le marché aux individus. L'Etat n'aurait pas besoin du marché pour structurer les relations entre les individus. Il croyait pouvoir commander directement aux individus. Il croyait pouvoir prescrire aux intérêts collectifs. À quoi peut commander un Wali aujourd'hui qu'il devrait commander ? Le plan de l'État n'est pas dans les plans des individus et les plans des individus ne sont pas dans le plan de l'État. D'une telle intention, il est conduit vers une dictature. D'une dictature dont les plans d'une minorité d'individus finiront par triompher. Il avait tort, contre l'évidence, de supposer des individus sans plans propres. Il ne fallait pas emprunter les éléments structurants de la société libérale si on n'en voulait pas la formation. Il faut restructurer l'action collective autour de deux autres agents, la famille et la région, sur trois échelles avec la nation, pour construire une économie de marché performante, pour éviter la croissance des inégalités sociales et la polarisation de la société. Entre la société globale représentée par l'État, les régions et les familles une substitution complémentaire doit être fonctionnelle. Le marché est un mode de coordination des plans des agents, des contrats entre les agents. Soustraire le marché aux riches, soustraire la coordination au seul marché cela signifie remettre les riches dans la famille et dans la région comme autres espaces de coordination. Les soumettre à des contrats familiaux, à des contrats régionaux et nationaux. Ce n'est pas substituer le plan au marché, à la compétition. C'est compléter la compétition par le plan, le plan par la compétition. C'est accorder les plans sociaux et la compétition sociale, les plans et la compétition mondiale. De ces trois éléments, familles, régions et nation aucun ne pourra remplacer l'autre, ils peuvent seulement se compléter. Comment ils se complèteront ? Cela dépendra des ressources et de la densité de leurs liens. L'État n'aurait pas dû remplacer la famille, la famille a complété l'État à son corps défendant, il aurait dû la défendre, la compléter pour étendre l'économie de marché, afin qu'elle déploie ses contrats dans la région, dans la nation. La région peut mieux compléter la famille, contribuer au développement des contrats entre les familles. Lui sauter par-dessus pour ajuster les rapports entre les individus et les groupes sociaux, c'est antiéconomique, c'est compter sur des ressources qui feront défaut. Il faut compter sur un continuum d'unités sociales le plus divers, les villages, les quartiers au lieu de les atomiser pour établir une cohérence, la cohésion d'une société composite. L'État n'est pas au-dessus de la société, des individus, il est dans la société, dans les individus. D'avoir pratiqué une telle opposition, des individus se sont retrouvés dans l'Etat, mais pas l'État dans les individus, dans la société. L'initiation de la construction par le haut de la région et de la famille qui ne reçoit pas l'assentiment de la société ne peut pas obtenir d'elles un fonctionnement congruent. Le marché dans une telle construction ne peut prétendre comprendre qu'une société d'individus et non une société composite. Il ne peut coordonner l'ensemble des activités, il faut compter sur la famille et la région pour construire un marché inclusif. Écologie économique : surexploitation de la nature. Les puissances de monde se disputent la puissance et par conséquent la surexploitation de la nature. Elles ne peuvent renoncer à une puissance qu'elles ont construite sur une telle surexploitation. Mais que dire des sociétés qui ne participent pas à une telle compétition et qui refusent d'être vassalisées par ces puissances ? Qui vivent certes d'une telle destruction globale, mais qui souffriront le plus précisément parce que les conditions de la vie sur lesquelles elles reposent ont été détruites plus qu'ailleurs. Elles n'ont pas d'autre issue que celle de se retourner avant les autres vers une défense des conditions de la vie sans lesquelles leur espoir de survie serait faible. Pour elles, il ne peut s'agir de migrer vers une autre planète ni de se battre pour monopoliser les ressources qui se raréfient. L'issue est donc dans la multiplication des ressources de la vie, dans le retournement de l'alliance entre la société et la nature, une complémentarité des différentes formes de capitaux privilégiant le capital naturel et du capital humain. À l'intensification de la compétition des puissances, il faut opposer une intensification de la coopération dans le travail vivant. C'est par l'intensification de la coopération interne qu'il est possible de se protéger des chocs de la compétition externe. Il ne s'agit pas d'opposer compétition et coopération, mais de les faire se compléter le mieux possible : plus grande coopération non pas pour une plus faible compétition, mais pour une meilleure compétition, plus grande si nécessaire. En même temps qu'il s'agit de refaire l'unité de la nature et de la société, du capital et du travail, des différentes formes de capitaux, du capital physique, du capital naturel et du capital humain, de vivifier la vie. Ce n'est plus la physique qui est la reine des sciences, mais la biologie. Hiérarchie humaine pertinente Selon Bernard Lahire[3] que nous suivrons ici, la hiérarchie sociale n'est que la duplication de la hiérarchie au sein de la famille. Hiérarchie résultant de ses relations asymétriques d'interdépendance. Reprenant Georges Dumézil qui a su mettre au jour dans les mythes indo-européens « une vision du monde tripartite » articulant, « selon un ordre hiérarchique, la fonction sacerdotale et de souveraineté, la fonction guerrière et la fonction productrice-reproductrice », il affirme que « « cette « idéologie tripartite », qui n'est de mon point de vue que la traduction symbolique d'une trifonctionnalité sociale, , renvoie en définitive aux trois grandes fonctions de base exercées par les parents humains - et parfois aussi non humains - à l'égard de leurs enfants : Guider-Diriger, Protéger et Nourrir. » Ensuite, en reprenant Maurice Godelier pour caractériser les différents types de rapports sociaux, on peut considérer que la famille crée un tissu d'obligations (donne), échange et transmet : « Dans toutes les sociétés aujourd'hui, même celles où l'économie de marché reste peu développée, on trouve ces trois catégories de biens et de rapports sociaux : vendre, donner, transmettre. » Car selon lui « il y a des choses que l'on peut donner ; des choses que l'on peut vendre, qui sont donc aliénées, car elles nous quittent pour s'attacher à celui ou celle qui les a achetées ; et des choses qu'il ne faut ni donner ni vendre, qu'il faut garder pour les transmettre. » Et « donner à son tour, ce n'est pas rendre », ce n'est pas un simple échange différé. « Ce n'est pas comme emprunter à la banque et annuler sa dette en la remboursant avec les intérêts : (c'est) un tissu de rapports et d'obligations (qui) se créé pour toute la vie. » La transmission est selon lui le point qui n'a pas été évalué à sa juste de valeur dans les rapports entre les générations. Et l'on peut ajouter, en revenant à Lahire, que c'est la transmission qui justifie la troisième fonction sociale qui gère la mémoire sociale, entretient les mythes. C'est la transmission qui justifie que le rapport de domination des actifs sur les inactifs lors de l'enfance se renverse en inactifs dominant les actifs lors de la vieillesse. Mais pour ce faire, il faut que la transmission importe pour la société. Autrement dit que de l'expérience des parents il puisse subsister de quoi transmettre à leurs enfants lorsqu'ils peuvent eux-mêmes se reposer sur leur propre expérience. Autrement dit, il faudrait que l'expérience ne consiste pas en un savoir limité et fini accessible à chacun à un certain moment de l'expérience. Qu'arrivé au bout d'un certain âge tout le monde n'ait pas égale expérience, ne dispose pas du même capital d'expérience. Le fait est que l'expérience de chacun ne s'égalise jamais tout à fait, qu'à côté des expériences ordinaires peuvent exister des expériences extraordinaires. Mais surtout, la transmission ne consiste pas en une simple transmission d'expériences, mais dans la transmission d'une hypothèse quant au rapport au monde, à l'expérience. Aussi l'expérience et la vie ont beau changer d'une génération à une autre, c'est l'hypothèse quant au rapport au monde que chaque génération teste. Après le partage de l'expérience ordinaire entre parents et enfants, peut arriver le moment où les parents ne sont plus devant les enfants pour diriger leur vie, où la génération des parents ne marche plus devant la génération des enfants et ne peut plus diriger leur vie. La transmission familiale et sociale ne s'appuie plus sur une expérience commune. L'expérience n'a plus de base réelle commune, elle n'a plus en commun que cette hypothèse sur le monde. Au sein de la famille, au cours de l'enfance, s'établit chez l'individu un certain rapport au monde, qui le prédisposera, l'indisposera ou le confortera ensuite. C'est cette hypothèse quant au rapport au monde qui pourra survivre aux mutations de l'expérience sociale. Car aujourd'hui, les nouvelles générations dépassent les anciennes en expérience du fait du changement rapide dans le cours des choses. Les nouvelles générations expérimentent une nouvelle vie, lorsqu'elles lui obéissent sans interroger leur rapport au monde, sans penser à ce qu'elles doivent transmettre, elles se détachent et s'opposent aux anciennes générations. La transmission donc met en cause une multitude d'expériences qui excède l'expérience individuelle et qui s'en réfère à une hypothèse sur le monde, à une vision du monde, des croyances et des mythes. Les parents et leurs enfants peuvent ne plus partager les mêmes expériences sociales, la transmission aura pour but de faire partager les mêmes présupposés de l'expérience. Avec le développement de la vie marchande, les agences de socialisation non familiales des individus se multiplient et dominent la socialisation, le partage de l'expérience entre parents et enfants est vite dépassé. Le monde des parents et des enfants ne se recoupe plus, les parents ne peuvent plus diriger directement leurs enfants, ils doivent s'en remettre à ce qu'ils ont pu transmettre quant aux présupposés de l'expérience. L'expérience a toujours ses présupposés, implicites ou explicites. La pensée s'efforce de les expliciter, mais en réalité, elle ne le fait que quand ils lui posent problème. On n'interroge ses croyances que quand elles sont en échec. Il a rejeté l'islam quand, enfant, il a vu le comportement hypocrite d'un dignitaire musulman. Il est revenu à l'islam quand, adulte, il a dissocié le comportement hypocrite de l'islam. À la différence d'autres qui ont identifié l'islam à ce comportement et qui ont porté leur détestation sur l'islam et non sur le comportement hypocrite. Dans ces deux comportements, il y a des prédispositions différentes. Dans le second comportement, il y une propension à juger ce qui est dit d'une religion, de là, à généraliser le comportement hypocrite à tous les musulmans. Dans le premier, une propension à juger ce qui est fait d'une religion, à séparer un dit comportement et la nature humaine, et la religion. On peut être croyant et cesser de l'être, ou inversement, ne pas être croyant et le devenir. Comme on peut bien faire de la religion ou mal faire. La société souveraine est la société qui a réussi à emboiter les régularités sociales (habitudes) dans les prescriptions sociales (unité de l'individuel et du collectif) et les régularités du monde (unité de la société et du monde) ; les habitudes étant congruentes au droit et aux régularités mondiales. L'individu « tourne » bien dans une société qui « tourne » bien dans le monde. Les habitudes (la façon de tourner) du monde, de la société, de l'individu sont complémentaires et concurrentielles. L'expérience sociale moderne se fragmente et se renouvèle constamment tout en séparant le savoir de l'énergie humaine et le polarisant. Les individus sont dépossédés de leur expérience du monde par des forces abstraites qui visent à établir une certaine unité du monde et des sociétés (formation d'une classe moyenne mondiale). L'expérience monopolisée dirige l'expérience individuelle en la vidant de son contenu propre et la remplissant de ses contenus. C'est cette dépossession qu'elle ne remplit plus qui fait le lit du populisme et du radicalisme. La transmission transmet une hiérarchie des valeurs. Le capitalisme occidental transmet la supériorité du capital matériel, la domination de la nature par la société, la domination du capital sur le travail, du capital financier sur le capital humain et le capital naturel. Le capitalisme occidental transmet un rapport esclavagiste au monde. La hiérarchie que ce rapport met en œuvre est en crise. Les sociétés émergentes ont mis le capital humain, le travail et l'éducation en tête de leur hiérarchie, le travail n'est pas l'attribut de l'esclave, le capital celui du maître. Dans la transmission chinoise par exemple c'est au travail et au savoir que sont soumis le marchand et le guerrier. En haut de la hiérarchie, le lettré, en dessous le paysan (le travailleur par excellence où savoir et énergie ne sont pas dissociés, non pas le prolétaire dépossédé du savoir), puis en dessous le marchand et le militaire. Le marchand sert le développement du travail, le militaire le protège. Asymétries disjonctives et conjonctives. Il est dit que nous naissons tous égaux, mais nous entrons dans la vie avec des différences de dispositions, d'âge, de sexe et de capacités. À ma naissance, j'ai un père, une mère et peut-être un frère ou une sœur. J'apprends de leur expérience, je ne peux pas diriger l'expérience à laquelle je participe, « je dois rentrer dans le rang », apprendre méthodiquement afin de ne pas perturber, entraver. À la naissance, on se trouve donc pris dans des relations asymétriques. C'est pris dans ses relations que je vais apprendre à ranger le monde, à nommer les choses, les mettre à leur place. Ces relations asymétriques vont se prolonger dans la vie, je vais donner et recevoir, je vais vendre et acheter, je vais apprendre et je vais transmettre. L'échange et le flux procèdent toujours d'un différentiel. Nous ne sommes donc jamais égaux dans l'existence, c'est la différence, l'inégalité ou l'asymétrie qui fait que l'on peut donner et recevoir, acheter et vendre, apprendre et transmettre. On pourrait dire que nous pouvons croire être inégalement égaux. Inégaux, mais sur un plan égal où l'inégalité ne nous empêche pas d'être égaux. Tu es riche et je suis pauvre, mais on s'assoit sur un même sol, à même hauteur et dans la vie on peut s'échanger les positions sociales. Les asymétries peuvent donc être réversibles et temporaires, le paysan devenir lettré, le lettré devenir paysan, comme l'inactif devient actif, l'enfant devient adulte et l'adulte devient vieux. Dans ma langue parlée, Etat (doula, dawla) veut dire à tour de rôle. Comme dans un tour de rôle, à chacun d'être inactif, actif, sachant/expérimenté et ignorant/sans expérience. Lorsqu'elles ne le peuvent pas de manière durable, par le fait par exemple d'une transmission héréditaire, se forment des hiérarchies sociales rigides, une rigidification de la tripartition dont il a été fait mention plus haut. D'elles peut résulter un fonctionnement global concordant ou discordant. Si l'on doit juger un système, il faudra le faire quant au fonctionnement global de ces asymétries. Il fut un temps où les asymétries du système féodal étaient conjonctives, ce à quoi il devait que perdure son existence : il accumulait des forces ; un autre temps où ses asymétries furent disjonctives, bourgeoisie et féodaux ne pouvant plus tenir ensemble, l'une accumulait des forces et les autres les perdaient. Il en est de même avec le capitalisme occidental : colonial et impérialiste, ses asymétries furent conjonctives, en se laissant vieillir commence la fin de son hégémonie, ses asymétries deviennent disjonctives. La structure fondamentale de la société humaine Mais peut-on suivre Lahire et soutenir que ces trois fonctions sont présentes dans toutes sociétés, que les mythes mettent en scène ces trois grandes fonctions ou non, que la société s'organise symboliquement, juridiquement, institutionnellement en trois groupes (ordres ou castes notamment) correspondant à celles-ci ou non ? Probablement oui, mais cela signifie-t-il que la différenciation sera semblable partout ailleurs, seulement fonction du niveau de développement de la différenciation, et quelle tendra à produire le même ordre ? La réponde sera ici négative. La manière dont ces trois fonctions se différencient et s'emboitent sera à chaque fois particulière. La manière dont les sociétés se dirigent, se protègent et se nourrissent sera différente. Notre société ne s'est pas différenciée en guerriers et paysans, les premiers allant jusqu'à posséder les derniers. Avec le capitalisme libéral, ces derniers pourront se posséder. Les guerres auxquelles elle a dû faire face ont mobilisé des fellahs de tribus et non une classe guerrière. Bref, notre société n'a pas connu la compétition de classes guerrières pour la monopolisation de la violence. Il n'y a pas eu globalement de différenciation du guerrier et du fellah. La différenciation avait eu lieu entre ceux qui savaient lire et écrire et les autres, sans que ceux qui savent lire et écrire ne dirigent eux-mêmes la société. Ceux qui savaient lire et écrire pourront former une société à part, mais ne pouvant ni ne voulant disposer d'une force militaire, ne pouvant ni ne voulant former une classe à part entretenue par des paysans qu'ils auraient soumis, ils ne se livreront pas entièrement à l'art de la guerre. Ils ne pouvaient envisager d'imposer la Loi, ils proposaient leurs conseils et médiations. Et c'est d'avoir tourné le dos au monde qu'ils seront défaits par la colonisation. La civilisation chinoise est un autre exemple de différenciation. Entre le Ciel et la Terre, il y a l'Homme, l'homme que représente le chef de clan, de famille et l'Empereur. Nous sommes dans un univers d'agriculteurs. Les marchands et les guerriers ne sont pas à la base de la structure sociale, ils s'ajoutent. Le communisme chinois est le nom adopté par le système contemporain de la structure sociale de base, le parti communiste est la bureaucratie céleste de la société moderne. L'Empereur/l'État est le propriétaire éminent, les nobles qui ont reçu des fiefs de l'Empereur ne sont pas les guerriers, les guerriers sont des paysans. Les paysans et les lettrés sont les deux classes à la base de la structure sociale, les lettrés formant la classe des bureaucrates, mais pas une classe à part. Ceux qui dirigent la société transmettent leur savoir, mais ils n'ont pas le monopole du savoir. La transmission du savoir diffère de la transmission de la propriété matérielle. Nous sommes en présence d'une société au centre de laquelle est le travail et savoir desquels dépend la mobilité sociale et non l'avoir. Le savoir comme on l'a déjà dit n'est qu'une composante du travail et que la société ne tend pas à disjoindre du travail vivant. La Chine compte sur ses millions d'ingénieurs pour submerger l'Occident. La société algérienne a connu une certaine hiérarchie : le noble (chérifien), le m'rabet et le fellah. Le noble est attaché à une origine prestigieuse, le m'rabet est le guerrier défenseur de la communauté et de la religion qui n'a pas réussi à se consacrer entièrement aux armes (le fellah ne pourvoyant pas à son entretien), et qui n'a pas réussi à s'attacher au savoir et que la décadence a transformé en charlatan. Si la société a subi cent trente ans de colonisation, c'est parce qu'elle ne connaissait pas le monde, se connaissait mal elle-même. Elle n'a pas accru son savoir du monde, ne s'est pas approprié le monde. Sa différenciation sociale a été écrasée et ne s'est pas développée. Le guerrier est resté paysan, le lettré s'est transformé en marchand d'amulettes. Sa hiérarchie, son fonctionnement et sa représentation du monde ont été détruits par la colonisation et le poids du monde. Entre Ciel et Terre, l'Homme s'est perdu. Libérée du colonialisme, le poids du monde n'a pas cessé, le noble et l'ignoble se sont mêlés dans de sales guerres. La véritable hiérarchie qu'elle a pu connaître et à laquelle elle a cru s'est dissipée. La famille qui a hérité d'un titre a été défaite puis corrompue. Elle n'a pu être à la hauteur de son nom, elle n'a pas pu et voulu être à la hauteur du monde. Le noble a hérité du nom, mais pas du fait. Il a monnayé le titre qu'il a déprécié. L'avoir, plus court chemin au pouvoir, l'a emporté sur le savoir. La noblesse n'a pas ressuscité de ses cendres, le défenseur de la religion a été plus ignorant que connaissant. L'avoir sans le savoir étant stérile, son pouvoir restera sans portée. Sans hiérarchie des valeurs en laquelle elle croit, la société ne peut décider de sa voie, ne peut distinguer le haut et le bas, l'avant et l'après, l'avant et l'arrière. Ou plus exactement, elle choisira la voie d'une vie éphémère et superficielle, qui la conduira dans l'impasse et la pauvreté. Elle ne sait plus comment prendre le monde qui sait lui comment la prendre. L'occidentalisation du monde s'est effectuée sous l'emprise d'une soumission du savoir à l'avoir. Elle n'a plus d'énergie. La désoccidentalisation s'effectuera sous l'emprise d'une nouvelle alliance de la nature et de la société, du savoir et de l'avoir et donc du travail et du capital. L'humain, une machine qui s'ignore En quoi l'homme est-il supérieur ou inférieur à la machine ? Son infériorité tient dans sa mémoire et son énergie. Sa capacité de stockage de l'information et la vitesse de son traitement sont limitées. Son énergie est faible. Il doit externaliser sa mémoire, recourir à des automates et à une énergie extérieure. Il fabrique des artefacts prolongements de ses organes et s'associent du travail et des énergies non humains. L'homme se dérègle plus facilement et se règle plus difficilement. Aussi ne peut-il s'exécuter avec la même vitesse et la même précision que la machine. Sa supériorité tient dans ses sens, dans la conjonction du cœur, de la vue, de l'ouïe et du toucher. Par eux, il se fait une représentation du monde que ne se fait pas la machine, bien que l'on puisse prétendre traiter ce problème, il ne peut être dépassé. L'homme fabrique des mythes, ce que la machine peut faire, mais pas tout à fait. On peut arguer que ce point de vue découle du fait actuel que la machine se meut dans la représentation que l'homme se fait du monde et que l'on ne sait pas si un jour ce ne sera pas l'homme qui se mouvra dans la représentation que se fait la machine du monde. L'esclave non humain peut-il se transformer en maître ? Ensuite, l'homme devant se régler à nouveau à chaque génération, il a moins de mal à changer de routes, à se déshabituer. La supériorité de l'homme est dans sa capacité à se dérégler, à changer de représentation du monde. Sa faiblesse dans son énergie et sa capacité de traitement de l'information. En fait l'humain est un automate qui s'est longtemps ignoré. Il a tellement répété de gestes que sa mémoire les a inscrits dans son corps au point qu'il les exécute désormais sans penser. Enfant, il a internalisé un certain nombre de gestes qui l'ont accordé à son milieu. Il a imité et éprouvé, n'a pas pensé ce qu'il imitait, mais a éprouvé et adopté. C'est en externalisant cette mémoire qu'il prend conscience de ses automatismes, qu'il peut travailler ces automatismes, les améliorer. La machine est en quelque sorte son miroir : il se voit dans la machine, elle l'aide à se voir. Il n'y a donc pas de réelle discontinuité entre l'humain et la machine. Les discontinuités sont instaurées par le cloisonnement des expériences. De cela, j'extrapolerai la chose suivante : pour sortir de la domination d'une civilisation, il faut être dans des hypothèses autres que les siennes, il faut se faire une autre représentation du monde qui relèguerait la sienne dans l'incomplétude. C'est cette représentation qui va faire travailler un ensemble de machines et en faire une « usine » à produire de la médecine chinoise traditionnelle ou moderne par exemple. Ainsi en détournant un ensemble de machines de leur usage et en les portant dans un nouvel ensemble, dans une autre représentation du monde, peut-on se soustraire d'une domination technologique basée sur la séparation de la nature et de la société et la surexploitation de la nature. Dans notre représentation du monde, la vie peut se résumer comme une compétition contre la mort. Cette représentation peut différer selon que la vie et la mort s'excluent ou se complètent. Compétition où la vie peut comprendre la mort, aller au-delà de la vie immédiate, de la mort physique du corps actuel. Ou compétition s'efforçant de repousser la mort, d'extraire la mort de la vie. Deux représentations différentes, l'une organique et l'autre dichotomique. Il me semble que le débat actuel qui oppose en informatique les modèles de langage (LLM, comme GPT) aux modèles du monde (World Models[4]) est un bon exemple. Les modèles de monde s'inspirent des modèles mentaux du monde que les humains développent naturellement. Notre cerveau prend les représentations abstraites de nos sens et les transforme en une compréhension plus concrète du monde qui nous entoure. Les prédictions que notre cerveau fait sur la base de ces modèles influencent notre perception du monde. « Alors que les LLM sont des machines à prédire du texte, les World Models s'efforcent d'effectuer des simulations internes du monde réel. Les LLM excellent à parler du monde, les World Models visent à le simuler de l'intérieur. Les LLM sont des bibliothécaires omniscients, mais aveugles, tandis que les World Models aspirent à être des bébés scientifiques capables d'expérimenter. Leur opposition reflète le dualisme corps/esprit appliqué à l'IA ». (Deepseek). Autre exemple de représentations dans laquelle se fixe un système de pensée : la médecine chinoise utilise les deux représentations chinoise et occidentale du corps humain. La médecine traditionnelle chinoise fonctionne à côté de la médecine moderne dans le système de santé chinois, elles se complètent sans se confondre. Après avoir posé la question se rapportant à la substituabilité complémentarité du travail humain et de l'intelligence artificielle, il faut se poser celle se rapportant à la substituabilité économique du travail humain et de la machine. L'intelligence artificielle est une externalisation/objectivation du savoir humain. Le travail humain se disjoint en énergie humaine et savoir humain. Le savoir humain peut se disjoindre de l'énergie humaine et donc du corps humain, lorsque l'énergie fossile peut se substituer à l'énergie humaine. La substitution de la machine au travail humain dépend donc de la disponibilité de l'énergie fossile et de son coût relativement à l'énergie humaine. Dans la logique de la compétition capitaliste, la substitution de la machine au travail humain sera toujours profitable pour le propriétaire tant que le coût de l'énergie non humaine sera inférieur au coût d'extraction (qui n'est pas seulement monétaire) de l'énergie humaine. Le propriétaire a le droit de disposer librement de la chose, mais pas de l'homme. On imagine les conséquences d'un autre rapport à la nature. L'esclave mécanique surpassera l'humain qu'il avait fallu soumettre à une dictature (la faim entre autres en est une) pour le subordonner, le transformer en quasi objet. La logique de la propriété privée capitaliste pourra alors continuer d'extraire le savoir du travail humain et d'accoupler énergie non humaine et savoir humain objectivé. Avec une énergie non humaine illimitée, les humains pourront accroitre indéfiniment le nombre d'esclaves mécaniques nécessaire à leur entretien. Avec une énergie limitée et coûteuse, tous les humains ne pourront pas se voir attribuer les esclaves non humains nécessaires à leur entretien. Et les sociétés guerrières auront besoin d'esclaves humains plutôt que d'esclaves mécaniques pour se faire la guerre. On peut extrapoler, pour se préserver, la société guerrière devra se dualiser, soit en approfondissant la division de classes (l'IA pour les riches), soit en gérant les rapports entre deux sociétés où dans l'une compétitive se poursuivrait l'externalisation du savoir, la dissociation du savoir humain et de l'énergie humaine (production de travail mort) absolument nécessaire au progrès technologique. Pour se préserver de la société guerrière et de son savoir, il faudra approfondir une division du travail coopérative qui s'efforcera d'internaliser, d'associer le savoir humain au travail vivant (humain et non humain) absolument nécessaire à l'adaptabilité du monde social aux ressources disponibles et au progrès technologique. Cela serait comme défaire le savoir de la société capitaliste guerrière, le refaire à moindre coût et le neutraliser en innovant. Rappelons qu'un tel processus d'internalisation du savoir passe par un processus d'externalisation qui est celui de l'expérimentation. Le processus d'externalisation du savoir peut alors s'objectiver en machines ou en opérations humaines. La supériorité des « valeurs asiatiques » tient précisément dans cette capacité de l'humain à se faire machine. On parle en lieu et place de la valeur différente du travail dans les deux civilisations. L'une a dressé le corps à se faire machine bien avant la révolution industrielle ou autrement dit, le corps a appris à internaliser un savoir-faire. L'autre n'a songé qu'à externaliser le travail. C'est dans ce rapport d'externalisation et d'internalisation que pourra s'établir l'équilibre pertinent entre le mécanique et l'humain. Renoncer au mécanique n'est pas renoncer au savoir, mais à son objectivation permanente. La société peut ainsi externalisé et internalisé, objectivé et subjectivé, un corps militaire par exemple ; l'énergie disponible sera le facteur discriminant. En temps de paix, le paysan sera paysan, en temps de guerre, il sera militaire. La machine automatique se résorbe dans le corps social ou s'objective. Le savoir est dual, objectif et subjectif, d'usage civil et militaire. Car nous ne pouvons pas savoir de quelles quantités et qualités d'énergie non humaine et de quelles quantités de matières premières, la société pourra disposer. Et si tous les individus d'une société ne peuvent plus disposer de la même quantité d'énergie et de la même quantité d'une matière rare, il en sera de même pour les différentes sociétés. Ainsi comme l'affirme par exemple l'ingénieur français Jancovici, le destin de l'Europe ne peut pas être semblable à celui des USA, de la Russie ou de la Chine. Ils ne pourront pas disposer pas de la même quantité d'énergie et de de matières premières. Aussi peut-on soutenir que le destin des individus et des sociétés dépendra de la quantité et qualité d'énergies, de matières et de savoir dont ils et elles pourront disposer. L'université actuelle et les métiers actuels ne sont plus adaptés au monde de demain. Il faut savoir faire et défaire. Ensuite, savoir s'il faut objectiver ou subjectiver le savoir. La consommation individuelle ne sera plus le ressort de la production de demain. Les esclaves mécaniques et leur multiplication ne pourront plus être alloués au service de l'individu. Ils pourront par contre améliorer la consommation collective des biens de sécurité, de l'éducation et de la santé. La concentration de la population ne sera plus nécessaire pour accéder à des services publics de qualité. La concentration de la population ne pourra plus disposer d'une concentration de l'énergie. En guise de conclusion Pour trouver sa voie, s'inscrire convenablement dans le cours des choses, il faut expérimenter. Ce qui compte des théories et des modèles c'est le résultat, pour le bien commun ou privé. Nous avons expérimenté une construction par le haut de la société qui émane de l'expérience européenne. Ce modèle qui était seul disponible sur le marché mondial des idées perdure et exerce une force d'inertie persistante, il en résulte un gaspillage de forces. Le monde libéral a fait ses jours. Le monde se sinise rapidement, la Chine commence à faire ses propositions au monde. L'Occident toujours convaincu de sa supériorité se sinise à son corps défendant. Refusant d'apprendre du monde qui désire de nouvelles règles, il préfère persister dans la voie guerrière, transformant dans le même temps sa démocratie en démocratie illibérale. Rappelons que le fascisme hitlérien est enfant d'une société européenne les plus cultivées. Le reste du monde apprend désormais des leçons chinoises comme la Chine a appris du monde occidental quand l'asymétrie de savoir et de pouvoir était grande entre elle et lui. Et comme la Chine, il ne doit pas s'oublier, il devra compter sur lui-même quand de l'autre il ne pourra plus apprendre. Le monde est en train de changer, l'asymétrie de pouvoir entre l'Occident et le reste du monde est en train de se réduire. Face à cette réduction qu'il ne veut pas admettre, il recourt à la violence dont il n'a pas encore perdu le monopole. L'expérience directe est ce par quoi nous apprenons et éprouvons nos valeurs. La division du travail actuelle prive l'individu d'une expérience directe du monde, elle aliène l'individu. Nous nous refusons d'évaluer nos expérimentations, nous sommes obsédés par la peur du désordre social. Nous ignorons le fait que c'est d'un désordre primordial, créatif des forces et de leur compétition, qu'il faut produire un ordre social productif. Désordre primordial créé par l'inadaptation initiale de l'homme à son milieu qu'un système institutionnel doit transformer en ordre afin d'adapter l'homme à ses milieux[5]. Ce système institutionnel commence par l'institution familiale et se prolonge par des agences de socialisation publiques et privées. Les institutions de ce système sont complémentaires et concurrentes. Lorsque leur compétition renforce leur complémentarité, elles dotent l'individu d'habitudes qui lui permettent d'agir dans son milieu de manière efficiente, spontanée et rationnelle. Lorsque leur compétition n'est pas complémentaire, le système d'institutions échoue à produire un ordre efficient, il subit le désordre primordial et la compétition des forces qu'il ne parvient pas à aligner au sein du cours des choses. Et pour que soit préservé un certain ordre, la société se vide de ses forces. Le système d'institutions n'a pas réalisé la complémentarité de l'institution familiale et des autres agences de socialisation, la vie en conséquence disperse les forces de la société. Dans la construction par le haut de la société qui a prévalu, l'archaïsme de l'institution familiale, la supériorité des agences publiques de socialisation ont été présumés. L'institution familiale a accompagné le développement des autres institutions, à son corps défendant et en se déchirant. En ne faisant pas de l'école le prolongement d'une éducation familiale, le cours des choses a désolidarisé la famille de l'entreprise. Il a déconnecté le revenu de l'épargne et de l'investissement. Il l'a asservi à la consommation individuelle. Les agences de socialisation ont fabriqué des consommateurs de la production mondiale. Rétablir la complémentarité des agences de la socialisation est nécessaire à la cohésion sociale. Famille, région et nation doivent entrer en résonnance, partager un horizon commun. L'école a institué la compétition sans la coopération. Dans l'école de la coopération, le premier de la classe est celui qui sait et aide le mieux sa classe à progresser, c'est le leader. Ce n'est pas celui devant lequel il faut se taire. Il n'est pas omniscient, ensemble on sait mieux. De l'école à la société, il n'y a qu'un pas, le rapport de l'individu au collectif est intériorisé. Et l'école publique, qui avait la prétention de corriger en bien la famille, a déteint autrement sur celle-ci, elle a émancipé la compétition de la coopération, elle a déclassé le capital humain. Chacun pour-soi et Dieu pour tous, disent les athées, chacun pour-soi et son argent disent d'autres. Réapprendre la coopération, fonder la compétition sur la coopération, le capital sur le capital humain et naturel, sont des conditions nécessaires pour rendre au système social sa compétitivité et sa résilience. Notes [1] Ce qui DOIT changer avant 2027 - Jean-Marc Jancovici. https://www.youtube.com/watch?v=EMwT_0Kdk18 [2] Paul Pascon. « La formation de la société marocaine », Bulletin économique et social du Maroc,ý 1971. https://cinumedpub.mmsh.fr/besm/Pdf/120-121-01.pdf [3] Bernard Lahire. Les structures fondamentales des sociétés humaines. La Découverte. Sciences sociales du vivant. Paris. 2023. [4] Voir mental model : https://en.wikipedia.org/wiki/Mental_model [5] Bernard Lahire, cit. op. |
|