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Quand l'histoire bégaie : de 1930 à 2027, une démocratie en danger: Un nouveau maccarthysme à la française

par Salah Lakoues

Le nouveau maccarthysme à la française : une dérive identitaire dangereuse

Au moment où la France traverse une crise politique et économique profonde, marquée par une dette publique colossale et une dissolution catastrophique de l'Assemblée nationale, l'exécutif détourne l'attention des citoyens vers les faux débats identitaires et sécuritaires.

Dans une mise en scène quasi dramatique, le président Emmanuel Macron a convoqué un Conseil de défense à l'Élysée sur « l'entrisme islamiste », avec à peine un soupçon de données tangibles. Une réunion qui, sans surprise, n'a abouti à aucune mesure sérieuse, sinon à entretenir l'illusion d'un danger intérieur imminent. Ce climat délétère rappelle étrangement les années 1950 aux États-Unis, lorsque le sénateur Joseph McCarthy, dans une atmosphère de suspicion généralisée, lançait une chasse aux sorcières contre toute personne soupçonnée de proximité avec le communisme.

Le maccarthysme d'aujourd'hui, en France, cible d'autres « suspects » : les binationaux, les Franco-Algériens, les figures intellectuelles qui appellent à une France plus fraternelle, ou encore ceux qui dénoncent l'instrumentalisation sécuritaire à des fins politiques. Ce n'est pas un hasard si Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur, a récemment ravivé le concept de « Français de papier », une rhétorique historiquement associée à l'extrême droite, tout comme Marine Le Pen qui, sans détour, estime que les Franco-Algériens ne devraient pas accéder à certains postes sensibles. Ces déclarations participent d'un climat de défiance institutionnalisée envers une partie de la population française, désignée comme un corps étranger.

Ce qui inquiète les cercles de droite et d'extrême droite, c'est précisément que certains hommes politiques porteurs d'un discours apaisé - en rupture avec les crispations identitaires - soient entendus. Dominique de Villepin, par exemple, reste l'homme politique le plus populaire de France, bien que largement ignoré des grands médias, qui restent contrôlés par des oligarques ancrés à droite. Dans cette logique de discrédit, on ne s'étonne plus de voir les figures du dialogue et de la mémoire historique, comme Michel Rocard, être attaquées à titre posthume. L'Express, récemment, s'est livré à une manipulation honteuse en diffamant la mémoire de celui qui, dès 1959, avait dénoncé l'existence de camps de regroupement en Algérie - de véritables camps de concentration, selon ses termes - sauvant ainsi des milliers de vies. Cette attaque posthume, en pleine crise politique franco-algérienne, révèle une volonté de criminaliser jusqu'à la mémoire des voix modérées.

Derrière cette entreprise de stigmatisation, on retrouve une logique géopolitique plus large. L'Occident, emmené par la Grande-Bretagne, a historiquement soutenu la création des Frères musulmans dans le but de faire échec aux projets de construction d'États nations dans le monde arabe, projets perçus comme des contre-modèles menaçants. Aujourd'hui encore, l'accusation d'« entrisme » des Frères musulmans sert d'épouvantail pour délégitimer les courants républicains musulmans et les relations apaisées avec des pays comme l'Algérie. Les personnalités françaises qui souhaitent bâtir une relation fraternelle et sérieuse avec l'Algérie sont systématiquement marginalisées dans les grands médias. Toute honte bue, les relais médiatiques n'hésitent pas à salir la mémoire de Michel Rocard et se préparent sans doute à cibler les vivants. Car ce qui est en jeu, c'est l'effacement de toute pensée critique sur le colonialisme, sur l'histoire partagée entre la France et l'Algérie, et sur la possibilité d'un avenir commun fondé sur la justice et la mémoire.

Ce « nouveau maccarthysme » vise ainsi à réduire au silence les ponts, les passeurs de mémoire et les artisans du vivre-ensemble. Il prépare en réalité les esprits à un basculement dangereux. N'oublions pas qu'en Allemagne, les premières campagnes de désignation d'ennemis intérieurs ont commencé en 1930. Elles ont culminé, « démocratiquement », avec l'arrivée d'Hitler au pouvoir. 2027 n'est pas loin.