|
Pas mal de fois, j'ai entendu
des architectes affirmer que l'architecture ne s'enseigne pas. J'ai même repris
ce propos à mon compte, parce que je pensais que l'architecture est carrément
la construction.
Donc je laissais dire et disais la même chose parce que je ne voyais pas clairement la portée dangereuse de cette affirmation pour l'esprit de l'architecture et les futurs architectes. Ils nous arrivent tous de répéter des choses absurdes parce qu'elles nous semblent vraies. D'où le nécessaire recul. Il m'a fallu beaucoup lire, et faire parfois, de très nombreuses relectures d'ouvrages qui m'ont pour certains interpellé intérieurement, d'autres ouvrages m'ont ouvert des horizons de réflexions sur l'architecture que je ne pouvais pas et ne peux pas encore soupçonné en milieu d'architectes, et, incontestablement, il m'a fallu étudier des projets en construction et observer l'attitude aussi bien intellectuelle que sociale de leurs architectes, étudier le caractère sociétal des projets, pour me rendre compte, que l'architecture s'enseigne, mais qu'elle exige pour ce faire une grande capacité de penser la chose architecturale, plutôt complexe et culturelle au sens large du terme, au-delà des égos des architectes, et que l'échec de l'enseignement de l'architecture, est lié au fait qu'on enseigne pas la pensée et ses méthodes en architecture, mais qu'on enseigne seulement la technocratie des constructions comme au travers de leur histoire, au lieu de l'histoire des idées et leurs impacts sur les techniques et les raisons de leur transculturalité. Ces architectes, opposés à l'enseignement de l'architecture, n'ayant pas proposé de projet pour ce faire, architectes aux certitudes nihilistes, heureusement, ne représentent qu'eux-mêmes. Enfermés dans les bulles de leurs parcours personnels, ils s'enraidissent intellectuellement et ramènent le monde pluriel à leur égo. Cependant, je me suis résolu à me dire en démocrate convaincu, qu'il ne faut pas les ignorer, ni d'ailleurs les rejeter, mais leur demander de contribuer à l'enseignement de l'architecture à partir de leurs expériences professionnelles. Et voir ce que l'on peut en tirer pour le bien des futurs architectes. Technocrates ou penseurs ? À ma façon, j'ai essayé par exemple, de leur faire entendre qu'il y a une production architecturale qui se dresse contre la société, et l'espace urbain spontané, sans leur dire que je les visais. Aucun intérêt. En fait, je devais dire, qu'en général, ce sont les architectes qui travaillent contre l'architecture et bien sûr, la « société-en-cours », parce qu'il y a une confusion terrible entre l'architecture et la construction. La société du quotidien, peu font l'effort de voir en profondeur son mouvement ; la plupart sont sous l'emprise d'une société idéalisée comme on dit par le système et les narcissismes des technocrates, une société normative et/ou magnifiée, imposée le plus souvent pour homogénéiser, pour des raisons idéologiquement identitaristes ou progressistes, mais qui encore une fois, le comble des paradoxes, n'a rien à voir en général avec le caractère discursif de leurs projets d'architecture. La 3 société-en-cours3 est pourtant, facilement repérable à la périphérie des urbanismes européens, elle se fabrique spatialement, et sans rejet des voies de l'européanité parce qu'en réalité elle n'en a aucune idée. Elle est abandonnée à elle-même et on peut d'ailleurs soupçonner dans son attitude urbanisante, une résurgence d'une attitude culturelle que j'ai moi-même qualifiée de médinisante. Seulement ces idées qui demandent une recherche approfondie, pas de mépris comme celui que nous constatons en général, reposent sur ma conscience de l'effet des orientalistes qui nous ont légué une fausse idée de l'Orient, en insistant sur la poésie de la courbe et l'exotisme de sa mono-culturalité ou mono territorialité puisque les médinas sont incontestablement et paradoxalement des territoires de fait, très masculinisés. Le retour à la réalité urbaine, permet de constater que le 3 peuple-populaire3 construit en recourant à une technologie qu'on considère toujours comme étant moderne, qui est la même que celle qu'utilisent les architectes, en faisant croire que la démarche que ces derniers suivent est plutôt savante. Le peuple-populaire s'écarte du modèle urbain européen en ne faisant pas toujours fi de la ligne droite et des dispositifs nécessaires au confort urbain. Dans ces ensembles urbains où l'on peut toujours croiser des surprises, où la norme savante ne possède pas de réelle existence et le paysage peut être une improvisation de l'exotique, l'architecture relève plus du symptomatique que du symbolique qui reste l'exception des monuments-signes. Dans ce sens, il se trouve que j'ai découvert que je n'étais pas le premier à faire ce genre de constat qui fait, je l'avoue, polémique. Il eut avant moi Bernard Huet, mais dans des conditions qui sont tout autres que les nôtres, algériennes, et que j'évite de livrer à la comparaison pour ne pas, justement, induire en erreur. En fait, l'on se rend compte que, l'architecture, pour ces architectes qui s'opposent à son enseignement, n'a pas beaucoup de sens en dehors des mécanismes des technologies dominantes et paradoxalement incomprises, et des voies faisant écoles qui s'imposent aussi bien dans les ouvrages d'architecture que dans les médias. C'est le totalitarisme élitiste qui interdit à la société d'exister dans les « œuvres » des architectes souvent « trop » obnubilés à produire des objets-architecture d'inspirations individuelles et destinées selon des présentations discursives à des sociétés abstraites. Formuler un propos plus d'architecture que d'architecte devient de plus en plus pénible à l'échelle du réel, car nous n'en sommes plus aux groupements capables d'une architecture identitaire à partir du triptyque : déterminisme physique, culture propre et savoirs multiples. Aujourd'hui, je vois bien que nous ne savons pas grand-chose de la maison algérienne, mis à part des généralités dominantes concernant ses aspects fonctionnels et les mutations qu'elle semble opérer. Les architectes tout en ne s'éloignant pas du modèle conventionnel, et avec beaucoup d'incompréhension des différents aspects de la construction, méprisent la construction du peuple. Les Algériens sont soumis à des influences multiples, historiques et médiatiques, et sont perdus devant le matraquage culturel des réseaux de communication. C'est pour cela que l'architecte algérien doit agir avec beaucoup de sérénité et éviter de se laisser entrainer par des modèles qui ne rendent pas toujours honneur à l'esprit de l'architecture surtout quand il s'agit de l'enseignement architectural. C'est peut-être cette méconnaissance de la maison « locale » en plus de la faiblesse qualitative des architectes algériens qui reprennent à l'à peu près des schémas internationaux universalisés, qui décrédibilisent l'enseignement de l'architecture au regard des jeunes apprenants. Les étudiants sont obligés de chercher des maisons modèles à étudier dans les livres parce qu'ils ne les trouvent pas autour d'eux ou ne savent pas les trouver. Il y est certainement question plus de fantasme que de réel. Le fantasme de l'ailleurs est repérable dans les maisons réalisés des architectes algériens qui proposent des modèles dotés de grands vitrages et des façades exagérément colorées, en plus d'être agrémentées de piscines, signe de richesse pour beaucoup de maîtres d'ouvrage. *Architecte et docteur en urbanisme | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||