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Tout
est à rejouer dans la marche à l'élection présidentielle américaine dans
laquelle Donald Trump avait une route dégagée vers
une victoire certaine. Voilà que Kamala Harris surgit, il fait face désormais à
un autre défi, autrement plus inquiétant. En retour, c'est l'image que beaucoup
sont tentés de percevoir de Kamala Harris qui doit se repositionner pour
s'extraire de la légende de ses origines et revenir à la réalité.
Quelle fantastique reconquête si Kamala Harris, vice-présidente des Etats-Unis, parvenait à retourner la situation en sa faveur contre le fantasque candidat républicain Donald Trump. Quel fantastique épisode de l'histoire qui ferait enfin accéder à la Maison Blanche une femme dans la fonction la plus haute de la première puissance économique dans le monde. Quelle fantastique image que la présidente soit issue d'une communauté dont on sait le long chemin vers l'égalité des droits. Barack Obama avait gravé son nom dans l'histoire en étant le premier noir américain à accéder à ce plus haut niveau, voilà maintenant le tour d'une femme métisse si elle réussit le parcours très difficile qui la mènera au sommet des marches. L'ennui est que dans ce conte de fées il manque une vérité. Si Kamala Harris a eu un brillant parcours, universitaire comme au poste prestigieux de procureure de New York et dans le Parti démocrate, l'histoire de l'ascension par le mérite s'arrête à sa capacité et à sa volonté mais pas par le destin miraculeux d'une fille issue de l'immigration. Une naissance dans le cocon de la réussite En ce qui concerne Kamala Harris nous sommes effectivement très loin de l'image des immigrants escaladant le mur de la frontière mexicaine pour une vie meilleure. Certes ses parents avaient, eux aussi, ce rêve américain mais ils ne sont pas venus avec un bagage en carton, ni en faisant la queue dans la mythique Ellis Island où débarquaient les immigrés venus du monde au début du XXème siècle ni en escaladant le mur de la frontière mexicaine. La seule certitude de cette montée extraordinaire dans les plus hautes sphères de l'élite est qu'elle est construite malgré son origine extérieure à la caste des blancs, au « pur sang américain » comme disent les partisans de Donald Trump. L'autre certitude est que ses deux parents ont été des activistes de la lutte pour les droits civiques des noirs, un milieu dans lequel elle a baigné et qui transcende dans son parcours politique. Mais au-delà de ces deux certitudes la légende de son origine doit s'effacer comme nous l'avons déjà dit. Si ses parents, Donald Harris et Shyamala Gopalan, sont nés dans d'ex-colonies britanniques, ils sont entrés aux États-Unis par la voie royale de la prestigieuse université de Berkeley. Voilà un premier indice qui nous fait entrer dans la réalité hors de la légende. Les racines militantes Le père est d'origine jamaïcaine, professeur d'économie très reconnu à l'université de Stanford, encore un lieu prestigieux. Sa mère, d'origine indienne, était venue étudier l'oncologie. En fait c'est le militantisme des deux parents qui a marqué la formation intellectuelle et politique de Kamala Harris. Les deux époux avaient connu la forte ségrégation et injustice des coloniaux envers leurs pays. Ils sont les parfaits exemples d'une Amérique éduquée qui s'est intégrée dans les soulèvements étudiants et intellectuels de l'époque. Le mouvement militant de ces années a été surtout le fait d'une certaine élite, il ne faut jamais l'oublier. Rien d'étonnant que leur fille Kamala ait ce profil de militante pour les droits des minorités ainsi que ceux de tous les exclus des États-Unis. C'est en cela que se définit la chance de voir enfin arriver à la Maison Blanche une femme qui n'est justement pas l'image de l'Amérique blanche. C'est cela qui est à retenir, pas le mythe d'une petite fille qui a escaladé le mur de la frontière avec ses parents. Ainsi si le destin personnel politique de Kamala Harris a été forgé par ce passé, c'est surtout dû à ses fantastiques capacités intellectuelles. Comment ne pas les acquérir lorsqu'on naît dans un environnement aussi hautement diplômé et cultivé ? Un parcours exceptionnel Le parcours de la jeune femme va être fulgurant et prestigieux. Kamala Harris naît en 1964 à Oakland en Californie. À l'âge de 7 ans, ses parents se séparent. Là nous sommes dans le cas d'une rupture qui pourrait expliquer une partie de la hargne à réussir mais tous ceux qui ont connu ce drame, ils sont nombreux, ne sont pas à une marche de la présidence des États-Unis. Elle quitte les États-Unis pour vivre à Montréal avec sa mère et sa sœur. Puis la jeune fille revient aux États-Unis pour passer son diplôme de fin du secondaire. Elle obtient ensuite un premier diplôme en sciences politiques à l'Université Howard à Washington puis un diplôme de droit à Hastings en Californie. Après ses études, Kamala Harris intègre le barreau de Californie en 1990. Elle débute comme adjointe au procureur du comté d'Alameda avant d'être élue procureure de San Francisco en 2003. Là également, le choix d'un poste dans le service public est encore explicatif de sa personnalité. Elle devient ainsi la première procureure de couleur élue en Californie et la première femme à occuper cette fonction à San Francisco. En 2010, elle est élue procureure générale de Californie et réélue en 2014 pour un second mandat. Kamala Harris devient la première femme à occuper ce poste. Nous voilà dans ce long parcours de « première femme » qui va peut-être se poursuivre avec l'accession à la présidence. Elle gravite dans la sphère politique dès 2016 en profitant d'une opportunité, la non présentation de la sénatrice démocrate Barbara Boxer pour une réélection en Californie. La chance était à sa porte, elle est élue sénatrice après un combat féroce qui préfigure du parcours à venir. Bon, nous pourrions dire avec humour qu'elle n'a été que la seconde femme de couleur sénatrice des États-Unis. On ne peut pas toujours et en toutes choses être « la première ». Dès le début de son mandat au Sénat, son opposition à l'administration Trump a été rude, particulièrement contre la politique migratoire. Nous l'avons dit, pas par le fait d'une condition sociale difficile de son enfance mais seulement par l'influence des idées de ses parents. Dans l'affaire de Georges Floyd, un Afro-Américain décédé à la suite d'une interpellation par quatre policiers, elle soutient sans réserve le mouvement Black Lives Matter. Une force de conviction et de combat Dès l'annonce de la démission du Président Joe Biden, Kamala Harris n'a pas hésité un seul instant. Elle bondit sur l'occasion, ne laissant aucun doute sur l'ambition mise en sommeil pendant quatre ans mais toujours aussi présente. Quelques jours avant, elle jurait que le Président allait bien, qu'il avait la force de gouverner encore pour le bien de la nation et qu'elle lui resterait fidèle. Mais dès lors où une fenêtre d'opportunité lui était ouverte, elle s'est engouffrée sans états d'âme. La politique ne laisse aucune place aux sentiments, Kamal Harris avait prononcé les pires mots envers Joe Biden lors des primaires des démocrates dans leur première tentative à l'élection présidentielle. Elle n'a pas laissé une seconde au doute lorsque la vice-présidence lui avait été proposée par Joe Biden. Mais de son côté, un tel choix politique de sa part n'est pas envahi de tendresse, il l'a choisie pour la représentation des Américains de couleur. Barack Obama n'avait pas fait autrement lorsqu'il choisit Joe Biden à la vice-présidence. Certes ils avaient une relation d'amitié lorsque ce dernier était sénateur. Mais la stratégie politique était toujours prioritaire, Joe Biden avait un passé prestigieux de sénateur, reconnu et respecté y compris par certains républicains. Kamala Harris sait combien il faut se battre pour accéder et réussir dans ce monde d'hommes et majoritairement de blancs. Sa carrière et sa formation intellectuelle autant que politique lui ont donné toutes les armes pour affronter ce combat difficile. Le chemin est encore difficile À l'heure de la rédaction de cet article rien n'est encore gagné mais il a pour objectif de remettre la légende à sa place et reste donc indépendant de la validité de la candidature par les démocrates et de la victoire à l'élection présidentielle. Elle a tout fait pour immédiatement se positionner et rendre sa candidature naturelle en ne laissant le choix à aucune autre. Elle a multiplié ses apparitions dans les médias et n'a cessé de déployer un programme. Mais si la démarche connaît une certaine réussite, Kamala Harris n'a pas pour autant encore eu entièrement l'adoubement du parti comme celui accordé du bout des lèvres par l'un de ses éminents membres, Barack Obama. Ses chances et ses limites ? Pour la première réponse, tout au long de cet article nous les avons recensées. Il faut rajouter que Kamala Harris dispose d'un pactole de guerre hérité des soutiens financiers pour la campagne de Joe Biden. Elle a immédiatement fait reprendre confiance à ces derniers alors que beaucoup avaient suspendu leur aide en constatant l'entêtement du président à vouloir se représenter malgré la catastrophique image sur sa capacité physique et peut-être même intellectuelle. Son discours semble correspondre à toute une partie de l'électorat démocrate qui commençait à renoncer à voter favorablement pour le parti. Kamala Harris semble leur donner des espoirs avec sa jeunesse et sa fougue et surtout avec un programme sans ambiguïté envers Israël. Ce qui laisse une chance de récupérer certaines communautés, comme celle du Michigan pour les Arabo-Américains et une grande partie de la jeunesse qui avait exprimé violemment leur opposition au terrible génocide perpétré envers la population civile palestinienne. Quant à son programme social, il est de l'essence habituelle du Parti démocrate. Kamala Harris semble vouloir lui redonner la confiance de ceux qui ne croyaient plus au parti de gauche (au sens américain). Pour la seconde réponse, la partie semble encore très difficile. Si Donald Trump a reçu un coup sur la tête, il est loin d'être à terre. Il ne faut pas oublier qu'il est largement en tête dans les sondages et leader d'une gigantesque secte réunie autour de son gourou. Toutes les accusations sur son immoralité et ses démêlés judiciaires n'ont en rien entamé la ferveur de ses millions d'adeptes. Au contraire, cela les a encore plus enracinés dans la théorie du complot et l'adoration du gourou qu'ils suivent au moindre mot et à la moindre clownerie, grotesque autant que mensongère dans ses affirmations. Si Kamala Harris est très connue dans l'élite du monde politique, elle reste tout de même une inconnue pour la majorité des Américains. Surtout qu'elle avait été très effacée pendant les quatre ans de la présidence de Joe Biden. Il faut dire qu'en dehors de son très important combat pour la restauration du droit à l'avortement qui rallie une grande partie des femmes opposées à la politique conservatrice de Donald Trump, elle n'a jamais été dans la nécessaire lumière qui permet l'accès à la présidence. Elle s'est laissée enfermer en acceptant la mission pour le règlement de l'épineuse affaire du mur sur la frontière américo-mexicaine. Un rôle qu'on lui a attribué par son origine. Justement une raison contre laquelle toute sa vie fut un combat pour détruire l'idée d'un rôle de prédestination « raciale ». Elle a évidemment échoué et laissé un boulevard aux Trumpistes pour la dénoncer dans une affaire éminemment importante dans le débat violent aux États-Unis. Malgré tout cela, Donald Trump ne peut se satisfaire de la nouvelle adversaire. Il est désormais le « vieux impotent » et le délinquant que l'ancienne procureure de Californie a immédiatement perçu (et qualifié comme tel pour ses condamnations) comme un angle d'attaque à la puissance médiatique de ce messie blanc, populiste, affabulateur et adepte du complotisme. En conclusion, il faut espérer que le miracle du retour à la raison américaine revienne. Mais pour autant je réfute toujours les légendes par le seul argument de leur éloignement de la réalité, ce que dirait Monsieur de La Palisse. Kamala Harris a toutes les qualités pour devenir la « première présidente femme » sans qu'on pleure pour son parcours d'immigrée franchissant le mur de la frontière mexicaine. C'est la vérité qui crée les destins, pas les chimères. |
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