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![]() ![]() ![]() Quand le Moyen-Orient brûle, c'est l'Ordre mondial qui se consume
par Laala Bechetoula ![]() Chronique
d'un monde qui normalise l'arbitraire et sanctifie la force
Par-delà les missiles : un monde mis à nu. Les événements récents qui secouent le Moyen-Orient frappes ciblées contre les installations nucléaires iraniennes, escalade verbale et opérationnelle entre Washington, Tel-Aviv et Téhéran ne sont pas de simples épisodes dans une longue saga régionale. Ils sont le symptôme aigu d'un désordre mondial plus vaste, où la norme n'est plus la légalité, mais l'asymétrie des armes et des narrations. À la surface, tout semble déjà vu : Une puissance occidentale invoque la « sécurité internationale », Un État du Sud est désigné comme menace, Les institutions multilatérales s'indignent sans agir, et les opinions publiques, épuisées, regardent ailleurs. Mais sous cette surface, quelque chose de plus profond est en train de s'effondrer: La prétention de l'Occident à incarner le Droit, La légitimité des Organisations internationales à arbitrer les conflits, et, plus grave encore, La possibilité d'un récit commun sur la justice, la souveraineté et la paix. L'Accord nucléaire : autopsie d'un traité saboté L'accord de Vienne (JCPOA) de 2015 avait valeur de symbole : une puissance mondiale et une puissance régionale s'accordaient après des années de confrontation sur un cadre rationnel, vérifiable et multilatéral. Mais ce symbole n'a pas résisté à la logique impériale. Le retrait unilatéral des États-Unis, en 2018, sous Donald Trump, sans motif légal, accompagné du rétablissement de sanctions extraterritoriales illégales a marqué la fin de l'illusion d'un ordre fondé sur des règles. Depuis, chaque frappe, chaque sabotage, chaque assassinat ciblé de scientifiques iraniens (souvent attribué à Israël) est présenté comme un acte de « prévention ». Mais quelle légitimité reste-t-il à une prévention exercée hors de tout mandat, en violation du Droit international, par des puissances qui elles-mêmes refusent tout contrôle sur leurs propres arsenaux ? Israël : l'impunité comme stratégie permanente Le cas israélien illustre à lui seul l'impunité structurante de l'ordre international actuel. Non signataire du TNP, puissance nucléaire opaque, puissance occupante reconnue comme telle par l'ONU, Israël mène des opérations militaires dans plusieurs pays Syrie, Liban, Gaza, Iran sans jamais être sanctionné. Ses actions sont qualifiées de « défensives » par ses alliés, même lorsqu'elles visent des infrastructures civiles ou se déroulent en dehors de tout champ de guerre déclaré. Comment peut-on encore parler de stabilité régionale lorsque l'un des acteurs les plus militarisés du monde est soustrait à toute norme ? Et comment justifier la passivité des grandes puissances démocratiques face à des actes qui, si commis par d'autres, seraient immédiatement qualifiés d'agression ou de terrorisme d'État ? Les monarchies du Golfe : financeurs silencieux d'un chaos utile En arrière-plan, un autre acteur joue un rôle fondamental, dans le déséquilibre : les monarchies pétrolières du Golfe. Riches, vulnérables, profondément dépendantes des garanties de sécurité occidentales, elles ont choisi, depuis longtemps, le silence stratégique, contre la survie des régimes. Mais ce silence est souvent complice. En ouvrant leurs espaces aériens, en accueillant des bases militaires étrangères, en participant au blocus de pays voisins ou en normalisant avec Israël, ces régimes ne font pas qu'acheter une protection : ils influencent l'agenda sécuritaire régional, au détriment de toute solution politique ou diplomatique. Ils ont également contribué à déplacer la grille de lecture du conflit : du colonialisme à la géopolitique du « péril chiite », du droit des peuples à l'autodétermination, à la stabilité des flux énergétiques. Droit international ou droit des plus forts ? Dans ce théâtre aux contours incandescents, le Droit international n'est plus qu'un décor que l'on brandit selon les circonstances. Le Conseil de sécurité - paralysé par les vétos - est réduit à une tribune où la parole est libre mais l'action impossible. La Cour pénale internationale, quant à elle, semble avoir oublié les crimes des puissants. L'universalité du droit est morte le jour où l'on a décidé que certains États avaient «le droit de désobéir» Droit implicite, fondé non sur la justice, mais sur l'histoire coloniale, la technologie militaire et le poids diplomatique. Une crise nucléaire ? Non. Une crise de civilisation. Ce n'est pas l'Iran qui menace aujourd'hui l'équilibre mondial. Ce n'est même pas Israël, malgré ses provocations répétées. C'est la normalisation de l'arbitraire, la tolérance institutionnelle à la violence illégitime, et l'érosion de toute possibilité de désaccord sans punition. Ce que nous voyons, c'est un monde où la souveraineté devient un privilège, la paix un mot creux et la guerre un outil de gouvernance. Et maintenant ? Il est temps, non de choisir un camp, mais de refuser cette architecture délétère. Non de défendre un régime contre un autre, mais de défendre l'idée même que les peuples ne sont pas des variables d'ajustement géopolitique. Ce combat n'est pas celui d'une nation, d'une religion ou d'un axe. C'est le combat pour que le Droit redevienne un principe et que la paix ne soit plus une récompense pour les soumis. Tant que la légalité sera une marchandise, la paix restera un mirage. |
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