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![]() ![]() ![]() Jeu, joueurs et enjeux de la crise iranienne: Trump sonne la fin de la « Guerre des 12 jours »
par Abdelhak Benelhadj ![]() On
accorde à Israël un pouvoir considérable qu'il est loin de posséder. La
campagne militaire qu'il a déclenchée le 13 juin n'aurait jamais pu être imaginée
sans les moyens, la volonté et les objectifs fixés par les Etats-Unis (au-delà
même de la maison blanche) qui, depuis B. Obama, préfèrent diriger en arrière-plan
plutôt que de se placer sous les feux de la rampe. D. Trump
ne se pavane sur le devant de la scène en toute excentricité que pour mieux
cacher les vrais acteurs d'un conflit qui dépasse le cadre géostratégique
d'Israël, de l'Iran et même du Proche-Orient, sans minimiser l'importance des
événements qui viennent de s'y dérouler, y en particulier à Ghaza
où les israéliens exterminent en toute tranquillité, loin des caméras occupées
ailleurs en parfaite connaissance des abominations qui s'y déroulent.
46 ans après la révolution iranienne, pour la première fois depuis 1979, les Etats-Unis interviennent directement contre l'Iran. Jusque-là, ils l'ont fait via des « proxys », en commençant par l'Irak en 1980. Ce qui ne leur a guère réussi. Et pas davantage à un Saddam Hussein qui y a laissé la vie, la sécurité, la paix et la prospérité de son pays. C'est généralement ce qu'il en coûte à ceux qui se mettent sous l'aile protectrice de l'Oncle Sam. Questions : 1.- Qu'est-ce qui a obligé Israël à attaquer l'Iran le 13 juin ? 2.- Qu'est-ce qui a poussé les Etats-Unis à intervenir plus directement dans le conflit le 22 juin ? 3.- Les objectifs assignés à ces interventions ont-ils été atteints ? 4.- Existerait-il des liens entre cette opération et les autres conflits qui agitent l'Europe ? Récapitulons. Rétrospection historique indispensable. Pour mieux appréhender ces événements, un retour sur le passé récent s'impose. 19 août 1953. Opération Ajax. Accusé d'être un agent soviétique, le Premier ministre du Shah, Mohammad Mossadegh (73 ans), est démis de ses fonctions à la suite d'un complot organisé par les Britanniques et les Américains qui remettent de l'ordre dans leurs affaires. Novembre 1979. Les Iraniens (tous partis confondus) chassent la dynastie Pahlavi du pouvoir et rompent leurs relations avec les Etats-Unis d'Amérique. 14 juillet 2015, à Vienne. Après 12 ans de crise et 21 mois de négociations acharnées, un accord historique est conclu entre l'Iran et les 5+1 (les membres permanents du Conseil de sécurité (Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni, Russie), plus l'Allemagne. Le pacte, connu sous l'acronyme JCPoA (Joint comprehensive plan of action), entre en vigueur début 2016, nourrissant chez les Iraniens un immense espoir de voir leur pays sortir de l'isolement et espérer une croissance économique bloquée par de très lourdes sanctions qui les obligeaient à de complexes et coûteuses manoeuvres financières et commerciales. 08 mai 2018. Hélas ! Après plusieurs mois de tergiversations et de menaces, Donald Trump annonce le retrait unilatéral des Etats-Unis de l'accord conclu par son prédécesseur.1 Cette décision a une suite immédiate, logique et légitime : ne se sentant plus contrainte par un quelconque traité, l'Iran se tient affranchi de toute obligation. La conséquence est facile à deviner : les Européens s'alignent sur les Américains (et les Israël, prétextant une « menace existentielle » a été le principal acteur en cette affaire) et pressent les Iraniens de satisfaire à un accord inique. Même l'arrivée du « démocrate » J. Biden qui aurait pu dénoncer la dénonciation, n'a rien changé. L'Iran est sommé seul de satisfaire à un programme que ses ennemis refusent d'honorer après qu'il l'ait pourtant dûment ratifié. Les Occidentaux soupçonnent alors l'Iran de vouloir se doter de la « bombe » et avancent les arguments suivants : sur les sites de Natanz et de Fordo, visés dimanche par l'attaque américaine, l'Iran dépasse le taux d'enrichissement fixé à 3,67%, le portant d'abord à 5% puis en 2021 à 20% et enfin à 60%, niveau proche du seuil de 90% requis pour la fabrication d'une bombe atomique. L'Iran est également accusé de briser un plafond en termes de quantité, établi à 202,8 kilos de matériel enrichi : ses réserves totales actuelles seraient 45 fois plus importantes que « prévu ». (Reuters, D. 22 juin 2025). Pourtant, malgré le retrait américain, Téhéran a toujours démenti avoir de telles visées, évoquant régulièrement une fatwa (décret religieux) de longue date du guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei, qui interdit cette option. Tout cela en sachant que pour disposer d'une arme utilisable, cela exige de satisfaire à une multitude de conditions techniques que l'Iran ne possède pas. En vain. Précisons que les informations issues de l'AEIA sont d'une fiabilité relative. Le directeur général italien actuel de cette organisation parle de nombreuses langues et en profite pour tenir plusieurs discours2. Il a plus les qualités d'un politique habile et avisé que celles d'un technicien, d'un arbitre honnête et impartial. Rien à voir avec l'étoffe de son prédécesseur suédois Hans Blix (1981 à décembre 1997). S'opposer à G.W. Bush après mars 2003, lui a coûté son poste. Cela a une conséquence : il est peu probable que les Iraniens ouvrent la porte à nouveau à cette agence. Commence alors un jeu de chat et de souris. Des tractations menées à Vienne pour relancer le JCPOA échouent en été 2022. Pourquoi donc en est-il ainsi ? A bien considérer le problème, on découvre vite que la maîtrise de technologies nucléaires est relativement marginale. Le vrai problème est ailleurs. Il est de nature géostratégique et l'Iran n'est qu'un enjeu dans une partie d'échecs bien plus vaste. A la fois régionale et globale. Nous reviendrons un peu plus loin sur cette question que les commentateurs et autres experts occidentaux qui polluent les plateaux de télévision veulent noyer dans le spectacle de la quincaillerie technologique militaire. Trump a donné le change et a ouvert les portes à un cycle de négociations à Oman qui a commencé en avril avec les Iraniens qu'a rencontrés le délégué américain, Steve Witkoff. Tout le monde voyait bien que ce n'était que ruse qui s'est continuée avec les négociations à Genève avec des Européens. Les objectifs sont clairs. On peut évoquer les deux principaux, brandis par Israël et ses alliés. 1.- L'Iran ne devait pas assurer l'enrichissement de l'uranium que lui fournit la Russie (qui se charge de retraiter ses déchets). Au demeurant, l'enrichissement de l'uranium iranien ne doit pas dépasser 3.67% nécessaire à un usage civil ainsi limité en échange d'une levée des sanctions internationales. L'accord était prévu pour une durée de 15 ans. Le nucléaire iranien devait être, pendant cette durée, strictement inspecté pour en vérifier la conformité. 2.- L'Iran devait s'abstenir de développer des missiles à même de menacer ses voisins. Cela signifie qu'il doit rester sans défense face à Israël, surarmé, qui possède en outre pour dissuader, une centaine d'ogives et qui n'a pas signé le TNP. Le 13 juin, Opération « lion dressé ». Netanyahu a mis Dieu dans la confidence Les Israéliens lèvent le voile sur cette supercherie en bombardant l'Iran avec le secret espoir d'aller « plus loin ». « Cela fait plus de 15 ans qu'Israël suit le programme nucléaire » iranien, révèle Michael Horowitz, un géopoliticien israélien. Selon des médias israéliens, pour ce qu'ils en savent, l'opération israélienne est en préparation depuis 8 à 24 mois. (AFP, D. 15 juin 2025) Un scénario identique à celui de l'Irak dont le réacteur, Ozirak (70 MW), à Tamuz (construite en 1975 avec l'aide de la France), a été détruit le 7 juin 1981, par Israël (« Opération Opéra ») et définitivement rasé en janvier 1991 par les Américains.3 Comme il en fut pour l'Irak, s'ajoute aux deux conditions ci-dessus, une autre dont le couple israélo-américain n'a jamais fait mystère : débarrasser l'Iran du « régime des Mollahs » et refermer définitivement cette parenthèse ressentie comme une cuisante humiliation à Washington. « Il n'est pas politiquement correct d'utiliser le terme «Changement de régime», mais si le régime iranien actuel est incapable de RENDRE L'IRAN GRAND À NOUVEAU, pourquoi n'y aurait-il pas un changement de régime ??? », écrit, sans s'en cacher le président américain, Donald Trump, sur sa plateforme Truth Social, D. 22 juin 2025. A moins d'un illusoire soulèvement populaire iranien ou d'une invraisemblable attaque massive au sol pour renverser le régime, cela ne changera rien à l'état des rapports de forces dans la région. L'Iran est un vaste pays (1,648 million de km²) de plus de 90 millions d'habitants, loin des frontières israéliennes. L'Iran n'est ni Ghaza, ni le sud-Liban ni la Syrie ni même la Libye. Cette opération, tous les observateurs en conviennent, ne fera probablement que ralentir les efforts de l'Iran à acquérir ce qui sera désormais publiquement son objectif : se doter d'un armement atomique. La technologie est maîtrisée et seul le temps sépare ce pays de ce que plus personne ne pourra l'empêcher de réaliser, quels que soient les dommages occasionnés par les bombardements. La paix en moins. Tout compte fait, cette démonstration de forces aura été une mauvaise idée. L'attaque israélienne vient de provoquer la rupture des relations de l'Iran avec l'AIEA ce qui annoncerait son retrait du TNP (Traité de Non-Prolifération). Israël-Ukraine, même combat. La campagne médiatique planétaire est un copier-coller de celle d'Ukraine. Les missiles iraniens en Israël, comme les missiles russes en Ukraine ont tous trois destins : - Soit, ils tuent des civils désarmés - Soit, ils sont abattus - Soit, ils se perdent dans la nature, égarés par des contremesures électroniques Tandis que les Israéliens attaquent des sites militaires « ciblés », les Iraniens tuent des innocents (des personnes âgées, des femmes et des enfants...) et détruisent des habitations civiles. - D'un côté, des génies de la technique, professionnels maîtres de leurs instruments, inspirés par la plus haute morale, des actions chirurgicales visant des objectifs militaires, - De l'autre, des barbares brutaux et incompétents qui lancent de manière désordonnée des missiles imprécis qui tuent indistinctement des populations désarmées. Les messages en infèrent logiquement : Israéliens et Ukrainiens sont de ce fait du même bord géopolitique, le monde civilisé contre la barbarie, le bien contre le mal... et justifient que l'Occident soit solidaire de l'Ukraine et d'Israël. Message identique rabâché depuis le Moyen Âge et ses Croisades.(4) Les Etats-Unis étaient profondément, mais aussi discrètement qu'ils le pouvaient, engagés aux côtés d'Israël, notamment avec l'assistance d'un réseau d'information planétaire verrouillé. A l'évidence, Netanyahu ne pouvait décider son opération sans une aide américaine multiforme (militaire, technologique, économique, financière, politique, diplomatique...) Stratégie concertée et actions communes. Le soutien américain est multiforme et systémique. - Tout l'armement israélien, avions, bombes, munitions... est, pour l'essentiel, américain - Le renseignement précis et la conduite des opérations bénéficient de l'aide américaine globale et locale (Vème et VIème flottes américaines en Méditerranée et dans le Golfe, sans compter la base de Diego Garcia, dans l'Océan Indien). Des satellites sur diverses orbites suivent à la seconde et au dm² tout ce qui se passe sur le terrain. Il est illusoire d'imaginer que cette opération ait pu être menée sans la participation directe et effective des Etats-Unis qui sont seuls à posséder les technologies nécessaires à sa réalisation. - L'aide diplomatique des Etats-Unis et de ses « alliés » européens contrôlés localement par des réseaux sionistes très puissants et très bien organisés à toutes les échelles de la décision tactique et stratégique : finances, commerce, politique, médias... - Washington s'assure de la « Collaboration » des « supplétifs » locaux : Jordanie, Egypte, Arabie Saoudite (laquelle consent à ce que les missiles iraniens au-dessus de son territoire soient interceptés) et participent ainsi volens nolens à la défense de l'« Etat juif ». - Les Etats-Unis ne se contentent pas d'assister. Ils participent directement comme en avril 2024, à l'interception par les Américains des missiles et des drones iraniens dirigés vers Israël et peut-être même aux bombardements des bases iraniennes. Tout cela est chapeauté par un président omnipotent qui se pose en arbitre, en quête d'une paix universelle. Cela ne va pas durer. Mais alors, sauf si tout était planifié dès le départ, pourquoi donc intervenir directement et publiquement contre l'Iran en cours de campagne ? Qu'est-ce qui explique le départ précipité de D. Trump, lundi 16 juin de la réunion du G7 à Kananaskis, au Canada ? Des obstacles que les Israéliens ne parvenaient pas à lever ? Une résistance iranienne imprévue ? Des pertes militaires gravissimes habilement dissimulées aux yeux des médias ? Les bombardements iraniens auraient-ils eu plus de succès que les images sévèrement filtrées ont montré ? Des médias annoncent que quatre avions F-35 israéliens (un fleuron de l'industrie aéronautique américaine, spécialement apprêtés pour Israël) auraient été abattus. En tous les cas, prétexte ou pas, cela a permis au président américain de fuir le collant V. Zelensky qui le suit à la trace depuis l'altercation du 28 février à la Maison Blanche... Les Israéliens (comme les Ukrainiens pour ce qui les concerne) cachent les vrais dégâts que leur font subir les missiles iraniens... se contentant de ne montrer à la TV que des destructions subies par des édifices civiles, passant sous silence la perméabilité d'un « bouclier » vanté comme impénétrable... 22 juin 2025, 1h50 (hre française). L'Amérique entre en scène. Les masques tombent. Il est hautement probable que c'est parce que les Israéliens, quels que soient leurs discours (variables et souvent contradictoires, mais c'est le jeu de la guerre), n'avaient pas atteint les objectifs fixés que l'Amérique est entrée en scène. Une intervention directe souhaitée par Netanyahu qui prétend par ailleurs qu'Israël n'a besoin de personne pour se défendre. Une dizaine de jours après qu'Israël ait déclenché une campagne de bombardements, une « guerre préventive » contre un Iran soupçonné de mettre au point un armement nucléaire, sept bombardiers B-2 Spirit (venus directement du Missouri, Etats-Unis, sur un trajet transatlantique, après 37h de vol) ont largué des bombes5, seules capables de pénétrer profondément dans le sol pour atteindre les bases où les Iraniens étaient réputés cacher leurs usines et laboratoires de recherche atomique. Le New-York Times du jour résume cette opération en quelques chiffres : - 6 Bombardiers B2 ont lâché : - 12 bombes sur Fordo et - 2 bombes sur Natanz. - 30 missiles de croisières TLAM sur Natanz et Ispahan, lancées par des sous-marins. De la Maison Blanche, Donald Trump exulte : « Il y a quelques instants, l'armée américaine a mené des frappes chirurgicales massives contre les trois principales installations nucléaires du régime iranien : Fordo, Natanz et Ispahan [qui] ont servi à construire cette entreprise terriblement destructrice. Notre objectif était de détruire la capacité d'enrichissement nucléaire de l'Iran et de mettre fin à la menace nucléaire que représente le premier Etat au monde qui soutient le terrorisme. « Les installations essentielles d'enrichissement nucléaire de l'Iran ont été intégralement et totalement détruites. L'Iran, le caïd du Moyen-Orient, doit maintenant faire la paix », se félicite-t-il, sinon, ajoute-t-il menaçant, « les prochaines attaques seront bien plus importantes ». Lorsque le président américain invite l'Iran à des négociations de paix, il veut dire par là que l'Iran doit déclarer sa reddition totale, non seulement abandonner toute idée de maîtrise de l'énergie nucléaire, mais se résoudre à un changement complet de régime pour en adopter un autre dicté par ses vainqueurs (cf. plus haut).6 Les bombes ont peut-être détruit des bases, mais, comme disent les Iraniens, elles ont fait « exploser la diplomatie ». Négocier, oui, mais pas avec un fusil dans le dos. A l'exception du Royaume-Uni, fidèle sujet de son « allié » américain, aligné comme il se doit sur Washington, l'Europe est aux abonnés absents ou bien perdus dans les commentaires généraux sans portée et sans intérêt politique pratique. Le Premier ministre israélien a immédiatement félicité D. Trump dans un message vidéo. Question (purement formelle) : Qui a autorisé les Etats-Unis à intervenir militairement contre un autre membre de la communauté internationale sans mandat formel du conseil de sécurité ? Cela fait évidemment penser à l'intervention américaine en mars 2003 en Irak, mais aussi à de nombreuses autres un peu partout dans le monde, depuis 1945. Pour ce qui fut de l'Irak, l'absence de la moindre menace avérée sur la sécurité des Etats-Unis a contraint Washington à inventer et à manipuler des informations, des hommes et des preuves pour le laisser croire, sans parvenir à convaincre les Nations Unies qui ont refusé de valider son intervention militaire au Proche-Orient.7 Dans le cas de l'Iran, non seulement D. Trump a ignoré les Nations-Unies, mais il n'a même pas consulté le Congrès de son propre pays, passage obligé avant toute déclaration de guerre à l'étranger. Depuis, les Républicains prolifèrent en Amérique. Mais qui parle de « République des Etats-Unis » d'Amérique ? On peut douter qu'il y ait une démocratie.8 Lundi 23 juin l'Iran apporte une réponse militaire politiquement symétrique aux bombardements américains qui ne manque pas d'habileté. Des missiles en nombre identique au nombre de bombes américaines larguées sur les sites nucléaires iraniens ont été envoyés sur deux bases militaires américaines en Irak et au Qatar. Avec cette différence que Américains, Irakiens et Qataris en ont été exactement prévenus. Résultats. Les autorités iraniennes ont sauvé la face auprès de leur population. La réplique a été assurée, aussi singulière a-t-elle été. Mais la procédure n'est pas rhétorique, « chorégraphique » comme l'on laissé entendre les médias. En procédant ainsi, Téhéran s'est prémuni -autant qu'il pouvait- contre une réplique à la réplique. L'Iran n'a pas les moyens de faire face à un conflit armé généralisé avec les Etats-Unis. Néanmoins, il s'agit là d'un avertissement similaire à celui qui avait été transmis aux israéliens (« Promesse honnête ») dans la nuit du 13 au 14 avril 2024 en réponse au bombardement de son consulat à Damas par Israël le 1I³ avril, qui avait causé la mort du général de brigade Mohammad Reza Zahedi. La réplique iranienne a aussi un autre but, plus important, le cessez-le-feu du mardi 24 juin 2025 semble le prouver : éviter qu'Israël puisse encore instrumentaliser Washington pour impliquer davantage les Américains dans le conflit. Il est étrange de constater combien Israéliens et Ukrainiens courent derrière le même objectif : convaincre l'Amérique de prendre leur cause à leur compte, comme le font les Européens (contre leurs intérêts) qui crient depuis février 2022, « les Ukrainiens se battent pour nous ». D. Trump semble avoir reçu le message des Iraniens et les a remerciés pour les avoir avertis de l'opération. Les bombardements iraniens n'ont fait ni victimes ni dégâts. Israël pourra toujours compter sur Washington pour son assistance militaire et diplomatique. Pas davantage ? Personne ne sait ce qu'il en sera de la suite des événements. Il est clair cependant que le bellicisme israélien ne semble pas distinguer que les succès militaires (très relatifs) débouchent souvent sur de très cuisantes déroutes politiques. C'est sans doute pour l'éviter que Netanyahu se lance dans une guerre perpétuelle avec un « risque existentiel » pour sa cause et celle de tous ceux qui le soutiennent. L'« ambigüité stratégique » D. Trump serait alors factice et il passerait pour tel un va-t-en-guerre, davantage imbu de puissance militaire infantile que par la moindre sagesse ou intelligence politique, un simple instrument entre les mains des Israéliens les plus radicaux, les plus résolus à mettre le feu à la région. Il tombe sous le sens que tout cela relève du « récit », du « narratif » médiatique occidental. (9) En 333 avant J.-C. le Macédonien Alexandre a réussi à vaincre la Perse de Darius et de ses satrapes. Les Iraniens ne sont ni Zoroastriens, ni tous très fidèlement chiites. En revanche, les Occidentaux, très imbus de leurs mythes et très convaincus, comme la plupart des Américains que rien d'important n'existe en dehors de ce que closent leurs frontières, ignorent que les Iraniens forment un peuple cultivé respectueux de tous les dieux qui ont précédé celui d'Abraham et demeurent très attachés à leur histoire y compris celle d'avant l'islam. Le tombeau de Darius se dresse dans le Fars, non loin de Shiraz et de Persépolis (Takht-e Jamshid) à Nécropolis (Naqsh-e Rustam). Tous les jours, une foule de visiteurs iraniens se pressent pour honorer ce souverain antéislamique. Les Iraniens ont de la mémoire et ne se laisseront plus faire. Il est peu probable que les Américains et les Israéliens rééditent la performance d'Alexandre. Est-ce à cette résilience que l'on doit les réactions bourrues et cavalières de D. Trump ? Vers la prolifération... ? Le paysage est dévasté mais infiniment plus clair et aussi plus dangereux. L'Iran, a toujours démenti vouloir se doter de l'arme atomique, c'est dans ce sens qu'elle a signé le TNP. Mais elle a défendu son droit à un programme nucléaire civil (disposant d'un enrichissement national) et refusé que quiconque lui interdise de se défendre en se dotant d'une panoplie de missiles à même d'assurer sa défense. Personne ne sait de quoi l'avenir sera fait. Toutefois, un certain nombre de conclusions provisoires peuvent être tirées. 1.- Convaincus qu'il est assurément le seul à garantir leur sécurité, plus rien ne pourra désormais dissuader les Iraniens de se doter ouvertement, publiquement de l'armement atomique. Des informations selon lesquelles « la majeure partie de l'uranium hautement enrichi du site de Fordo avait été déplacée avant l'attaque américaine » sont répétées en boucle. Par ailleurs, sur Telegram, une chaîne affiliée aux gardiens de la révolution a également affirmé que « des images satellites montrent que l'Iran avait évacué tout le site de Fordo », deux jours avant l'attaque américaine. Pour les Israéliens, cela ne semble rien changer. Ils affirment que tous leurs objectifs ont été atteints. Ce pourquoi ils consentent au cessez-le-feu déclaré par D. Trump, sonnant la fin des hostilités. Interrogé sur la possibilité que l'uranium enrichi ait été retiré du site avant le raid aérien américain, le général de brigade Effie Defrin, porte-parole de l'armée israélienne, a répondu : « Nous vérifions constamment la situation. Il est trop tôt pour se prononcer. » Il a également assuré que la campagne israélienne contre l'Iran se poursuivait, Israël ayant, selon lui, « d'autres objectifs » à atteindre dans ce pays. (Le Monde, D. 22/06/2025) « D'autres objectifs » ?... 2.- Quelle que soit la suite des événements, contrairement aux espoirs occidentaux, cette agression militaire va resserrer les rangs des Iraniens autour de leur pouvoir, religieux ou non, peu importe. Elle va aussi achever, après la crise ukrainienne, de grossir les rangs des pays du sud autour d'eux et accroître leur animosité à l'égard des Européens et des nord-américains. 3.- Aucune puissance militaire ne peut se substituer à une intelligence politique soucieuse de sécurité collective et de prospérité partagée. L'Iran est sous embargo depuis 1979. Et pourtant, comme Cuba ou la Corée du nord, la Biélorussie, la Russie..., l'Iran est toujours là. La « bombe », dès 1945 et après le début des années 1950, ne devait être tolérée que dans un monde en voie de dénucléarisation progressive et général, tel que le prévoyait le TNP. Depuis la fin apparente de la guerre est-ouest, elle est devenue un instrument asymétrique de coercition. Les apprentis-sorciers américains et les israéliens, par-delà le cas iranien, viennent de faire la démonstration universelle, non de leur force, mais de ce que la non-prolifération nucléaire qu'ils prêchaient jusqu'alors (à supposer qu'il y avait assez de naïfs pour les croire) n'avait rien à voir avec la paix, mais avait un seul but : empêcher quiconque de posséder cet armement dans le but de s'en réserver l'usage exclusif. « Le savoir-faire nucléaire iranien ne sera pas détruit par les bombardements. Nous continuerons à le défendre. Nous empêcherons les ennemis d'atteindre leurs objectifs », a promis, dimanche, le ministre des affaires étrangères iranien, Abbas Araghtchi. « L'industrie nucléaire a des racines dans notre pays, et cette industrie nationale ne disparaîtra pas », a, quant à lui, assuré Behrouz Kamalvand, porte-parole de l'Organisation iranienne de l'énergique atomique, selon l'agence de presse ISNA. (Le Monde, D. 22/06/2025) Les pays qui possèdent l'arme atomique peuvent impunément déclencher des conflits conventionnels à l'abri de leurs arsenaux. Pour Israël, c'est doublement protecteur. Non seulement ce pays est (clandestinement) « doté », même si c'est un secret de Polichinelle. Il bénéficie en outre de la protection de l'Amérique elle-même largement et impunément « dotée ». Le 80ème anniversaire de Hiroshima, cette année, est là pour le rappeler. « Pax hebraica » : rapport coûts-bénéfices et plan de financement. Les Israéliens privilégient les campagnes courtes. Les « guerres de six jours ». La raison est simple : une guerre use et coûte. Depuis déjà près de deux ans, toute la population est mobilisée à Ghaza. Le premier ministre ouvre alors un nouveau front avec l'Iran, à la fois pour achever de détruite l'axe Téhéran-Damas-Beyrouth et pour, à l'abri des regards, « régler » la question palestinienne. Un coup à l'extérieur, un coup à l'intérieur. La campagne devait être courte. Or, elle a duré... Les missiles iraniens pleuvaient sur Israël et obligeaient ses habitants à se terrer. Les manifestants à Téhéran n'exigent pas la chute de leur régime mais au contraire soutiennent leurs dirigeants. Les Israéliens ont applaudi le 13 juin lorsque Netanyahu a ordonné des raids aériens sur l'Iran. Ils ont aussi applaudi le 22 juin lorsque D. Trump a bombardé les sites nucléaires iraniens. Le nucléaire iranien semble avoir été réduit à néant. Le régime iranien est toujours là mais très fortement affaibli. Bien sûr, cela peut changer dans une semaine, ou un mois, ou... Israël ne pouvait consentir à une très ruineuse guerre d'usure ? Ruineuse psychologiquement, économiquement et politiquement. Combien les Israéliens pouvaient-ils supporter de vivre dans des parkings souterrains ? Combien temps les Israéliens vivraient-ils avec une économie à l'arrêt ? Les obus, les missiles, les avions... sont pour l'essentiel américains. Des munitions destinées à l'Ukraine (V. Zelensky en pleure de rage) ont été détournées vers Israël. Tout cela coûte. Mais qui paie ? L'Europe des funambules Alors qu'Israël lançait ses bombardiers dans le ciel iranien : « Nous ne pouvons pas vivre dans un monde où l'Iran posséderait la bombe atomique, car c'est une menace existentielle et une menace pour notre sécurité à tous », déclarait E. Macron lors d'une conférence de presse sur la situation au Proche et Moyen-Orient, surfant sur l'écume des événements. Il poursuit : L'Iran « porte une lourde responsabilité dans la déstabilisation de toute la région ». « Si Israël devait être attaqué dans le cadre de représailles par l'Iran, la France (...) participerait aux opérations de protection et de défense. J'ai marqué notre disponibilité en ce sens. » (Reuters, V. 13/06/2025) Pourquoi donc le président français s'expose-t-il si imprudemment ? E. Macron est de son monde. En vérité, il n'est en faveur ni d'Israël ni de la Palestine. C'est un pragmatique sans inclination idéologique, sans parti-pris. Son équation est peuplée de variables. Avec une seule constante. Seul, lui importe le pouvoir et sa conservation le plus longtemps possible. Demain, il voterait communiste, islamiste ou bouddhiste si cela lui garantissait une éternité à l'Elysée. Il navigue à vue de lorgnette selon la direction et la force du vent. Naguère, E. Faure (un autre Faure...) avait paré les girouettes d'une noblesse dans une rhétorique que les gouvernants d'aujourd'hui, complètement formatés par le globish, ne peuvent plus entendre ni apprécier. Surfant sur les malheurs des Ghazaouis et sur la compassion d'un nombre croissant de Français, E. Macron avait cru intelligent de vilipender Israël, dans un langage qui lui fut très vertement reproché. Lundi 9 juin. « Le blocus israélien de Ghaza est un scandale et une honte ! » s'est indigné le président français en se réveillant deux ans après. Personne ne l'avait informé que seul un sioniste avait le droit de critiquer Israël ? Il y a longtemps, un expert aujourd'hui assagi, converti en toute résipiscence l'a expérimenté à son détriment et chèrement payé.10 15 juin. « Le programme nucléaire iranien est une menace existentielle pour la sécurité d'Israël mais au-delà pour la sécurité européenne », assure le ministre français de l'Europe et des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot. Vendredi 20 juin. Dans les salons feutrés de l'Hôtel Intercontinental de Genève, réduite à un « E3 » (Anglais, Allemands et Français), l'Europe s'est réunie à Genève avec le ministre iranien des affaires étrangères, accompagnés de l'inconsistante Kaja Kallas, la haute représentante de l'Union européenne, pour convenir d'une sortie pacifique de la crise. Le lendemain, D. Trump déclare que ce genre de réunion n'a aucune importance, signifiant ainsi l'insignifiance de l'Europe. Et il le démontre en bombardant l'Iran sans en informer ses « alliés ». Donald Trump a estimé que les Européens ne seront pas utiles pour résoudre la guerre entre l'Iran et Israël, après une rencontre à Genève entre ministres des affaires étrangères européens et iranien. « L'Iran ne veut pas parler à l'Europe. Il veut nous parler à nous. L'Europe ne va pas pouvoir aider sur ce sujet », a déclaré le président américain à son arrivée à Morristown, dans le New Jersey. (Le Monde, V. 20 juin 2025) Les Européens n'ont pas été prévenus par les Israéliens du déclenchement de la guerre le 13 juin. Ils ne le seront pas davantage le 22 juin alors que les B-2 américains lâchaient leurs bombes sur l'Iran. Impréparés à ce genre d'éventualité, les membre du E3 ne parvenaient pas le lendemain, à pondre et diffuser une déclaration commune. L'Europe des bavards navigue à vue dans un océan démonté, sans cap ni boussole. Tandis que Macron tentait de joindre le président iranien pour l'inviter à la modération, le chancelier allemand et son ministre des Affaires Etrangères se pâmaient d'admiration pour l'Amérique, là non plus sans concertation avec les Français et les Britanniques qui, vite, ont pris leurs distances. - « Le chancelier [allemand] Friedrich Merz a réitéré son appel à l'Iran pour qu'il entame immédiatement des négociations avec les Etats-Unis et Israël afin de parvenir à une solution diplomatique au conflit ». - Le ministre allemand de la défense, Boris Pistorius : « Ce qui est déterminant à mon avis, c'est qu'une menace importante a été éliminée, et je ne peux que le répéter, c'est une bonne nouvelle pour le Moyen et le Proche-Orient, mais aussi pour l'Europe ». (Le Monde, D. 22 juin 2025). En marge du Sommet du G7, Friedrich Merz : « C'est le sale boulot qu'Israël fait pour nous tous ». Ce mot très imprudent dans la bouche d'un chancelier allemand ne sera sûrement pas oublié, ni par les Iraniens, ni par tous ceux qui endurent le « sale boulot » qu'il fait faire par d'autres. Qui imaginerait ces hommes d'Etat reçus en grande pompe à Téhéran demain pour y négocier le sort du monde et les intérêts de leurs pays ? Dans ces circonstances, pourquoi l'Iran perdrait-il son temps à négocier avec des seconds couteaux incapables de gouverner leurs destins ? C'était le cas depuis avant le début de la crise ukrainienne et cela s'est poursuivi après février 2022. En réalité, l'Europe est à genoux depuis 1945. La nouveauté, c'est le ralliement progressif des pays européens, les uns après les autres à la que-leu-leu derrière les « libérateurs » américains. La France sarkozienne a rendu les armes en 2007. Les autres ont suivi, massivement après l'entrée des troupes russes en Ukraine, avec l'adhésion à Union comme antichambre de l'OTAN. L'Union Européenne apparaît pour ce qu'elle est, pour ce qu'elle n'a jamais cessé d'être depuis la crise de Suez (1956) : une collection de bavards stériles, une escroquerie géopolitique qui abuse les citoyens européens et un instrument entre les mains de transnationales guidées par leurs seuls profits, dominée à partir de centres de décisions étrangers aux intérêts de l'Europe. L'Ukraine, un « allié » encombrant de second rang Kiev applaudit. « L'Ukraine suit avec inquiétude l'évolution de la situation au Moyen-Orient suite aux frappes israéliennes contre des cibles en Iran cette nuit. Nous tenons à rappeler que le régime iranien soutient la Russie dans sa guerre d'agression illégale contre l'Ukraine et fournit à Moscou des armes pour tuer des Ukrainiens. L'Iran est à l'origine de nombreux problèmes au Moyen-Orient et au-delà », écrit le ministère des affaires étrangères ukrainien dans un communiqué. (Le Monde, V. 13 juin 2025) Avec une pointe d'inquiétude : Le président ukrainien espérait (en vain) que la série de frappes menées par Israël et l'Iran l'un contre l'autre n'aboutira pas à une diminution de l'aide occidentale à l'Ukraine pour faire face à l'invasion russe. « Nous aimerions que l'aide à l'Ukraine ne diminue pas pour cette raison. La dernière fois, cela a été un facteur qui a ralenti l'aide à l'Ukraine ». (Le Monde, S. 14 juin 2025) Lors d'une émission de Fox News couvrant le défilé militaire de Donald Trump, samedi, le secrétaire à la défense américain Pete Hegseth a admis que le Pentagone avait détourné des systèmes de défense aérienne destinés à l'Ukraine pour les déployer en Israël, expliquant que cela était nécessaire pour assurer la sécurité des citoyens et des actifs américains sur place. Au début de juin, l'administration Trump a décidé de rediriger vers Israël des éléments du système antidrones (APKWS, pour Advanced Precision Kill Weapon System, pour « système d'arme de précision avancé ») dans le cadre de l'initiative d'assistance à la sécurité de l'Ukraine de 3,85 Md$, décidée par l'administration Biden, rapportait le Wall Street Journal. (Le Monde, L. 16 juin 2025) A supposer pertinente la condamnation adressée à la Russie d'avoir violé le droit international en « envahissant » son voisin, est-il acceptable que ceux-là même qui critiquent la Russie approuvent l'attaque d'un pays souverain par les Etats-Unis et Israël, coupable par ailleurs d'agresser ses voisins et de martyriser un peuple désarmé « menacé de génocide » ? Qui se préoccupe des ogives israéliennes clandestines (et ne s'en cache pas, précisément pour dissuader) sans que personne ne contraint Israël aux règles du TNP ? Comment défendre la vertu et le droit tout en s'appliquant méthodiquement à les violer ? Correction de stratégie américaine en Europe. Washington réussit peu ou prou à obtenir des Européens une augmentation substantielle de leurs budgets de la défense (ils visent désormais les 5% réclamés par D. Trump à l'horizon 2030-35) alors même que les économies européennes ont le plus grand mal à boucler leurs budgets, à contrôler leurs déficits et leurs endettements. Certains sont en plus grande difficulté que d'autres, ce qui créé des tensions entre eux au sein de l'Union. Mais aussi des tensions politiques intérieures sous le regard inquiet des marchés et des agences de notation. Pour les amener à augmenter leurs dépenses, Washington a fait croire que cela allait profiter aux industries européennes. Cependant, les Américains n'ont jamais renoncé à l'idée que cette hausse des dépenses profite aux industriels américains, même s'il faut laisser quelques chutes de table aux industriels européens. Pour cela, ils proposent de produire en Europe en partenariat avec les industriels du continent. Lockheed va coproduire des roquettes en Pologne (un des plus gros clients des industriels américains), RTX (Raytheon) fabrique ses « Patriots » avec MBDA en Allemagne, la Start-up Anduril s'associe à Rheinmetall pour développer des drones... Au total, au lieu venir faire leur marché aux Etats-Unis, les Européens vont pouvoir les acheter chez eux aux industriels américains qui les fabriquent et les vendent en Europe en collaboration avec des entreprises de l'Union, ce qui bride leurs capacités à produire leurs propres armes de manière autonome, hors du contrôle de l'Oncle Sam. En investissant dans tel pays plutôt que dans un autre, ils excitent les rivalités européennes en faisant jouer une concurrence qui les oppose au lieu de les rapprocher. Cela réduira le travail en Amérique mais le marché n'en sera que plus verrouillé aux bénéfices des firmes américaines. La guerre comme mode de résolution des problèmes politiques est le signe d'un échec. La violence légitime est un fusil à un coup. Son principal intérêt pour celui qui en dispose est de n'en user qu'avec une extrême parcimonie. La puissance d'un empire est plus facile à accepter lorsqu'il n'a pas besoin de recourir à la force pour se faire respecter. Son abus ne rassure pas les citoyens et mine les fondements des empires. « Soft power »: American way of life. Jamais l'Amérique n'est aussi forte et puissante que lorsqu'elle est séduisante. Un empire n'est jamais aussi puissant que lorsqu'il impose son ordre politique dans la paix. Le recours à la guerre démontre son incapacité à légitimer sa domination sur le monde et d'abord sur le monde occidental, en tant que « patron du monde libre ». Chaque bombe lancée érode le crédit politique de celui qui la largue. Après s'être longtemps investi en pâtre bienveillant, candidat à un Nobel de la paix, D. Trump s'était décidé à rejoindre son ami Netanyahu dans la guerre. La machine de guerre américaine a alors révélé son incapacité à pacifier le monde sans recourir à la force militaire. N'est-ce pas griller là une cartouche précieuse dès le début du mandat du candidat ? Par-delà l'Iran, quels sont les vrais buts de guerre ? Que l'Amérique soutienne Israël cela n'a rien de surprenant. Israël n'est après tout rien d'autre qu'une colonie américaine, un fortin enkysté dans une région en garantie des intérêts de l'Oncle Sam et d'une oligarchie transnationale. Les Israéliens abusent souvent de leur position, mais il est un fait qu'ils sont là pour la défense des intérêts américains : routes commerciales (notamment entre la Chine et l'Europe), champs d'hydrocarbures (qui irriguent toute la planète), contrôle de la jonction de trois continents, des mers et océans euro-asiatiques...). La plupart des Israéliens ont la double nationalité. C'est le cas de leur premier ministre qui a été formé et a longtemps travaillé aux Etats-Unis, avant même d'entamer une carrière politique. Cela n'a rien à voir des évangéliques intégristes plus proches de l'Ancien que du Nouveau Testament. Cela a tout à voir avec des intérêts sonnants et trébuchants. Tout le reste, c'est de la littérature pour embobiner les benêts, les téléspectateurs qui s'ennuient et les esprits chagrins qui vivent de querelles identitaires Stratégique dépolymérisation géopolitique Objectif local. Il fallait casser l'axe Téhéran-Damas-Hezbollah, les « proxy » de l'Iran (pour user de la néo-lexicologie -novlangue- des médias occidentaux). Méthodiquement, dans l'ordre sont gravement affaiblis pour être éliminés : 1.- Le régime de B. El Assad, chassant ainsi la Russie de Méditerranée. L. Fabius et F. Hollande, humiliés par B. Obama en 2013, pourront alors rétrospectivement s'en féliciter. 2.- Hezbollah du sud-Liban avec la volonté de l'expulser de la vie politique libanaise. 3.- Hamas à Ghaza, après l'avoir utilisé contre l'Autorité palestinienne. 4.- Le « mythe » palestinien et de la solution à deux Etats. L'étape suivante sera de faire avaler ces solutions au reste des « Arabes », une couleuvre acceptable pourquoi pas au nom d'Abraham ? Il faut, quoi qu'il en coûte, éviter leur déstabilisation politique et sociale. C'est pourquoi des pays sont portés à bout de bras comme l'Egypte, la Jordanie, le Maroc... en mobilisant les capitaux arabes Le néant politique arabe. Incapables de produire une valeur ajoutée commercialement négociable, la plupart des pays arabes sont en déficit : économique, technologique, culturel... Les plus pauvres s'endettent et se placent sous les fourchent caudines des fonds occidentaux. Les plus « riches » confient leurs royalties aux agioteurs occidentaux qui font fortune en spéculant avec sur les marchés financiers. Mais le principal et le plus cruel déficit est d'abord politique. En effet, un ordre politique est d'abord une machine à produire du sens. Un pays n'existe que si ceux qui le dirigent portent un discours cohérent et mobilisateur qu'il partage avec leurs concitoyens et avec le monde. Aujourd'hui, les dirigeants arabes, des rives de l'Atlantique à celles de l'Océan Indien, sont aux abonnés absents. Ils regardent se faire et se défaire le monde, leur monde, sans eux comme s'ils n'étaient pas concernés. Tant que la « rue arabe » est docile... Leur incompétence s'ajoute à leur veulerie. L'ère des géants n'est plus. Il n'y a plus de Nasser, plus de Boumediene, plus de Nehru, de Sukarno, même plus du mielleux Bourguiba ou de l'excentrique Kadhafi. Pas un chef d'Etat arabe n'a pris la parole pour expliquer à ses concitoyens l'état du monde et des événements qui le secouent et qui les inquiètent. Il est heureux que le sort des nations ne dépende pas de leurs dirigeants, eux aussi cotés à l'argus, négociés sur le second marché, comme jadis au marché des domestiques. Voilà la plus grande défaite dont janvier 1492 a ponctué symboliquement le commencement dont on a vu les conséquences géopolitiques bien plus tard, la Question d'Orient et la fin de l'obsolète empire ottoman en 1923. La réunion en faveur de la Palestine à New York, prévue dimanche 15 juin, a été annulée. La tragédie à Ghaza et en Cisjordanie continue. Qui s'en préoccupe ? Objectif global. Les principaux adversaires de l'Amérique, de l'Europe et surtout de leurs machines transnationales de lus en plus submergées sont la Russie et la Chine, chacun pour ce qui le concerne. Elles ont réussi à s'entourer d'un nombre croissant de pays du « Sud global » et se donnent des marges de manœuvre qui menacent l'hégémonie occidentale. Si cette menace était seulement militaire ou idéologique, comme avant 1990, c'était gérable. Aujourd'hui, elle est multidimensionnelle. Deux aspects à considérer ici en rapport avec la crise iranienne. 1.- La puissance chinoise est incontournable. Exemple. Il a été abondamment question du blocage du détroit d'Ormuz éventuellement utilisé par l'Iran. De ce blocage, il n'a jamais été question. Le détroit d'Ormuz (55 km de large au passage le plus étroit), assure le passage de 20% du pétrole mondial et un quart des échanges de gaz naturel liquéfié (GNL) selon l'EIA (Agence d'information sur l'énergie). L'essentiel des flux qui transitent par ce détroit vient de 5 des 10 plus gros producteurs mondiaux (Arabie Saoudite, Iran, Irak, Émirats Arabes Unis et Koweït) et alimente la consommation des pays asiatiques en énergie, moins de 10% vers les Etats-Unis.11 Cependant, les marchés ont de la mémoire et ne suivent pas toujours les réflexes alarmistes amplifiés par des médias en quête de « jours d'après ». Discrètement, la Chine a signifié à tous les belligérants qu'aucun équipement pétrolier iranien ne soit affecté par le conflit. Il n'était en effet ni dans l'intérêt de Téhéran, ni dans celui de Pékin (pas davantage dans l'intérêt des autres exportateurs d'hydrocarbures) que ce détroit soit mêlé au conflit. Israël s'y est tenu sagement. Il ne faut oublier par ailleurs que les flux commerciaux entre la Chine et l'Europe (en attendant qu'un autre parcours soit envisagé, et il l'est) passent par l'Océan Indien, la mer Rouge et les différents détroits asiatiques et Proche-Orientaux. Personne ne devrait les menacer. Même les Yéménites qui avaient un temps prévu d'intervenir s'en sont abstenus. 2.- La Russie est à la fois un obstacle à la menace otanienne qui avance irrésistiblement vers ses frontières depuis 1990 et aussi un attrait tentant en raison de ses ressources naturelles perdues après les années 2010. En réalité, la menace principale (D. Trump l'avait identifiée et dénoncée lors de son premier mandat) est européenne à travers les complémentarités économiques et commerciales entre l'Europe, la Russie et la Chine. Il fallait donc impérativement casser l'axe Berlin-Moscou-Pékin. Ce fut un succès total, techniquement et politiquement. A ajouter à la chute du régime de B. El Assad, à la fragilisation de Hezbollah et de Hamas. Techniquement, les gazoducs Nordstream 1 et 2 ont été mis hors d'usage. Désormais, les Européens achètent américain, de l'énergie plus chère et plus polluante. Politiquement, il faudra remercier pour cela les écologistes allemands et surtout son ministre des affaires étrangères, Annalena Baerbock, qui a mis à mal l'industrie de son pays. L'inconsistant O. Scholz a fait ce qu'il fallait pour que l'Allemagne accouche d'un chancelier aussi fragile que le sont la plupart des gouvernements européens, en particulier de son voisin outre-Rhin dirigé par un trapéziste de haut vol. Il est un fait que la Russie est toujours debout et son régime aussi solide, même si le bilan de cette « opération spéciale » montrera qu'il lui aura coûté dans des proportions aujourd'hui inconnues. Chine et Russie taillent des croupières à leurs rivaux dans le monde en particulier en Afrique d'où les anciennes puissances coloniales se retirent dans le désordre. Le commerce sud-sud se développe. L'Amérique Latine commerce davantage avec la Chine qu'avec les Etats-Unis. Il est même question, considérant les nouvelles tarifications commerciales américaines que les produits non-achetés par les Etats-Unis (naturellement l'importation de certains produits chinois est incompressible matériaux critiques, informatiques...) le seront par l'Europe qui augmentera d'autant ses exportations vers les Etats-Unis. L'Iran est blessé mais toujours vaillant quel que soient son état réel. Le bilan de cette guerre n'est pas encore complètement dressé, mais il sera sans doute difficile sur tous les plans : politique, économique, social et technologique.12 La recherche des 400 kilos de matériel enrichi à 60% assure le spectacle sur les plateaux de télévision, mais l'essentiel est ailleurs. Les Iraniens ont accumulé un bénéfice irréversible : des connaissances et de l'expérience qui remplace toutes les centrifugeuses détruites et les kilos d'uranium cachés. A cela s'ajoute un bénéfice collectif précieux qui a mieux soudé les Iraniens les uns aux autres quels que soient les griefs reprochés au régime des mollahs. Le fils du Shah, confortablement installé en stand-by aux Etats-Unis, devra attendre encore un peu de temps nourri de beaucoup d'illusions avant d'espérer retourner à Téhéran gouverner au nom de sa dynastie. Notes 1- On sait que B. Netanyahu et B. Obama divergeaient sur de nombreux sujets, en particulier celui-là Ce ne fut pas sans conséquences. Lire. Abdelhak Benelhadj au Le Quotidien d'Oran : - « Hyperpuissance israélienne. B. Netanyahu à Washington, à Paris... comme chez lui. », 19 mars 2015. - « Trump dénonce unilatéralement le Traité signé avec l'Iran. L'impérialisme, stade suprême de l'illégalité. » 17 mai 2018. - « Pourquoi l'Amérique s'attaque à l'Iran ? » 16 mai 2019. 2- Son attitude à l'égard des bombardements de la centrale nucléaire de Zaporijjia (la plus importante d'Europe) sous contrôle russe en Ukraine, consiste en un louvoiement, des contorsions qui marquent un parti-pris incompatible avec les devoirs de son expertise. 3- Cf. une enquête éclairante sur la question. Pierre Péan (1982-91) : « Les deux bombes ou comment la guerre du Golfe a commencé le 18 novembre 1975. » Fayard, 199 p. 4- Lire. Amine Maalouf (1983) : Les croisades vues par les Arabes. Jean-Claude Lattès, 316 p. 5- La quincaillerie militaire excite beaucoup les esprits immatures qui défilent sur les plateaux de télévision qui s'imaginent que le sort du monde et la sécurité des nations tient à la sophistication des armes. Ces experts de salon distraient les téléspectateurs et les confirment dans une sécurité factice en laissant l'impression que les bombes ne seraient que des images et la guerre au fond n'est qu'un spectacle très proche de celui qu'ils connaissent dans leurs jeux vidéo. Le salon du Bourget est précisément conçu comme un espace récréatif ouvert au grand public. Des GBU-57 (Massive Ordnance Penetrator (MOP)' de 13,6 t.) 6 fois plus puissantes que les GBU-28, fabriquées par Boeing-Northrop Grumman (à plus de 20 millions de dollars pièce), les GBU 72 encore plus perforantes... quelle importance ? 6- Le président américain se comporte comme Mac Arthur en Asie et D. Eisenhower en Europe « libérée » en 1945, lorsque son pays rédigeait les Constitutions et triaient les membres des gouvernements des pays vaincus, du Japon, de l'Allemagne et de la plupart des pays européens. L'histoire venait de basculer définitivement d'une rive à l'autre de l'Atlantique. 7- Des sondages avaient révélé (sous intense désinformation), après l'Afghanistan, qu'une écrasante majorité d'Américains croyaient dur comme fer que les Irakiens étaient à l'origine de l'attaque contre les tours de Manhattan à New York. 8- R. Debray (1992) : « République ou démocratie ». Contre-temps, pp.15-54. Gallimard.182 p. 9- L'imam en Mahdi clôt l'ordre des hommes et ouvre celui du temps auquel est dédiée cette oraison. 10- Pour avoir publié en 2003 « Est-il permis de critiquer Israël » R. Laffont, 238 p.), Pascal Boniface a été exclu des hautes instances dirigeantes du Parti socialiste et a été contraint à la démission. 11- Téhéran est jusqu'ici parvenu à maintenir des exportations élevées en contournant les sanctions. Selon The Economist, le secteur des hydrocarbures aurait rapporté entre 35 et 50 Md$ au pays en 2023 (soit entre 8,7 et 12,3% de son PIB). 95% de ses exportations de pétrole sont destinés à la Chine d'après cet hebdomadaire. Certains pays ont déployé des investissements importants pour s'en prémunir comme l'Arabie Saoudite, qui a construit un réseau d'oléoducs reliant les champs pétroliers de l'est du pays à la mer Rouge (à l'ouest), d'où les hydrocarbures peuvent être exportés en cas de difficulté dans le golfe Persique. 12- Parmi les premières victimes, les Israéliens annoncent avoir étoffé leur tableau de chasse en comptant : Mohamed Bagheri, chef d'état-major des forces iraniennes. Général Hossein Salami, commandant en chef des gardiens de la révolution Gholam Ali Rashid, Haut commandant des gardiens de la révolution Fereydoun Abbassi, ancien directeur de l'organisation de l'énergie atomique Auxquels s'ajoutent de nombreux experts en technologies nucléaires. |
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