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Les USA conquièrent l'Europe

par M'hammedi Bouzina Med : Bruxelles

Quatre jours de visite en Europe ont permis au président américain, Barack Obama, de rallier, sous prétexte de la crise en Ukraine, les dirigeants européens à la doctrine américaine du libre-échange commercial sous un air de retour à la guerre froide.

Mission accomplie pour le président américain à Bruxelles, capitale de l'Union européenne. De mardi soir à mercredi soir, en 24h, Barack Obama a réussi à charmer les dirigeants européens qui ont dit «oui» à toutes ses offres politiques, militaires et diplomatiques ouvrant, en dernière instance, la voie pour un accord sur le Traité de libre-échange USA-UE (TTIP) que les Américains souhaitent (et veulent) depuis plus de 6 ans. La question ukrainienne a accéléré le rapprochement entre les deux partenaires. Evoquant le droit international, l'histoire commune, la liberté des peuples, l'intangibilité des frontières des nations et pays, bref, l'acquis de la civilisation occidentale, Barack Obama n'a eu aucune difficulté à rallier les Européens au projet américain d'un vaste marché transatlantique de libre-échange. Certes, il n'a pas mis en évidence, directement, le projet commercial excepté l'offre américaine en gaz de schiste pour parer à l'éventuel chantage des Russes en matière de gaz, mais il a insisté sur le destin commun des peuples des deux partenaires. Du coup, et pour protéger ce destin commun de tous les dangers futurs, l'initiative pour renforcer la défense européenne est remise au goût du jour : consolider (réarmer ?) les modules de défense (missiles de longue portée et antimissile) aux frontières est de l'Europe. Autrement dit, réactiver et accélérer la mise en place du bouclier antimissile en Tchéquie et Pologne. Ce n'est que la suite de la rencontre qui eut lieu, le jour d'avant à La Haye (Pays-bas), consacrée à l'examen de la stratégie de défense nucléaire dans le monde, entendez vis-à-vis des ambitions russes. Nous y voilà de retour à l'ère de la «guerre froide». Et pour illustrer cette bipolarisation entre la Russie et l'Occident, quelques décisions symboliques fortes : exclusion de la Russie du «G8»; tenue du prochain, désormais «G7», à Bruxelles en juin prochain; suspension de quelques accords cadres de coopération militaire avec la Russie et, bien sûr, suspension du Conseil de partenariat Otan-Russie (COR). Cependant, ces «retrouvailles» euro-américaines ne sauraient être totales sans un marché de libre-échange commun. Le groupe de travail (commission mixte Europe-USA) est réactivé pour aboutir à la signature de cet accord avant la fin de cette année. D'aucuns verront dans ce projet une logique de complémentarité entre les deux partenaires. Sauf que ce projet d'Accord n'est rien d'autre que la copie de l'ex-projet «ACTA» (Accord commercial transatlantique), rejeté à une écrasante majorité par le Parlement européen en juillet 2012. Et pour cause, au-delà de la suppression des droits de douanes qu'il propose, ACTA remet en cause tout le cadre législatif commercial en Europe : droit de propriété; réserves sanitaires sur certains produits à large consommation; liberté de culture et de vente de produits transgéniques; déréglementation du droit du travail; exclusion des partenaires sociaux, etc. En fait, tout l'acquis social et démocratique de l'Europe. Ce sont de tels enjeux stratégiques pour les Occidentaux qui se profilent derrière «l'affrontement» avec les Russes en Ukraine. En véritable «VRP», Barack Obama a su vendre le modèle américain aux Européens : le libre-échangisme commercial, la conquête du leadership du marché mondial sans regard pour les conséquences sociales et politiques sur le reste du monde, notamment les pays pauvres et faibles. Rappelons que les pays émergents (Inde, Chine, Brésil, Russie) n'ont pas été associés au projet commercial transatlantique, alors que ces pays négocient les termes du commerce mondial au sein de l'OMC. Précisément, parce que le Traité de libre-échange transatlantique se veut être comme une association libre de toute contrainte législative contraignante (normes environnementales, santé publique, chômage de masse, etc.). Pourtant, jeudi, le président américain a rendu visite au pape François à Rome, auquel il a déclaré épouser ses idées de solidarité, de partage et de protection des plus faibles dans ce monde. En quatre jours de visite en Europe, des Pays-Bas à l'Italie en passant par la Belgique, le président américain est passé de la démonstration de force (défense militaire) à l'empathie avec les plus faibles (chez le pape) via le libre-échange commercial en Belgique. Chapeau Monsieur le président !