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L'ELEPHANT DANS LA PIECE

par M. Saadoune

La Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont beaucoup fait pour la promotion du régime de Ben Ali défendant ainsi l'autoritarisme au nom de la «réussite économique». Cette Tunisie-là, d'avant la révolution et les «problèmes», était même devenue un modèle pour les cercles dirigeants algériens pour refuser la démocratie. Le «développement» prime sur la démocratie et les droits de l'homme, la rengaine était connue. Il n'a pas manqué des présidents européens pour aller à Tunis défendre cet autoritarisme présumé éclairé - et anti-islamiste - qui dispenserait les peuples arabes de démocratie.

Tout ce beau monde connaissait la réalité du système de prédation et s'en accommodait. Mais on a quand même poussé le bouchon chez le FMI et la Banque mondiale jusqu'à en faire un modèle à suivre? Comme si la règle du «ce qui est à toi est à moi» qui a été à la base de la gouvernance du clan Ben Ali était une perte bénigne compensée par la «réussite économique». Quand trois ans après la fuite de Ben Ali, des économistes de la Banque mondiale publient une étude intitulée «Tout dans la famille, capture d'Etat en Tunisie» montrant comment la législation a été mise en place pour fermer l'accès aux activités rentables aux Tunisiens pour les réserver au clan, on ne fait pas vraiment une découverte. Seuls l'aveuglement et la complaisance des Occidentaux et des institutions financières internationales - qui d'ailleurs sont très sévères avec les peuples - créaient une fausse respectabilité au régime.

Les Tunisiens ne l'ignoraient pas, les «satisfecit» de ces institutions - comme d'ailleurs les quitus qu'accordent des observateurs des élections réglées d'avance - étaient de faux témoignages. Car même la «réussite économique» qui justifiait ces arrangements avec les «valeurs» était fausse. Les experts de la Banque mondiale peuvent constater après coup - comme pour réécrire l'histoire ou s'en extirper - que sur 17 ans, il y a eu 25 décrets qui ont été promulgués pour encadrer l'activité économique et les investissements dans 28 secteurs. Et que cette législation a servi au clan Ben Ali à capter plus de 21% des bénéfices réalisés par le secteur privé. L'étude fait un croisement entre ces décrets et les bilans des 220 entreprises appartenant aux membres du clan de Ben Ali qui ont été recensées par la commission de confiscation créée après la fuite de Ben Ali.

La conclusion de ce croisement est que la législation ne servait pas l'économie de la Tunisie mais l'asservissait aux intérêts du clan qui était ainsi assuré d'un monopole et d'une protection «légale» contre la concurrence. Le vrai intérêt de cette étude est de souligner que le «capitalisme de copinage» qui était de mise sous Ben Ali peut se poursuivre sans lui. C'est l'un des enjeux majeurs pour une Tunisie qui n'a pas encore achevé sa transition. L'un des auteurs de l'étude souligne que si les «Tunisiens se sont débarrassés de l'ex-président Ben Ali et des pires aspects de la corruption, mais les politiques économiques restent largement intactes et sujettes à des abus. Le cadre de politiques publiques hérité de l'ère Ben Ali perpétue l'exclusion sociale et favorise la corruption». Et d'une manière générale, cela confirme que le discours qui donne la «primauté» au développement sur la démocratie n'a aucun sens.

SANS DEMOCRATIE, SANS INDEPENDANCE DE LA JUSTICE, SANS LIBERTE DE LA PRESSE, L'ETAT EST PRIVATISE. LES IDEOLOGIES DERRIERE LESQUELLES SE CACHE CETTE PRIVATISATION DE L'ETAT IMPORTENT PEU, SES EFFETS PROFONDEMENT NEFASTES SUR L'ECONOMIE SONT LES MEMES. LE MODELE BEN ALI N'A JAMAIS ETE AUSSI EXEMPLAIRE COMME LE FMI SE PLAISAIT A LE DIRE. DANS UN CABLE REVELE PAR WIKILEAKS, UN AMBASSADEUR AMERICAIN OBSERVAIT, EN 2008, QUE LA «CORRUPTION EST L'ELEPHANT DANS LA PIECE, C'EST LE PROBLEME QUE TOUT LE MONDE CONNAIT, MAIS QUE PERSONNE NE PEUT RECONNAITRE PUBLIQUEMENT».