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La dernière danse !

par Slemnia Bendaoud

Même la tronche partiellement coupée, le coq, tel un vrai Seigneur ou maitre-coq dans sa vie, pour un jour ou pour toujours, se relève de son cauchemar, espérant, après tout bien échapper à la mort et à son bourreau et tenace égorgeur.

S'époussetant son derrière, il se dresse un moment dans sa position immobile, bien solide, droite, roide, très raide, comme un soldat très distingué, très discipliné, les ailes comme les pattes le long du corps, au garde-à-vous !

Il tente quelques pas alentour, désespéré que sa tète pendante sur une seule épaule ne tienne vraiment le coup, pour rejoindre l'autre côté au moindre mouvement de son corps, devenu subitement lourd et très encombrant.

Il est hanté par son état déliquescent, absent et inconséquent quant à la position qui était naguère la sienne et qui l'aidait à bien surveiller tout son monde de près et du haut de ses ergots, tel un Roi balayant du regard son imposant royaume et l'étendue de son territoire.

Seulement, il reste confiant qu'il dispose encore de suffisamment d'énergie et qu'il demeure toujours le grand chef, le beau Seigneur, le majeur, le Roi incontesté et incontestable, même s'il a souvent été détesté et bien détestable, de tout son monde gouverné, par ailleurs, d'une main de maitre et dans une discipline de fer et de caserne.

Les seuls moments qui lui resteront, il veut les consacrer à son aura, à sa personne, à sa réputation de Roi, à son savoir-faire et savoir-vivre, à son charme et à sa condition de grand Seigneur veillant sur son monde et éveillant sa conscience au sujet de l'obéissance dont sa gouvernance la lui doit. Même dans son état second, malade ou agonisant?!

Avec beaucoup de peine, de courage et non moins de réussite dans ses gestes, il s'improvise artiste. Lui autrefois bien connu au travers de son art de communiquer du haut de son perchoir, il consent tout de même à descendre enfin de son piédestal et atterrir sur scène. Faire le spectacle saisissant, tenter le style burlesque, épater l'assistance et se donner la peine de faire le spectacle devant toute cette assistance restée bien médusée, sinon distraire tout ce monde accroché à ses basques.

Au bout de quelques pas nonchalants mais bien appuyés, il se donne carrément en spectacle, réalisant qu'il doit pour une fois faire le jeu, bien nu, sans ses fars et ses fanfares, ni paré de son trône et même habillé de sa couronne, au milieu de cette foule bigarrée qui l'applaudit toute, sans exception, pour une fois, sans la moindre abstention ou hypothétique et toute calculée réflexion.

A la patte de droite encore tourbillonnante et titubante, il lui colle et adjoint assez gauchement celle de gauche pour l'inviter à faire le même mouvement, tournant et retournant ses longues ailes afin de bien accompagner la rotation de son corps, parée de ces envolées et descentes de son beau plumage, réalisant que son ramage comptait pour beaucoup dans son attitude de condescendant, de grand souverain et d'éternel Grand Seigneur de son monde ici-bas.

Mais, à peine quelques tours de piste effleurés que c'est son physique qui ne tient plus le coup, le renvoyant K.O. au tapis, clôturant par là-même ce spectacle désolant mais très saisissant auquel nos yeux ne pouvaient jamais y croire un moment plus tôt.

Dans sa tourmente, cette tempête de danse osée et bien forcée, le Roi du poulailler, de la ferme et du village, tel un forcené, s'en est tout bonnement allé à jamais. Reste le cas de l'autre Roi : celui autoproclamé !

Les souverains arabes sont donc tous des Rois. Oui, des Rois ! La preuve : ils ont tous été bien « choisis » et surtout contre l'avis de tout leur monde, de force « désignés » comme tels pour occuper ces importantes fonctions : qui grâce au clan et à la famille, qui par le fait du prince, du fusil et de tout un arsenal d'artillerie !

Les uns dirigent encore d'une main de fer de vacillants royaumes, les autres de vraies-fausses républiques. Légalement donc, les premiers prétendent être d'authentiques Rois en l'absence pourtant d'un véritable royaume. Tandis que les seconds, déjà tout bonnement privés ?à juste titre d'ailleurs- du trône, s'emparent carrément et bien illégalement de tout un royaume.

Affranchis ou complètement démunis et totalement dépourvus du moindre trône et de toute obligatoire et bien dorée couronne, ces Rois arabes passent à présent leurs plus mauvais jours : ils tremblotent et complotent contre tout et contre tous!

Du jamais vu dans l'histoire de l'humanité ! Surtout du côté des arabes? !

Ils font donc énormément des concessions en faveur d'une rue qui gronde et abonde dans ses actions et revendications telle une bête immonde ! Et à mesure que le temps passe, celle-ci gagne énormément en espace et surtout en confiance, glanant par-ci de vrais galons et par-là une véritable maturité et une formidable expérience sur le plan politique et médiatique.

Ces Rois, dans leur majorité autoproclamés, sinon discrètement déclamés, éprouvent tous cette peur bleue d'effectuer leur dernière danse, laquelle marquera de son sceau la fin d'un règne : le leur, bien entendu ! Pour exprimer leur ultime salut à un monde qui aura été pendant tout leur règne ou dynastie mal gouverné, jamais considéré !

Ils savent cependant tous qu'ils seront, un jour ou l'autre, invités à faire ce tout nécessaire tour du propriétaire lequel les conduira à effectuer ce tour d'horizon obligatoire pour enfin atterrir à cet inévitable et inéluctable tour de piste où leur exhibition en public et show médiatique de choix les contraindront à passer aux autres leurs armes, avant de passer, bien entendu, eux-mêmes par ces mêmes armes, les larmes aux yeux.

Laborieusement donc ou avec un certain art et peu de dédain, de manière très habile et bien subtile, ils reviennent enfin sur terre, à la raison, au réel, à l'essentiel, à la chose utile quoi? ?

De gré ou de force, ils abandonnent à jamais leur doré et bien décoré uniforme et supposé trône pour faire leurs adieux en public et sans le moindre protocole, à la manière assez singulière de ce coq hardi qui s'en était tout à l'heure bien acquitté, du moins dans la forme, la tronche à moitié tranchée!

Ainsi donc, jeune coq ou plus ou moins vieux Roi passeront tous les deux par ce très sombre tunnel qui les mènera à gratifier le public, celui le leur d'autrefois, d'une toute dernière danse !

Ils marqueront à leur manière la fin de leur règne, de leur mandat, de leur vive royale et impériale!

Le volatile sera tout à l'heure sacrifié sur l'autel d'un repas festin, copieux et bien frugal auquel prendront part des convives qui se joindront à ce peuple bien connu de la maison. Tandis que la rue en folie s'occupera toute seule de l'autre Roi, celui bien déchu et complètement fichu.

Ainsi, le coq du village, remplacé illico presto par le réveille-matin, rentrera définitivement à l'intérieur de son poulailler et aux fins fonds de l'histoire de la tribu, au moment même où le Roi, l'autre Roi, n'aura même pas ce droit absolu de regagner son foyer !

Il quittera tout simplement son royaume pour celui de l'au-delà, si éventuellement la rue jugera qu'il aura été sa vie durant dans la peau d'un véritable Roi. Sinon, il ne vaudra pas plus qu'une modeste proie dévorée par ceux-là même considérées comme ses propres victimes d'autrefois !

Et plus personne donc ne montera plus jamais au créneau, claironnant du mieux qu'il le peut qu'il se propose d'être désormais le seul Roi. Un conseil de la tribu est bien nécessaire à tout cela et illico presto convoqué pour ces mêmes raisons.

Entre « royaume » et « califat », la question n'est toujours pas totalement tranchée pour déboucher sur cette toute recherchée république. Il faudra encore patienter? ( ?!).

Le cas syrien est très typique. Atypique même ! Expressif à plus d'un titre ! On y est bizarrement parti d'une supposée république pour se retrouver des années plus loin dans un royaume plutôt bien comique. Cela remet fondamentalement en cause toute l'éthique de la toute nécessaire république.

D'autres pays arabes, mus par l'expérience syrienne faisant alors son chemin, allaient lui emboiter le pas assez discrètement dans ce climat politique délétère et une atmosphère plutôt électrique?

C'était sans compter sur ce vaillant peuple qui avait pourtant réussi à bien chasser le colon d'autrefois, juste quelques décennies plus tôt.

Pour avoir omis de lancer à l'aube ses très jolis et longs cocoricos, le coq aura purement et très simplement été sacrifié par son maitre : le fermier, en l'occurrence !

Pour avoir longtemps provoqué ou dupé son peuple, le Roi n'est plus désormais le Roi ! Déchu et bien fichu, il quittera tout à l'heure la scène sur une civière, la tète dénudée de son trône et le corps bien nu, comme à l'instant de sa venue au monde.

Le peuple ne retiendra de son règne que sa dernière et toute désespérée danse, réalisée en public et à la manière propre à ce coq bien fat et imbu de sa personnalité !

Après cette trop longue attente parée de ses brouillards trop compacts, les gros nuages commencent par se dissiper, permettant ainsi au ciel de se dégager enfin.

Demain, on verra certainement plus clair. De nouveaux horizons s'ouvrent à présent. Un nouveau monde se dessine déjà ! Est-ce celui qui annonce en pompe cette démocratie tant espérée ?