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De Zyad à Boukhalfa

par Bouchen Hadj-Chikh

Il disparaissait subitement de la rédaction. Mais nul ne s'inquiétait vraiment. Si on avait besoin de lui, on savait où le trouver. Où était-il donc ? Hé bien dans un petit coin de paradis, dans son village, en Grande Kabylie où, avec son vieux père, il s'adonnait à la culture des roses. C'était, ce qu'on peut appeler, son « jardin secret ». Un jour, m'a-t-on rapporté, qu'il harcelait le peintre, immense, que fut M'hamed Issiakehm, lui demandant de lui faire son portrait, le génial artiste finit pas céder. Il était dans une gargote. Issiakhem lui emprunta un stylo et, sur la nappe en papier, il traça une ligne au bout de laquelle il mit, de chaque coté, un point. Il déchira le bout de cette nappe et le lui tendit : « tiens, c'est toi ». Quand on me rapporta l'histoire, connaissant l'un et l'autre, je les reconnus l'un dans ses comportements excentrique, l'autre dans sa physionomie. Comme on dirait, « c'était son portrait craché ».

Notre journaliste disparaissait donc. Et son absence était d'abord un signal. Cela voulait dire qu'autour de lui, ça bourdonnait trop fort. Alors il prenait du recul. A sa manière. Une fois ses roses épanouies, ses mélanges réussis, il regagnait la terre ferme. On affirme que les deux hommes ont été à l'origine de variétés.

Il y avait deux saisons chez lui : l'hiver et le printemps qui se succédaient. Vous imaginez donc ma joie de le revoir trainer dans les bureaux. Cela voulait dire que le plus gros de la tempête était passé.

Et, là, pas de quartier pour ceux qui l'entouraient.

C'était il y a longtemps.

Il n'y avait pas Facebook ni les mails.

 Aujourd'hui, quand je doute et que je ressens un peu de tension, sans y croire et sans raison, comme nous tous d'ailleurs - on se croit en forme jusqu'au moment où un proche vous demande « ça va bien, toi ? » - je me plonge dans ce réseau social pour glaner des informations que certains de mes collègues ont l'amabilité de partager avec moi. Je m'y plonge surtout, pour voir si un de mes amis journalistes est en ligne. Il est absent quand ça baigne. Il a des jours, cependant, sans crier gare, où il bombarde ses correspondants, dont je fais partie, de photos de sites inoubliables d'Algérie, d'autres parties du monde, de photos d'enfants aux sourires enjôleurs, de photos de voitures « vintage », par exemple.

Chaque photo est un message clair. Soit il nous rappelle à la beauté de la vie, qui vaut le coup, soit il nous fait tourner la tête ailleurs, pour nous dire que ce pays est beau et qu'il vaut la peine de se battre pour lui, toutes choses donc pour nous alerter, nous demander à ne pas trop trainer dans nos problèmes du moment. Il dit ça va mal, à sa manière. Dans son langage. Sans un mot, le plus souvent, sinon un ou deux, comme « bonjour » pour attirer l'attention de ses amis sur un détail. Pour leur nettoyer le cerveau. Une bonne douche.

Comme notre orticulteur, au café, il est de toutes les conversations, de tous les sujets dont il parle souvent avec compétence, en homme curieux, informé. Mais il ne se livre pas dans les réseaux sociaux. Non. Là, ses messages sont cryptés. Faut les interpréter.

Je me casse la tête, quand cela lui arrive de poster des photos, à comprendre ce qu'il entend chaque fois qu'il poste, comme on dit, des photos. Je ne crois pas entendre tout ce qu'il dit, mais ça me réveil, me met en alarme.

 S'il me lit, j'aimerai bien qu'il me fasse la fleur de mettre entre mes mains ses codes. Peut-être que je m'y mettrais aussi. Parce que, finalement, en ces jours où les mots n'ont plus grand sens, les images, elles, nous déverrouillent les neurones bloqués. Et ces images, ces photos disent tellement de choses.

Je ne suis pas de la génération de l'image. Et pourtant. Pour ne pas m'engloutir dans les sornettes, je prends des précautions. Ainsi, en achetant les journaux chaque matin, mon premier réflexe est de me plonger dans la caricature du jour. De Maz ou Dilem, et d'autres encore. Après les avoir bien appréciés, je me sens prêt à affronter les gros titres, les commentaires, chroniques et autres contributions.

 Je m'attends à tout. Je suis prêt à tout.

Au meilleur, comme au pire.