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Dérives langagières : les nouveaux murs

par Belkacem Ahcene-Djaballah

«Le drame du langage est là : c'est un mur» (Malek Haddad).

Décidemment, le discours politique national ne brille ni par sa clarté, ni par sa cohérence, et encore moins par son efficacité (scientifiquement démontrée, cela va de soi ; le reste n'étant, pour l'heure, que supputations intellectuelles). Les multiples exemples de ces derniers temps (fatalité de la «loi des séries» ou grande «nervosité» politique !) sont venus pour nous le rappeler, et ce ne sont pas les discours «sérieux», lus, par la suite, comme pour se rattraper, avec componction ou préparés avec minutie à l'avance par les conseillers, qui nous contrediront ou effaceront les «malentendus» ( ?!). Au contraire. Ils ne font que mettre en exergue , avec plus de force, les faiblesses ou les appétits de ceux qui s'essayent , volontairement ou non, à jouer aux populistes, de ceux qui veulent se racheter d'on ne sait quel tour pendable déjà commis (pour ne pas dire criminel) , de ceux qui veulent cacher leurs lacunes passées, enfin de ceux qui veulent ne pas rater le grand festin postélectoral qui récompensera les soutiens «mortellement indéfectibles» et les laudateurs.

RETOUR SUR PAROLES !

On a eu d'abord l'actuel Secrétaire général en exercice du Fln, Amar Sâadani, qui, se confiant à un site électronique franco-algérien d'informations, s'en est pris, de manière cavalière et en termes crus, à l 'Armée et, surtout, à un de ses hommes forts, le citoyen-général Toufik. En lançant des accusations que la plupart des observateurs ont jugé trop généralisantes en la forme et surtout abusives dans le fond.

Peu de temps après , «Réponse» du berger à la bergère, avec un document signé par un journaliste algérien obligé aujourd'hui ?une fois encore - à l'exil, qui a visé bien au-dessous de la ceinture le supposé chef d'orchestre de la campagne anti-Drs.

On a eu un président de mini-parti pro-4è mandat qui, emporté par l'élan de son engagement partisan s'en est allé déclarer bien fort mais fort mal, au cours d'un meeting, qu'il voterait pour le président sortant, que celui-ci soit «mort ou vif». Des politiciens nécrophages ! Il ne nous manquait plus que ça. Il est vrai qu'à force d'avoir «exploité» les chouhada...

On a eu ensuite un héros de ce qui est qu?il est convenu d'appeler «la Bataille d'Alger», qui a (presque ?) «diffamé» gravement, autour d'un thé siroté en compagnie de journalistes, une héroïne certifiée de la dite-bataille, Zohra Drif en l'occurrence. Certains de nos «décideurs» ne connaissent pas encore le «off the record». Notre homme en avait, déjà, par le passé, fait de même à l'endroit de Louisette Ighilahriz... et il vient de recommencer, il y a peu, en visant, cette fois-ci, tenez-vous bien, une autre icône de la Révolution algérienne, Larbi Ben M'hidi. Pour celui-là, celui-ci n'a tiré aucun coup de feu... Et alors? Il ne mériterait donc pas le statut de chahid et de héros. Faudrait-il donc qu'il n'y ait de héros que ceux qui savaient faire travailler seulement leurs muscles et leurs jambes ? On comprend mieux la haine de certains «révolutionnaires» (haine qui dure encore, la preuve, et qui a fait bien des dégâts durant la décennie rouge) pour les «cerveaux» et ceux qui pensent et qui, surtout contestent et tentent de «rectifier» les tirs, de réhabiliter des vérités historiques ou tout simplement critiquent

On a eu, juste après, un Premier ministre qui jouait au «titi» à toutes les occasions, officielles ou non. Le nombre de ses blagues et de ses «sorties» a de quoi remplir un gros cahier de potache. Il a soulevé bien des critiques et, semble-t-il, reçu bien des avertissements. Mais, chassez le naturel, il revient très vite au galop. Devenu directeur de campagne du candidat A. Bouteflika, il récidive avec... la «blague de trop». Oubliant que l'humour en politique nécessite du dosage et du ciblage, oubliant que l'oeil des caméras et les oreilles des journalistes sont désormais partout, il est allé encore plus loin dans la galéjade fraternelle ou voulue comme telle... avec une «plaisanterie» sur toute une région, connue pour sa grande discrétion ethniciste, pour son a-culturalisme et surtout pour sa grande susceptibilité et sa fierté... Ennif avant tout. Ouel Khssara, si tu veux ! Touche pas à mon honneur. Et, bonjour les dégâts.

Les dérives langagières ne concernent pas uniquement les politiciens «actifs». Il y a, aussi, celles des politiciens «critiques», désormais seulement observateurs... mais n'arrivant pas à se débarrasser de leurs habit d'origine

Ainsi, on a eu, récemment, un très ancien ministre des Sports à l'expérience politique pourtant bien chargée (jusqu'à une époque assez récente) et ,qui plus est, sait «parler», qui a attaqué , sur une chaîne de télévision satellitaire algéro-étrangère, un entraîneur de football connu pour son sérieux (N. Saâdi) et vainqueur, entre autres, de la CAN 90 dans le staff de Kermali, en l'accusant de n'avoir étudié , à l'Ists, que le basket- ball et jamais le football... et de n'avoir jamais rédigé le moindre polycop (sic !) , alors que lui a rédigé 23 livres (re-sic !) . Vous devinez la réaction de Sâadi aidé en cela par Assad et Belloumi, eux aussi visés par l'ancien ministre, et qui, bien que ne faisant plus partie de l'élite politique, est en passe (grâce à certains de ses livres, il faut quand même le reconnaître même si cela ne va totalement plaire à N. Saadi) de devenir ? dès qu'il se sera débarrassé totalement de l'habit politicien - un de nos intellectuels parmi les plus actifs et productifs.

Ce ne sont là que quelques exemples illustratifs de la grande dérive langagière de nos politiques et autres décideurs (Amal Blidi d'El Watan magazine du jeudi 20 mars en a relevé une bonne dizaine ; liés à l'élection présidentielle prochaine, citant aussi bien l'ex-Premier ministre et directeur de campagne électorale d'un candidat à la présidentielle prochaine qu'un ministre en exercice, Amara Benyounès - «Maudit soit celui qui ne nous aime pas» - au Cheb Khaled ? «Grâce à Bouteflika, je peux emmener mes amis boire un whisky» - en passant par le député Fln Ahmed Kharchi ? «Allah a donné la pouvoir à Bouteflika durant 15 ans, pouvons-nous aller contre la volonté de Dieu ?» ) . A vouloir trop bien faire, ils ratent souvent les coches et se voient pris dans les filets, de plus en plus meurtriers, en tout cas très critiques, des médias télévisuels algéro-étrangers et écrits privés nationaux de plus en plus nombreux et à l'affût du moindre dérapage , et surtout des réseaux sociaux , ces derniers étant en train de devenir un véritable contre-pouvoir... quasi-incontrôlable et qui peut, en quelques vidéos biens «torchés», détruire une image de marque... en tout cas faire énormément rire (ou pleurer de rage) dans les salles de café , sur les gradins des stades ou sur les bancs des jardins publics... ; lieux gros pourvoyeurs d'abstentionnistes. Les conséquences peuvent même être socialement très graves avec les réactions violentes des masses indirectement ou directement visées... Pressentant (ou voulant limiter) les répliques des séismes provoqués par des langages déplacés et /ou outranciers, l'ex-Président de la République, Monsieur Liamine Zeroual, s'est vu obligé d'intervenir et n'a pas manqué, dans son dernier message (publié dans la presse le 20 mars 2014) d'évoquer clairement «la série d'événements et de déclarations, autant multiples qu'inhabituels...». Lui-même (ainsi que les autres chefs de l'Etat) n'avait-il pas été traité (in-) directement de ¾ de président (ou de président stagiaire, je ne sais) par son successeur, alors enivré par sa «victoire » électorale pour un premier mandat présidentiel.

De discours politiques en propos politiciens ou politicards, presque tous toujours chargés, peu ou prou, de dérives langagières, nous nous trouvons, désormais, entouré de murs (évoqués par M. Haddad) de plus en plus hauts et de plus en plus épais, difficilement franchissables.

Décidemment, le discours politique national ne brille ni par le sens du dialogue, ni par le calme des échanges.

Il faut tout simplement visionner les débats au niveau des plateaux de toutes les télévisions. On fait «feu de tout bois». Un peu moins à l'Entv, mais sans limites sur les plateaux des télévisions algéro-étrangères qui, pour certaines, sont déjà entrées dans le monde de la concurrence commerciale ouverte d'où la recherche ou la facilitation du choc des mots et des images. Surtout lors des débats politiques et, tout particulièrement à l'approche d'échéances électorales ou, pour ce qui concerne l'économie ou la culture, à l'annonce d'un projet à négocier ou à mettre en œuvre.

Beaucoup de conviction de la part des acteurs sur la scène, une bonne part de comédie pour montrer aux militants, aux amis ainsi qu'à sa famille que l'on ne se laisse pas faire facilement, parfois de la bave et des regards sinon haineux du moins bien méchants et, toujours, de la provoc' savamment entretenue par les animateurs... De quoi avoir des frissons dans le dos quand on songe à l'avenir annoncé avec des décideurs (en acte ou en puissance) pareils. Seule consolation : voir tout le monde, à la fin de l'enregistrement, s'embrasser, s'enlacer même et s'échanger les cartes de visite. On ne sait jamais de quoi demain est fait, n'est-ce pas ? Hypocrisie, quand tu nous tiens. Sauf si tout ce remue-méninges frisant le cirque n'est, sous nos cieux, qu'une facette de la «comédie du pouvoir» cherchant à fabriquer, volontairement ou non, une atmosphère politique faisant oublier tous les autres «vrais» problèmes. Qui sait ? Pour ma part, je commence à m'y perdre et... dans le doute... je m'abstiens... de tout autre commentaire