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C'est beau de rêver

par Hadj-Chikh Bouchen

«Le battement d'ailes d'un papillon au Brésil provoque-t-il une tornade au Texas ?».

Ce fut le thème d'une conférence qui fit le tour du monde en 1972. Son auteur : Edward Lorenz. Il était professeur de mathématique au fameux Massachussetts Institut of technologie (MIT). L'éminent chercheur observa le phénomène en 1961 après des calculs destinés à prévoir les phénomènes météorologiques. En 1987, James Gleick, journaliste scientifique au New York Times, popularisa la thèse dans un livre intitulé « la théorie du chaos ». Le chaos devint une science. Le chaos « est gouvernée par un ordre dynamique ».

Transposé sur le plan social et politique, elle trouva son application au lendemain de l'immolation de Mohamed Bouazizi, le 17 décembre 2010, vendeur ambulant de fruits et légumes. Une femme policier, dont il ne supporta pas la confiscation de sa balance, fut le papillon.

Beaucoup de choses ont été dites sur la conduite du malheureux jeune homme à l'égard de la jeune femme policier qui réagit à ses propos maladroitement. On le sait, l'acte désespéré de Bouazizi la fit sombrer dans une profonde dépression.

Quatre semaines de manifestations sans relâche et une grève générale eurent pour conséquence la fuite de Ben Ali vers l'Arabie Saoudite le 14 Janvier 2011. En un mois, tout fut plié. Ou presque. Reste à réaliser l'essentiel. Un autre ordre à mettre en place. Les tunisiens y travaillent.

Ce papillon, il y a quelques années, était appelé « l'étincelle » qui met le feu aux poudres.

Comme nous ne faisons jamais les choses comme tout le monde, ce n'est pas un seul papillon qui se décida à créer des situations insurmontables dans le pays. Regardez autour de vous. Des escadrilles de papillons battent leurs ailes. Si nombreux que nous ne nous intéressons plus à leur gracieuse beauté. Ghardaïa, l'une de nos perles du sud, bouge. Trois morts le 15 mars. Identifiés : Trois citoyens ETAHRI Brahim, TALEB Ahmed et BEKAÏ Ahmed sont décédés à Ghardaïa la nuit du 14 au 15 mars 2014.Par balles. Rendez-vous compte. Des blessés, il en eut au cours de la fusillade. Plus tôt, la presse rapportait la mort violente de six citoyens algériens. Des hommes ou des femmes, des êtres humains. Je ne fais pas de comptabilité macabre. La perte d'une seule vie vaut celle d'un peuple. Partout dans le monde.

Cela se passe chez nous. A nos portes.

Nous n'avons pas encore digéré cette nouvelle que d'autres algériens, pour ne pas les distinguer des autres, sont sous qualifiés, un peu lourdement, par un jeu de mots, d'une subtilité rare ? comme si nous vivions des moments de détente totale -. Ceux de M. Sellal.

Et les réseaux sociaux de se déchainer.

Réaction immédiate :

« Je suis fier d'être? » lisait-on sur un T-Shirt. Fier ? De quoi ? Qu'a-t-il fait d'exceptionnel, ce jeune homme, au sein de cette communauté, pour l'être ? Faudra lui rappeler qu'il n'est ce qu'il prétend être, que le fruit du hasard, celui d'une rencontre triangulaire d'un homme, d'une femme et d'une région. Aurait-il été fier d'être sioniste s'il était né en territoire palestinien occupé ?

Il faut raison garder, messieurs-dames.

Nous parlons de quoi ?

Nous parlons de droit pour tous à vivre dignement dans ce pays. Bien. Qui doit le garantir ? Une Constitution « naziha ». Garantissant le droit à la libre expression des femmes et des hommes, à la libre organisation en associations, à des partis représentatifs. A l'alternance, au bout du compte. A la justice pour tous. Au développement et aux fruits des entrailles de notre terre, de nos sables, également partagés. En somme, tout ce qui fait le « vivre ensemble ». Rien de plus, rien de moins.

Vous croyez que, dans de telles conditions nous aurions des papillons virevoltant au-dessus de Ghardaïa ?

En extrapolant, c'est ce que dit Frida qui, comme dirait Jacques Brel, est belle comme un soleil et qui manifeste en face de l'université. De l'autre coté du trottoir, la Brasserie des Facultés. Le coeur du coeur d'Alger. Pour la visibilité. Au terme du dernier rassemblement de ses « militants », elle remarqua la discrétion et la retenue de la police à son égard et à l'égard de la centaine de personnes autour d'elle.

Son groupe, comme toujours, était observé par une autre centaine de badauds, contenu par une centaine de policiers. Au total, deux cents personnes, selon la police, et un millier, sans doute, dirait-on, en d'autres lieux. Qui demandaient quoi ? « Non au quatrième mandat », dix ans après avoir encaissé, sans l'admettre certainement, la révision de la constitution à élection élastique.

Si je me hasardais à lire, entre les lignes, ce que le collectif Barakat demande, ce n'est pas tant le rejet de la candidature du Président sortant que son « contrat à durée indéterminée » à la tête de l'état. N'est-ce pas ?

Ce n'est pas nouveau. C'est une revendication qui a « gangréné » - il faut prendre ce terme au second degré - même le pouvoir le plus rigide. J'ai en mémoire le « Congrès » des Cadres de la Nation, sous le défunt Président Boumediene, qui avait explicitement indiqué, en travaux de commission, dans un article du projet de texte fondamental, le fait que le mandat de Président ne peut-être renouvelé qu'une seule fois.

Le « éligible une fois » devint, entre la fin des travaux de cette commission et l'ouverture de la plénière, « rééligible ». Et l'assistance d'applaudir. Des cadres, rendez-vous compte !

Il en fut ainsi ? il fut à bonne école ? avec le Président sortant. Une révision constitutionnelle, par referendum, et le tour fut joué.

C'est triste. Mais il ne faut pas se bercer d'illusion.

Aucun chef d'état, ou ceux qui suivront, ne voudra d'une limitation de mandats, n'acceptera une Constitution prêt à porter. Tous voudront du « sur mesure ». Ce qui revient à dire que la réflexion ? pour garantir les droits à l'alternance ? doit se porter sur les outils qui permettront de bloquer la révision d'un tel article. L'un des piliers d'une constitution respectable que l'on devra retrouver dans toutes les versions que l'on proposera au suffrage.

Ce verrouillage ne sera pas du gâteau, je vous le dis.

Un casse-tête pour les constitutionnalistes.

Et si cela se fera, le papillon, hé bien, il pourra toujours battre des ailes. Avant d'aller se rhabiller.

Il est permis de rêver, non ?